Tom a écrit:Oui, c'est un militant communiste, Pierre Georges, plus connu sous le nom de colonel Fabien, qui, le 21 août 1941, abattit un jeune officier allemand qui attendait le métro, marquant ainsi l'engagement tardif, mais délibéré du P.C.F. dans la voie des attentats individuels.
Cette action eut d'importantes conséquences.
D'une part, elle entraîna de graves représailles : création d'un tribunal d'exception par Vichy, première rafle de juifs à Paris, arrestations et exécutions d'otages en masse par la suite à Châteaubriant et à Bordeaux pour deux autres officiers abattus...
D'autre part, elle entraîna un renforcement progressif des services de sécurité allemands...
D'une certaine manière, les Allemands cessaient de se sentir en totale sécurité en France. Le fossé allait continuer de se creuser entre l'occupant et l'occupé. Reste à déterminer si le jeu en valait la chandelle, mais je ne crois pas que ce soit de notre ressort.
Sans doute, comme tu le dis, Nicolas, les dirigeants communistes français devaient[-ils] offrir des gages à Staline [et] montrer qu'ils étaient à la pointe du combat antifasciste, mais ne s'agissait-il pas également, pour le P.C.F., aux ordres de Moscou et du Komintern, de faire oublier aux Français qu'il avait approuvé le pacte germano-soviétique et tenter de faire reparaître L'Humanité sous l'Occupation.
Tout à fait. D'où la surenchère des
"75.000 fusillés", coup médiatique mettant l'accent sur la virilité communiste - la notion de "fusillé" renvoie à celle de la lutte armée, tandis que celle de "déporté" insiste davantage sur la dimension victimaire.
Cela dit, on ne peut vraiment pas oublier que la Terreur stalinienne visait les communistes étrangers eux-mêmes. Les cadres allemands et polonais avaient été sévèrement épurés - massacrés, pour ainsi dire - à partir de 1938, pour déviationnisme. Thorez et les autres ne pouvaient se permettre le moindre écart. C'est pourquoi je me demande s'ils n'ont pas cherché à surenchérir l'action violente, et dans les faits, et dans les médias, par volonté d'améliorer leur légitimité, donc leurs chances de survie, auprès de Staline. La remarque vaut également pour Tito.
En effet, au lendemain de la défaite française, dès le 27 juin 1940, Maurice Tréand, responsable de la Commission des cadres du parti et sous l'égide duquel furent rédigées la plupart des listes noires, demanda à Otto Abetz, à l'ambassade d'Allemagne, l'autorisation de faire paraître
L'Humanité en lui faisant parvenir un mémoire certainement écrit par le secrétaire du bureau politique, Jacques Duclos en personne, où l'on peut lire entre autres :
L'Humanité
se fixerait pour tâche d'oeuvrer au redressement économique du pays, de dénoncer les agissements des agents de l'impérialisme britannique qui veulent entraîner les colonies françaises dans la guerre, de poursuivre une politique de pacification européenne et de défendre la conclusion d'un pacte franco-soviétique qui serait le complément du Pacte germano-soviétique et ainsi créerait les conditions d'une paix durable.En juillet 40, le P.C.F. chercha aussi à faire reparaître
Ce soir, journal du Front populaire, puis
La Vie ouvrière ainsi qu'un journal destiné à la jeunesse...
En août 40, un texte de Maurice Thorez, secrétaire général du parti, et de Jacques Duclos, secrétaire du bureau politique, intitulé "Le parti communiste au peuple de France", déclarait qu'il
[fallait] maintenir le pays absolument en dehors de la guerre impérialiste et prendre des mesures rigoureuses contre ceux qui tenteraient de l'entraîner dans l'un ou l'autre clan des impérialistes qui poursuivent la guerre.
Quant à l'Appel dit du "10 juillet", rédigé à Paris ou à Moscou et forcément postérieur à cette date, puisqu'il stigmatisait des ministres de Vichy nommés le 13, il critiquait le gouvernement de Vichy, mais ne disait rien contre Hitler ni contre le nazisme, et célèbrait la politique stalinienne "de la paix".
De plus, jusqu'à ce que le Reich attaque l'Union soviétique fin juin 41,
le P.C.F. ne cessa de dénoncer le général de Gaulle et la France libre !
C'était, en effet, tout un programme de résistance active !
En effet.
L'affaire de la reparution de
L'Humanité me laisse toutefois encore perplexe. Le 22 juin 1940, Dimitrov (patron du
Komintern) et Thorez (patron de la filiale française du
Komintern) communiquent à Eugen Fried - responsable de la liaison entre le
Komintern et le P.C.F. - la consigne
"utilisez moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux, syndicats, locaux, éventuellement Humanité", ajoutant que ces journaux devaient rester
"sur ligne défense intérêts sociaux et nationaux peuple et ne donne[r] aucune impression solidarité avec envahisseurs ou leur approbation" (cité dans
Moscou-Paris-Berlin, Tallandier, 2003, p. 241-242).
Jacques Duclos avait de toute évidence reçu un ordre similaire quelques jours auparavant, via Eugen Fried, et c'est pourquoi son "adjoint" Maurice Tréand approchera les autorités allemandes à partir du 18 juin 1940. Mais il semble que l'initiative du
Komintern ait suscité quelques remous au sein du P.C.F. Le temps de prendre la température du mouvement - dispersé par la débâcle - au mois de juillet 1940, de nouvelles directives allaient tomber, le 6 août, signées Dimitrov et Thorez :
"Insistons catégoriquement faire cesser immédiatement pourparlers avec Abetz et ses agents" (
ibid., p. 277). Motivation :
"inquiets graves dangers qui menacent parti par suite manoeuvres autorités occupation" (télégramme du 7 août,
ibid., p. 279). Le 20 juillet,
"Considérons juste ligne générale. Indispensable redoubler vigilance contre manoeuvre des occupants. Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale, mais entrevue Abetz est une faute, car danger compromettre parti et militants".
Bref, l'affaire témoigne davantage de l'immense malaise suscité par le pacte germano-soviétique que de la basse veulerie politicienne du P.C.F., entre des staliniens purs et durs, esprits monolithiques rompus à l'obéissance absolue (Tréand), ou grands nageurs en eaux troubles (Duclos), et d'autres plus contestataires, et qui sauront se faire entendre du
Komintern. Cette dernière instance peinait encore à élaborer une politique cohérente, et gardait ici le souci de ne pas aggraver l'hémorragie du P.C.F. Un P.C.F. qui peinait tout autant à faire cohabiter son propre discours contestataire anti-impérialiste avec la collaboration pro-nazie...
Ainsi l'Internationale était-elle divisée. A Dimitrov, obéissant à la ligne stalinienne de la coopération avec l'Allemagne, s'opposait Dimitri Manouilski, qui fera primer ses vues. Et sans doute Dimitrov avait-il forcé la main de Thorez, s'agissant du très compromettant télégramme du 22 juin 1940. La direction parisienne du P.C.F., qui avait fui la capitale et laissé le champ libre au tandem Duclos-Tréand, s'était également opposée à cette approche des Allemands.
Preuve d'ailleurs de la difficulté de ramener l'ordre au sein du
Komintern d'abord, du P.C.F. ensuite, il faudra plus d'un mois pour liquider cette sinistre affaire. Maurice Tréand en fera les frais, à l'inverse de son commanditaire, Jacques Duclos.