Post Numéro: 13 de Tom 12 Avr 2007, 19:05
Dans le bouquin précédemment cité, quelques infos sur les Allemands et la frontière franco-suisse en Haute-Savoie, notamment de septembre 1943 à août 1944.
En résumé :
Le 9 septembre 1943, la frontière franco-suisse est fermée sur ordre des Allemands qui succèdent aux Italiens en Haute-Savoie, un cordon de douaniers français restant en place. Le conseiller des douanes allemand, le Zollrat Kollibay, autorise, à partir du 27 septembre, l’exportation des légumes de la zone franche vers Genève et le transport des récoltes, par treize points de passage, du champ à la ferme pour les agriculteurs propriétaires de biens-fonds en Suisse. Cependant, l’autorité militaire de Paris ayant refusé d’assouplir la fermeture de la frontière, cet arrangement ne dure qu’une dizaine de jours, jusqu’au 9 octobre exactement. Néanmoins, le Zollrat permet le transbordement des vendanges à partir du 13 octobre, mais ne tolère plus aucun franchissement dès le 27 octobre.
Pourtant, à la demande pressante du gouvernement de Vichy, le commandement militaire en France rétablit un trafic frontalier limité au bénéfice d’environ quatre cents agriculteurs par une ordonnance du 10 décembre 1943 qui entre en vigueur le 1er janvier 1944. Huit postes de douane sont praticables de huit à dix-huit heures, sauf le dimanche, puis de sept à vingt heures après le 19 juin 1944, et le retour en France doit s’effectuer dans la journée. Le mouvement des trains de marchandises (ravitaillement) vers la Suisse en provenance de Thonon et d’Annemasse est maintenu jusqu’à ce que la Résistance sabote systématiquement les voies ferrées pendant l’été 1944.
Le 1er janvier 1944, s’applique également le nouveau statut de navigation sur le lac Léman : elle est, en principe, interdite et les ports sont fermés. Toutefois, la pêche professionnelle peut s’exercer jusqu’à trois kilomètres de la côte. A cet effet, les six ports sont ouverts sept heures par jour, dix après le 31 mars, mais les départs et retours sont contrôlés par les douaniers allemands.
En janvier 1944, se produisent aussi les premiers attentats (plusieurs morts) contre les douaniers allemands qui sont environ quatre cents au total, soit deux cents de moins que leurs prédécesseurs italiens. En huit mois, jusqu’à la Libération en août 1944, des dizaines de douaniers allemands sont tués tandis que ceux-ci arrêtent plusieurs centaines de personnes tentant de franchir la frontière (dont quelque cent trente juifs).
Parmi tous les Haut-Savoyards qui appartiennent à des réseaux de renseignements, vingt-cinq sont recrutés dans la région d’Annemasse pour le réseau Gilbert que dirige le colonel Groussard à Genève. Son organisateur et chef sur le terrain, le lieutenant Devigny, appréhendé par les Allemands en avril 1943, a été remplacé par Pierre Ponchardier.
La mi-janvier 1944 est funeste à la filière vers la Suisse. En effet, la police allemande réussit à arrêter une dizaine d’agents du réseau Gilbert et à identifier un passage dans la maison Gubier qui donne directement sur la Suisse par deux ouvertures, dont l’une a été murée par les Allemands, mais dont l’autre a échappé à leur vigilance. Ayant déjà servi pendant la guerre de 14-18, ce passage est utilisé jusqu’au 17 janvier 1944 malgré les rondes des douaniers avec leurs chiens…
La filière de la Délégation des M.U.R. en Suisse connaît aussi de vives alertes. De Lyon, le courrier arrive par le train à Annemasse, est remis au gérant du buffet de la gare, Roger Lombard, et, par l’intermédiaire d’un contrôleur, Lucien Mas, parvient au Révérend Père Favre, professeur au juvénat de Ville-la-Grand qui jouxte la frontière. Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1943, des agents de la Sipo-SD pénètrent dans l’appartement de Roger Lombard qui n’a que le temps de sauter par la fenêtre. Se cachant à Thorens, il devient ensuite chef de la section « Chamois » sur le plateau des Glières… Le 21 janvier 1944, Lucien Mas est activement recherché… Le 3 février, le Révérend Père Favre est arrêté… Son école est évacuée et transformée en casernement pour les douaniers. Plusieurs agents sont également pris dans les jours suivants. Entre autres, le Révérend Père Favre est fusillé le 16 juillet…
Dès octobre 1943, les Allemands réclament la liste des juifs que les Italiens protégeaient. L’intendance régionale de police de Lyon donne aux fonctionnaires locaux l’instruction de ne rien communiquer concernant les juifs français, mais de laisser les Allemands consulter les fichiers préfectoraux pour les juifs étrangers, dont la Feldgendarmerie commence par arrêter un certain nombre, lesquels sont rassemblés à Annemasse et envoyés au camp de Drancy. Le secrétaire général de la préfecture de la Haute-Savoie à Annecy effectue une démarche auprès de l’état-major de liaison (Verbindungsstab, V.S. 988) en vue empêcher le départ des plus jeunes, mais en vain, car la rafle a été ordonnée par la Sipo-SD sur l’ensemble du territoire français. Malgré tout, le sous-préfet de Thonon intervient en faveur d’une réfugiée polonaise opérée quinze jours plus tôt et de son bébé de neuf mois, en pure perte : la jeune femme et son enfant quittent Annemasse le 18 novembre pour les camps de la mort…
Au total, quelque cent quatre-vingts juifs, dont seulement vingt-cinq Français, une cinquantaine d’enfants, une majorité de femmes et beaucoup de personnes âgées, sont appréhendés en Haute-Savoie du 15 septembre 1943 au 14 juillet 1944, cent trente par la Zollgrenzschütz (douane ou plus exactement, en l’occurrence, garde-frontière), une vingtaine par la Feldgendarmerie, autant par la SS-Polizei (police en uniforme) et une dizaine par la Sipo-SD (police en civil).
Quarante-cinq juifs sont toutefois libérés, deux par … ( !) un responsable local de la Sipo-SD, le SS-Oberscharführer (adjudant) Meyer, la plupart des autres par le courageux maire d’Annemasse, Jean Deffaugt, passé au service du colonel Groussard, qui intervient sans cesse auprès du Hauptmann (capitaine) Lottmann, commandant la 9.Kompanie de SS-Polizei pour aider et nourrir les prisonniers. Le 22 juillet 1944, Deffaugt supplie ce dernier et réussit à sauver une quarantaine d’enfants juifs. Après la guerre, il recevra la médaille des Justes d’Israël comme le chanoine Folliet d’Annecy et l’abbé Payot de Vallorcine…
Cela dit, plusieurs milliers de juifs ont pu franchir la frontière, notamment dans la région de Douvaine, grâce aux réseaux de solidarité qui assistent des organisations d’entraide comme l’Amitié chrétienne, le réseau catholique Garel, la Cimade protestante, le Mouvement populaire des familles, l’Oeuvre de secours aux enfants, le Service social des jeunes, le Mouvement de la jeunesse sioniste, etc. Parfois, un épisode sombre, par exemple le 22 avril 1944 où huit juifs interceptés par les Allemands dénoncent leur hôtesse, Mme Nicollet, le chauffeur du taxi, leur guide et sa famille : cinq personnes déportées…
Par ailleurs, en général, un certain nombre de Français, menacés, poursuivis ou blessés, réussissent à se réfugier en Suisse. Entre autres personnalités, Xavier de Gaulle, le frère du Général, qui, après un long séjour en Haute-Savoie, franchit la frontière en août 1943. Quelques mois plus tard, Jacques de Gaulle, gravement malade et recherché par les Allemands, est reçu au presbytère de Collonges-sous-Salève par l’abbé Jolivet du réseau Ajax. Le 10 novembre 1943, c’est l’abbé Pierre qui, avec la complicité des douaniers français, le transporte en Suisse.
D’autres Français, membres de la Résistance, vont et viennent : une cinquantaine de fois pour Guillain de Bénouville, une centaine pour Michel Hollard, le chef du réseau Agir, cent soixante-deux fois (un record !) pour Jean Hénot des réseaux Groussard…
En effet, la frontière fermée (sauf aux huit postes ouverts de sept heures à vingt heures aux détenteurs de permis agricoles) est loin d’être hermétique : les Allemands sont trop peu nombreux et les douaniers français, qui sont retirés le 19 juin 1944, souvent complices…
Deux mois plus tard, à la Libération, une centaine de douaniers allemands passent à leur tour en Suisse où ils sont désarmés et internés…