Jean-Luc Leleu écrit dans son ouvrage La Waffen-SS… (Perrin, 2007) au début du chapitre 28 «La valeur au combat : une élite militaire ?» :
Conjuguant valeur professionnelle et état moral de la troupe, la valeur militaire d’une unité est un élément difficile à apprécier sur le champ de bataille, a fortiori à partir du sort des armes. Le succès peut cacher de graves déficiences tout comme l’échec n’être que le produit de facteurs externes contraires.
[…] Le fait est que la flatteuse réputation dont jouit encore de nos jours la Waffen-SS sur le plan strictement militaire et l’abondante littérature (y compris universitaire) orientée dans ce sens rendent superflus tous dithyrambes supplémentaires, mais exigent au contraire un plus juste équilibre dans l’évaluation de sa valeur.
[…] Pendant comme après la guerre, la Waffen-SS est passée pour une redoutable troupe d’élite. […] Devant ce postulat de base jamais véritablement remis en cause, y compris par les détracteurs de la Waffen-SS, il convient de recentrer le propos […].
A propos de propos, il n’est pas dans mon propos de présenter un résumé de cette étude bien documentée, pertinente et assez fine, quoique contestable (car surtout fondée sur l’action des divisions SS à l’ouest en 44/45), mais de lancer un débat sur cette question délicate (la valeur des formations SS au combat a été extrêmement variable selon les unités et aussi, pour la même unité, selon la période) et épineuse (la Waffen-SS, de par son caractère officiellement idéologique, sent le soufre)…
Cela dit, il est incontestable que la valeur militaire de la Waffen-SS a été largement exagérée par la propagande nazie, surtout à partir du moment (expansion de 1943) où cette police d’Etat militarisée qui devait simplement faire ses preuves au feu a été considérée par le pouvoir comme l’armée national-socialiste du peuple en armes devant à terme se substituer à l’armée traditionnelle et où ses formations d’élite ont été placées au sein de la réserve stratégique comme « pompiers du Reich » et dernier rempart du régime.
Il est indéniable que la Waffen-SS a, dès lors, bénéficié d’une discrimination positive marquée, tant dans l’attribution des décorations que dans la nomination au sein des communiqués de la Wehrmacht, alors qu’elle avait essuyé des revers et que ses pertes étaient, en moyenne et même sur le front russe, similaires à celles du Heer (en quantité et en qualité, c’est-à-dire dues bien plus au froid et aux maladies qu’au combat).
Certes, les formations d’élite de la Waffen-SS se sont rapidement distinguées dans l’assaut par l’audace, la fougue, l’ardeur impétueuse, «l’emploi hardi des hommes et des officiers, s’il le fallait jusqu’au dernier», mais c’était en partie pour compenser le manque d’instruction des cadres et d’expérience de la troupe en général : au bout du compte, cela n’a pas forcément été très rentable.
D’ailleurs, la Waffen-SS a toujours connu un sérieux problème d’encadrement, tant quantitatif que qualitatif. Si, en 1944, les jeunes recrues de la Das Reich, insuffisamment instruites et parfois peu motivées comme les conscrits alsaciens, ont tout de même été bien conduites au combat par des cadres aguerris sur le front de l’Est, les divisions d’élite manquaient cruellement d’officiers compétents.
En effet, l’idéologie national-socialiste, orientée vers l’action et la pratique, méprisait la réflexion et la théorie (un peu comme les partisans de «l’action immédiate» dans la Résistance française ! ) : les officiers SS étaient sélectionnés et promus - bien trop rapidement ! - uniquement en fonction de leur personnalité et de leur comportement au feu, sans tenir compte de leurs capacités intellectuelles ni de leurs compétences professionnelles. Ainsi, par mépris pour cette fonction pourtant essentielle, et malgré l’aide du Heer, la Waffen-SS n’a jamais disposé d’un corps adéquat d’officiers d’état-major. C’est pourquoi elle s’est souvent montrée inapte à la manœuvre…
Toutefois, la Waffen-SS s’est également rendue célèbre par sa ténacité dans la défensive, par son fanatisme jusqu’au-boutiste. Mais, là encore, cette valeur militaire a été grandement limitée par le principe de l’économie des forces que la Waffen-SS, en raison de sa situation privilégiée et de sa relative autonomie, a pu appliquer de manière excessive !
En effet, non seulement les divisions SS d’élite ont-elles bénéficié de très longues périodes de repos et de reconstitution, mais encore, au combat, elles ont maintenu à l’abri une part de plus en plus importante de leurs forces, non comme une réserve destinée à combler les pertes, mais comme un noyau tenu à l’écart en vue de préserver le potentiel, et ce souvent à l’insu du commandement supérieur.
Deux exemples. Le 18 juillet 1944, la 12e division SS est définitivement retirée du front après de lourdes pertes même si elle compte encore 14000 hommes dans ses rangs ! Le 19 juillet 1944, la 17e division SS déclare à Himmler qu’elle ne dispose plus que de 876 hommes à déployer alors que, cinq jours plus tard, ses effectifs totaux s’élèvent à plus de… 11000 hommes !
Evidemment, l’expansion démesurée de la Waffen-SS avait rendu le système de remplacement complètement déficient et les seuils tolérables de pertes étaient de plus en plus bas, d'autant que les divisions blindées SS, à la structure lourde et complexe, évoquaient un couteau au manche énorme et à la lame effilée rapidement usée …