Leumacks a écrit:On ne saura jamais vraiment si l'armée française était en capacité de mener une offensive de grande envergure. Il est vrai qu'elle n'était pas vraiment taillée pour : la volonté de garder à tout prix un front uni - au contraire de la Wehrmacht qui a procédé par de violentes percées localisées sur un secteur précis - le manque de divisions blindées et l'absence de radio étaient des contraintes non négligeables.
Je me permets de relever une précision qui a son importance : la Wehrmacht pratique elle aussi la stratégie du "front continu" (le terme est plus conventionnel), comme toutes les armées modernes du XXe siècle.
Masser le meilleur de ses forces sur une portion (étroite) du front n'a rien de forcément révolutionnaire non plus même si CLAUSEWITZ le théorise (par le "Schwerpunkt") au XIXe siècle.
Le reproche qui peut être fait (à GAMELIN) c'est l'absence d'une réserve capable de contre-attaquer la percée allemande de Sedan.
Leumacks a écrit:Néanmoins, on peut reprocher à Gamelin son incapacité à tenir compte des avertissements sur le risque - pourtant avéré - que représentait une attaque venant des Ardennes :
- Plusieurs études avaient été menées (par Weygand, par Bourguignon, par Prétélat) pendant les années 30 sur une éventuelle attaque allemande par les Ardennes, et leur résultat indiquait que le massif était franchissable (estimation de 1938 : en 60h, en y incluant les opérations de ralentissement des chasseurs ardennais)
Le plan belge pour l'Ardenne était donc connu du commandement français dès 1938 ?
Sur quel ouvrage/source te bases-tu ?
Je lis actuellement "Sur les traces des chasseurs ardennais" qui précise que le plan belge est communiqué à GAMELIN le 14 mars 1940.
Celui-ci s'empresse de désapprouver l'abandon de l'Ardenne sans combattre, mettant en évidence le risque de "tourner" la Ligne Maginot sur son flanc.
Le commandement français demande à son homologue belge de tenir (au moins temporairement) le massif ardennais, ce que Bruxelles refuse faute de moyens adéquats (le massif ardennais a peu de valeur stratégique pour la Belgique dont la première ligne de défense est la Meuse/canal Albert).
Avril 1940, GAMELIN adapte en conséquence son dispositif en prévoyant une force de couverture qui fera son entrée en Belgique, par l'Ardenne, et devra tenir au minimum 5 jours pour permettre la mise en place du dispositif de la 9e Armée derrière la Meuse belge.
Bruxelles en est informé le 6 mai 1940. Trop tard pour se coordonner avec les Français.
Tu comprendras dès lors mon questionnement quant à la connaissance par les Français, dès 1938, du plan de repli des Chasseurs ardennais (en réalité Groupe Keyarts dont la 1e Division de Chasseurs ardennais représente le gros épaulé de divers éléments de cavalerie).
Leumacks a écrit:- Plusieurs députés et sénateurs avaient alerté sur les moyens inadaptés, le plus alarmiste étant le rapport de Pierre Taittinger en mars 1940 sur les failles de la défense dans le secteur de Sedan (rapport balayé par Huntzinger, général de la IIème Armée qui se fera pourtant ouvrir en deux sur l'attaque)
- Les renseignements belges et les attachés militaires annonçaient depuis plusieurs mois une offensive allemande au niveau des Ardennes.
- A l'aube de l'attaque (10-12 mai) deux avions de reconnaissance repèrent une gigantesque colonne de chars allemands prenant la direction de la Meuse, avertissement qui n'est pas pris au sérieux par l'Etat major.
Il faut se remettre dans le contexte de l'époque où l'Ardenne est une option parmi d'autres (chez les Allemands elle "dérange" l'OKH).
Leumacks a écrit:Il y a eu également l'incident de Mechelen de janvier 1940 : un avion allemand se pose de force sur le territoire belge, avec deux officiers disposant des plans supposés de l'attaque initialement prévue quelques jours plus tard. Mais je ne saurais pas dire si les plans qui n'ont pas été détruits auraient pu permettre aux Alliés d'anticiper l'attaque de mai, puisque les allemands ont entretemps revu leur stratégie.
Au moment de cet incident, le plan allemand table sur une déferlante des Panzer à travers la Belgique, au nord de la Meuse, ce à quoi, justement, le plan Dyle est la réponse la plus appropriée.
Donc, non, les documents récupérés par les Belges (et partagés avec les Français) ne permettent pas d'anticiper la manoeuvre de franchissement de l'Ardenne.
Leumacks a écrit:Même si réorganiser une armée n'est pas une mince affaire, il y avait quand même des indices sur la dangerosité de laisser le secteur de Sedan dégarni. Or non seulement Gamelin maintiendra la manoeuvre Dyle-Breda en l'état au moment de la première attaque portée aux Pays-Bas (le leurre pour attirer le gros des troupes alliées) mais en plus il la renforcera avec la 7ème armée de Giraud qui etait initialement prévue pour couvrir le secteur sedannais, et qui avait les moyens techniques pour tenir plus longtemps face à la grosse attaque.
Concernant le secteur de Sedan, j'ai toujours lu que GAMELIN se rassurait dès lors qu'il faudrait plusieurs jours aux Allemands pour masser leur artillerie avant le franchissement de la Meuse. Délai profitable à la défense. L'emploi de l'aviation à la place de l'artillerie est une surprise (l'emploi massif de la Luftwaffe en Pologne n'a malheureusement pas été pris au sérieux).
La variante "Breda" est certainement le principal reproche que l'on puisse faire a posteriori.
GAMELIN commet des erreurs de jugement.
Les Allemands commettront les leurs 4 ans plus tard en Normandie (ils avaient massé leur force au mauvais endroit) et en Russie.
L'attaquant a toujours l'avantage de l'initiative.
On peut néanmoins se rendre compte que, les semaines passant, l'estimation de la perméabilité du massif ardennais aux moyens mécanisés fait son chemin des deux côtés du Rhin.
Pas assez vite côté français.