Post Numéro: 24 de JARDIN DAVID 02 Oct 2018, 09:34
Je viens de terminer la pitoyable lecture de Hitler de poche signé par nos deux intellectuels.
D'ailleurs je me demande s'ils l'ont bien lu, surtout la fin, tellement c'est insipide et par moment au niveau d'un travail de première (avec mauvais prof, pas avec Fronto !). Je peine à croire qu'ils ont (co)écrit autre chose que l'introduction, bien représentative de l'entre-soi universitaire ...
J'en profite pour relayer en pied de message le fil ISSN de nos amis F DELPLA et J EUTROPE. Il contient l'article de A LOEZ (Le Monde des Livres), qui n'est pas dupe, et la réponse du duo de haute volée. J'ajoute que LOEZ est indulgent ...
Mais .... personne ici n'a lu ce livre ou bien celui de LONGERICH (que je termine) ?
JD
André Lœz, Le Monde des Livres, 21 septembre 2018
Pour évoquer le dictateur nazi, voilà un livre au format inhabituel. Alors que les biographies de référence d'Hitler (1889-1945) dépassent toutes le millier de -pages, les historiens Johann -Chapoutot et Christian Ingrao, auteurs de livres reconnus sur le national-socialisme, font le pari d'un bref " pas de côté " : guère plus de 200 pages, mais l'ambition de montrer que les mutations brutales du XXe siècle se " précipitent – au sens chimique du verbe – dans sa vie ". Nombre d'erreurs et de lacunes fragilisent toutefois ce projet.
Des premières, on peut donner une liste décourageante, à commencer par la période des velléités artistiques d'Hitler : les auteurs affirment de façon péremptoire mais erronée qu'" on ne voit jamais d'êtres humains sur ses aquarelles. Jamais ". Hitler ne fut pas " sous-officier " durant la Grande Guerre, et encore moins un " soldat comme un autre ", comme l'a établi le travail de référence de Thomas Weber (La Première Guerre d'Hitler, Perrin, 2012), non cité dans une bibliographie limitée à onze titres. Son statut d'estafette d'état-major l'éloignant généralement des tranchées, sa guerre n'est -aucunement " représentative " de l'expérience du feu en 1914-1918. Les auteurs confondent Stahlhelm (une organisation para-militaire d'extrême droite) et Reichswehr (armée de la République de Weimar).
La chronologie est pareillement malmenée : l'attentat du résistant Pierre Georges en août 1941 au métro Barbès est situé en janvier 1942 ; le vote des pleins pouvoirs à Hitler par le Zentrum, parti catholique, en mars 1933, est réduit à une conséquence du -concordat avec le Vatican, dont la signature n'intervient pourtant qu'en juillet de la même année. Sur le plan statistique, le livre évoque le chiffre ahurissant de " 20 millions de personnes " au chômage total ou partiel à la fin de la République de Weimar, soit plus du double des estimations couramment admises. De même, un passage stipule que, au moment de la bataille de Verdun (1916), l'Allemagne aurait " envahi plus du tiers du territoire français " (moins de 5 %, en réalité).
Omissions stupéfiantes
Sur le plan conceptuel, on ne peut qu'être frappé par le rapport lacunaire à l'historiographie et aux débats importants qui s'y déploient. Loin de présenter aux lecteurs qui n'en seraient pas familiers les grandes options inter-prétatives quant à la trajectoire d'Hitler – le " dictateur faible " évoqué par Hans Mommsen, la domination charismatique étudiée par Ian Kershaw ou, plus récemment, le décisionnaire déterminé analysé dans la biographie de Peter Longerich (Héloïse d'Ormesson, 2017) –, les auteurs font parfois disparaître entièrement leur personnage central, au profit de descriptions générales du nazisme, de l'Europe occupée, voire de comparaisons incongrues avec les Etats-Unis de Roosevelt.
L'ensemble souffre de ces déséquilibres, et d'omissions stupéfiantes. Alors que trois pages du livre sont dévolues aux Jeux olympiques de 1936, certaines des décisions les plus marquantes du Führer disparaissent : l'immense pogrom dit " Nuit de cristal ", qu'il ordonna en novembre 1938, n'est pas mentionné, non plus que sa déclaration de guerre aux Etats-Unis du 11 décembre 1941. Même la question si discutée de son rôle personnel comme donneur d'ordre de l'extermination des juifs n'est pas traitée en tant que telle. Au total, il faut regretter que l'indéniable familiarité des auteurs avec l'histoire du nazisme n'ait pas abouti au travail fiable et rigoureux qui s'imposait sur un tel sujet, et qu'on pouvait attendre d'eux.
André Lœz
Réponse de Chapoutot et Ingrao au Monde mise en ligne par Henri Rousso sur sa page FB le 23 septembre 18
La réponse circonstanciée de Johann Chapoutot et Christian Ingrao à un compte rendu de leur biographie d’Hitler dans Le Monde dont l’arrogance était proportionnée à l’ignorance et à la malveillance. Quand on veut régler des comptes, il faut en avoir les moyens :
« Biographie malavisée » ou livre mal lu ?
A M. Jean Birnbaum
Directeur de la rédaction du Monde des Livres.
Paris, le 22 septembre 2018.
Cher Monsieur,
Une récente critique de notre ouvrage (Hitler, PUF, 2018) parue dans vos colonnes nous semble contrevenir aux règles fondamentales de la recension : parler du livre, montrer ce qu’il apporte au lecteur, bref, en proposer une lecture qui offre un surcroît d’intelligence et permet au lecteur d’enrichir sa propre compréhension des phénomènes. Rédiger une recension demande de se départir, en première approche, de son stylo rouge, quitte à le reprendre pour pointer légitimement des erreurs.
Nous exprimons notre reconnaissance à votre contributeur pour en avoir relevé une, ainsi qu’un lapsus (rassurons-le : nous connaissons la différence entre Reichswehr et Stahlhelm). Ces erreurs rectifiées en réimpression et dans les traductions en cours.
D’autres erreurs supposées ne sont pas présentes dans notre texte :
1) Nous ne faisons aucunement du vote des pleins pouvoirs en mars une conséquence du Concordat, événement postérieur (juillet 1933). Toute l’historiographie lie les deux événements : le Zentrum a voté les pleins pouvoirs dans l’espérance de ce concordat.
2) Si le chiffre de 20 millions de chômeurs (tous secteurs confondus) en Allemagne en 1932 semble « ahurissant », il ne peut l'être que pour celui qui ignore les avancées de la recherche, dont les calculs aboutissent non pas au « double », comme il l’écrit, mais bien au triple des anciennes estimations, qui ne prenaient pas en compte les chômeurs à temps partiel et ceux qui étaient non recensés par les services sociaux.
3) Les pages consacrées aux Jeux Olympiques ne concernent pas que les Jeux, mais la situation de l’Allemagne nazie dans le concert des nations des années 1930. Un lecteur de bonne foi ne peut l’ignorer.
4) Nous parlons bien entendu de la « Nuit de cristal » et de l’entrée en
guerre contre les Etats-Unis, contrairement aux assertions du papier que vous publiez. Un simple coup d’oeil à la chronologie présente dans l’ouvrage devrait vous rassurer en tout point. C’est elle, aussi, qui réfracte autant que se peut le débat si important sur la question de la prise de décision du génocide.
5) Un caporal – le grade atteint par Hitler pendant la Grande Guerre – est parfois considéré comme « sous-officier » (littéralement, c’est le cas), comme dans la Grande Armée. Est-ce vraiment ce détail qui fonde l'originalité et la pertinence du travail de Thomas Weber, et même des autres historiens (non traduits en français) dont les acquis nous sont bien connus ?
La copie de votre collaborateur est parue en un temps record, le
lendemain de la publication du livre. Il s’exprime sur un ton à la fois péremptoire et condescendant et la litanie des épithètes (« ahurissant », « stupéfiant », « décourageant ») dont ce papier nous abreuve si généreusement nous prive au fond d’un débat. Votre collaborateur cite Hans Mommsen et Ian Kershaw, traduits en français et bien connus, mais n’a pas discerné dans notre essai la présence de quatre historiographies qui ont profondément renouvelé l’histoire du nazisme depuis vingt ans.
Sa prompte lecture ne se fait pas l’écho d’une part de cette histoire sociale compréhensive du quotidien du nazisme inaugurée en son temps par Detlev Peukert et continuée depuis avec brio par Franck Bajohr et Michael Wildt, histoire appuyée par ailleurs sur les travaux abordant la question de dénonciation et du contrôle social inaugurée par Robert Gellatelly et Eric Johnson.
Elle manque également le travail de Götz Aly sur la question de la préservation des populations allemandes par les choix économiques opérés en guerre par les nazis.
Votre contributeur ne semble pas avoir perçu l’exercice de synthèse consistant à condenser plus d’une dizaine de travaux d’histoire locale des systèmes et des pratiques d’occupation embrassant l’Europe entière en quelques paragraphes. Enfin, la taraudante question de l’attractivité du nazisme, comme système de croyances mais aussi comme projet de société, question qui traverse notre réflexion, n’est pas mentionnée par André Loez.
Le fond de sa copie, comme son ton, interrogent sur ses intentions. Notre sentiment est que notre texte n’a été que prétexte à un défoulement un brin acrimonieux, et à des admonestations dont le style, celui du blâme, obère une lecture constructive du texte.
Il s’agit en somme moins d’une « biographie malavisée », comme votre titre l’annonçait, que d’un livre mal lu, ou pas lu du tout. Nous avons rédigé un essai engageant le lecteur à reconsidérer la place d'Hitler dans l'histoire du nazisme et tentant de rendre compte de travaux passionnants mais souvent hors de portée de lecteurs français et, plus encore, d’un grand public auquel est destiné ce petit essai. Sur cette question, notre position est claire : nous avons voulu faire du dictateur un point d’observation d’un demi-siècle d’histoire – d’histoire de l’Allemagne, d’histoire de l’Europe. Cette tentative, qui ne réduit pas Hitler à un dictateur faible (comme le faisait Hans Mommsen), qui réintroduit la question des dynamiques sociales d’ordre charismatique si bien étudiées par Ian Kershaw en l’enrichissant de tout l’acquis postérieur à son travail, qui refait une place à l’idéologie non plus appréhendée comme un système d’idées hors-sol, mais comme des éléments appréhendés et appropriés par des individus ou des groupes sociaux, peut susciter de légitimes débats, dont nous nous honorerions qu'ils contribuent à une meilleure compréhension de l'histoire.
C’est bien le moins que vos lecteurs puissent attendre de votre journal,
qui devrait être le lieu d’une intelligence partagée et non un simple polygone de tir.
Bien sincèrement à vous,
Johann Chapoutot
Christian Ingrao
"Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi" (Le Cid)