ClaudeJ a écrit:
Dans ce travail, qui a pour titre "Why didn't the Bismarck shoot down any Swordfish?" (ce qu'il me semble pertinent de rappeler pour ne tomber dans des considérations trop générales) des sources pertinentes sont citées, notamment le rapport des essais menés à bord en février 1941. Selon les témoignages de l'équipage dans l'ouvrage "Battleship Bismarck: A Survivor's Story"
...
À propos du tableau des torpilles que tu postes au n°25, l'ouvrage "Bismarck: The Chase and Sinking of Hitler's Goliath" diffère un peu...
En ce qui concerne les témoignages "in situ", le plus fiable, bien connu, est celui du Baron Burkard von Müllenheim-Rechberg, qui, en tant qu'officier adjoint au Directeur de l'Artillerie, avait embarqué à bord du Bismarck, en mai 1940, dès ses premiers essais, et avait fait parti des rares survivants du 27 mai 1941. Il n'avait attaqué sa relation de "l'odyssée", qu'à dater de sa retraite, en 1975, et elle avait été éditée en 1979, en langue anglaise, sous le titre, "
Battleship Bismarck: A Survivor's Story" .
Là-dessus, on rajoute une couche de sources primaires de la Kriegsmarine, sur lesquelles le précité avait, lui-même, bordé sa narration ; cela dit, quand, le 24 mai, à 06H55, le premier officier d’artillerie, directeur de tir, le Korvettenkapitän Adalbert Schneider, exaspéré par le silence de la "passerelle", après avoir réitéré trois fois sa demande d’autorisation de tir, avait décidé de passer outre à la voie hiérarchique, en lançant à la cantonade, «
Je ne vais pas les laisser me péter mon navire sous le cul sans rien faire ! Ouvrez le feu ! ", c'est du témoignage direct, car, de par ses fonctions, il était présent! Bon, d'un autre côté, alors que Schneider s’apprêtait à outrepasser ses ordres supérieurs ou leur absence - ce qui est du kif-kif bourricot
-, Lindemann avait fini par donner l'ordre d'ouvrir le feu, avec l'accord de Lütjens, qui, jusque-là, avait atermoyé en se référant à des ordres particuliers, qui lui prescrivaient d'éviter le combat et semer ses adversaires, dans une telle situation.
A propos des ordres officiels transmis à l'amiral Lütjens, ci-dessous, leur retranscription, aimablement traduite par votre serviteur, il y aura bientôt onze ans!
[i]Commandant en Chef de la Marine Berlin, 2.IV. 1941
& Chef du Département des Opérations de Guerre Navale.
B. Nr. 1. Skl. I Op. 410/41 G.Kdos Chefs.
Ordre de la Flotte 100/41 A1 – 22 avril 1941
Annexe 1
Ordre de mission du chef d’escadre pour les opérations en Atlantique du Bismarck & du Prinz Eugen – Nom de code : Rheinübung
Destinataires :
Chef d’Escadre, exclusivement.
Commandants, uniquement pour information.
1. L’objectif de la mission est d’infliger le plus de dommage possibles à l’ennemi en détruisant sa flotte marchande et plus particulièrement celle faisant route vers la Grande-Bretagne.
2. L’opération conduite par les cuirassés Gneisenau & Scharnhorst, de janvier à mi-mars 1941, a démontré, en dépit des renseignements fournis par le B-Dienst sur les dates des convois et leurs routes prévisionnelles, qu’il est extrêmement difficile d’intercepter un convoi dans les vastes étendues océaniques avec seulement quelques unités disponibles pour ce travail et que le résultat dépend uniquement de la chance ou d’heureuse coïncidence.
Par conséquent, je n’ai pas l’intention de limiter le déploiement des bâtiments au seul objectif de détruire des convois et, dès le départ, ils devront capturer ou détruire tout vapeur qui ferait route isolément. Néanmoins, dès que possible, ils seront déployés dans le secteur d’opération de telle manière qu’ils aient de bonnes chances d’intercepter un convoi.
3. Attaque des convois
Un certain nombre de convois rencontrés par nos cuirassés durant l’opération (Berlin) étaient escortés par un cuirassé et, en une occasion, par deux croiseurs et deux destroyers. Des escortes d’une force identique doivent être prises en compte dans le futur. Les directives des Opérations de guerre Navale et du Groupe Ouest autorisent le seul Bismarck à engager un cuirassé escortant un convoi, sans intervention, tant que possible, du Prinz Eugen, sauf si son engagement, en détruisant le reste de l’escorte ou le convoi, devait assurer le succès.
En conséquence, en cas d’attaque conjointe d’un convoi par le Bismarck et le Prinz Eugen, ceux-ci devront opérer sur des bords opposés. Dans tous les cas, les ordres tactiques ou d’attaque seront du seul ressort du Chef d’Escadre.
L’identification de la force réelle de l’escorte d’un convoi, sans devoir se rapprocher à distance de combat, doit être effectuée par l’aviation embarquée. Son emploi est, cependant, fonction de la situation tactique et des conditions météorologiques, rarement favorables sur la route Halifax-Angleterre. Dès lors, il doit toujours être envisagé, qu’en cas d’attaque, le Prinz Eugen peut se trouver face à des croiseurs d’escorte, même si le Bismarck a réussi à éloigner la plus grande unité. Dans cette éventualité, l’attaque du convoi par le croiseur sera suspendue et un rapport transmit immédiatement. Mais, même s’il s’avère qu’un seul grand bâtiment protège le convoi, l’ennemi, s’il respecte les bonnes tactiques, se tiendra à proximité immédiate du convoi et le protégera sur tous ses bords. Dans ce cas, il n’est pas question d’une attaque par le croiseur. Cela n’est possible que si le grand bâtiment accepte que le Bismarck l’attire suffisamment loin de ses transports, laissant au croiseur une chance de s’approcher à distance de tir du convoi.
Si les bâtiments sont dans leurs secteurs de recherche et que le Prinz Eugen aperçoit un convoi, il devra informer, à courte distance, par un bref signal et se maintenir à extrême limite de visibilité (sans émettre de fumée). Dans l’optique d'attaques surprises ultérieures, il n’est pas dans le rôle du croiseur de vérifier la force de l’escorte. Cette tâche revient au Bismarck. Dans une attaque de convoi, l’objectif principal est de couler le plus grand nombre possible de vapeurs. Quand un convoi faiblement escorté est attaqué, son commandant disperse, généralement, ses transports. Dans ce cas, le premier objectif est de désemparer, avec l’artillerie, le plus grand nombre de bâtiments (ils pourront être coulé plus tard). Pour ce faire, les batteries ne doivent ouvrir le feu qu’avec des directions de tir précises et à la plus courte distance possible en fonction de leur calibre (batteries principales et secondaires avec obus à fusées de nez et de culot, Flak lourde, uniquement, à fusée de nez). Les vapeurs qui ont été désemparés par l’artillerie ne seront pas coulés tant qu’il restera un navire encore manœuvrant en vue du bâtiment concerné. Pour économiser les munitions, la Flak lourde doit employer des fusées de nez (à percussion) et les utiliser de la manière suivante : à une distance comprise entre 300-500 m de la cible, les meilleurs canonniers font feu, au coup par coup, à la ligne de flottaison. Le tir ne s’effectue que lorsque le navire est au haut du roulis. Trous d’impact dans tous les compartiments du vapeur (le plus grand compartiment est la salle des machines). Pour les munitions de 3.7 cm, les trous d’impact doivent être concentrés dans la partie haute du vapeur, afin que, lors de l’inondation des compartiments, l’air puisse s’échapper par le haut.
Lors d’attaque de convoi, le Prinz Eugen utilisera également ses torpilles. Contre un convoi fortement défendu, il n’y aura, le cas échéant, qu’une brève période favorable à une attaque du croiseur. Elle devra être exploitée au mieux. Dans ce cas, notamment, tout dépend d’une action rapide. Les vapeurs doivent, donc, principalement, être coulés par torpillage.
Le travail de destruction ne doit pas être retardé par des opérations de sauvetage.
Le sauvetage des survivants, notamment ceux d’un convoi qui vient d’être attaqué, peut exposer nos propres bâtiments à un sérieux danger comme des sous-marins ou une force de surface ennemie. En de telles circonstances, la sécurité de nos bâtiments doit avoir la priorité sur le sauvetage. Si nécessaire, un petit vapeur sera épargné pour sauver et accueillir les survivants.
4. Navire faisant route seul.
En l’absence d’ordre contraire, tous les vapeurs isolés rencontrés doivent être capturés ou détruits. Quand les conditions météorologiques le permettent, les embarcations doivent être mises à l’eau, les vapeurs fouillés et, si, eux-mêmes ou leurs cargaisons, s’avèrent des prises intéressantes et qu’ils peuvent repartir, ils doivent être ramenés à bon port (vérifier réserves de mazout, provisions, etc.). En principe, les pétroliers qui peuvent faire plus de 10 nœuds, les navires frigorifiques et les bâtiments rapides à moteur diesel – chargés ou non – doivent être capturés et ramener, avec un équipage de prise, désigné sur le moment, dans l’estuaire de la Gironde.
L’expérience a montré qu’il est préférable de ne pas renvoyer immédiatement les prises dans le Golfe de Gascogne, particulièrement celles qui ont transmis des signaux radio, mais d’attendre quelques semaines dans un secteur océanique éloigné, puis de les expédier, par intervalles, vers la Gironde, pour éviter que l’ennemi ne les capture à l’entrée du Golfe. Pour cela, il sera nécessaire, en certaines circonstances, de fournir, aux prises, des provisions supplémentaires et de leur faire rallier un pétrolier d’escorte pour qu’elles puissent refaire le plein. Le départ des prises pour le voyage de retour devra être précisé par un bref message.
En aucun cas les prises ne doivent retomber dans les mains de l’ennemi. Dans cette éventualité, les équipages de prise, dès leur arrivée à bord, devront prendre toutes les dispositions nécessaires pour un sabordage rapide.
Une compagnie d’abordage devra être constituée pour la fouille des vapeurs. Chaque bâtiment a embarqué trois équipages de prise et devra en constituer deux autres avec le personnel du bord. Les équipages de prise doivent être formés à la mission qu’ils ont à mener à bord des vapeurs. Tout livre de bord, matériel de codage, table de conversion ou note trouvé sur le pont, dans la chambre des cartes, dans le poste du radio, dans les poches du commandant ou ailleurs doit être saisi et examiné à bord par des officiers qualifiés dans la langue.
A l’approche d’un bâtiment naviguant seul, envoyez le pavillon britannique et gardez les tourelles à zéro degré pour éviter d’éveiller les soupçons. Signalez lui de stopper les machines et l’interdiction d’utiliser la radio. Dans la mesure du possible, il faut empêcher toute tentative de transmission d’un signal d’alerte. Pour ce faire, les dispositions suivantes doivent être prises:
a. Si le vapeur émet avant que le bâtiment soit à portée de tir, le message doit être interrompu par l’envoi d’un message radio préparé à l’avance (en langue anglaise) ou par un message météo. Dès que le vapeur est à portée de tir, ouvrez le feu, si possible, dans les superstructures de la passerelle (sur la plupart des vapeurs, le local radio est à l’arrière ou sous la passerelle).
b. Si le vapeur émet alors que la Flak lourde est à portée de tir, ouvrez le feu immédiatement et détruisez sa station radio comme au paragraphe (a). Quand il s’agit de pétroliers ou de bâtiments de valeur qui doivent être capturés intacts, ne prolongez pas le feu plus que nécessaire pour prévenir toute tentative d’émission. Veillez à établir de bonnes transmissions entre votre local radio et votre passerelle.
Faites l’approche d’un vapeur avec un bord sous le vent, stoppez rapidement les machines et mettez immédiatement une embarcation à la mer.
La compagnie d’abordage doit prendre le contrôle de tous les points névralgiques (passerelle, chambre des cartes, local radio, salle des machines) et rassembler, immédiatement, tout l’équipage du vapeur, sur le pont supérieur.
Donc, ce qu'il avait relaté à propos de la chronologie des événements à bord du Bismarck, c'est du béton.
Par contre, c'est du côté des infos britanniques, notamment, celles relatives à la "curée" du 27 mai, au matin, qu'on se retrouve avec des contradictions - nombre de pélots et torpilles tirées, résultats des tirs, etc. -. Même les rapports officiels de combat, extraits des livres de bord, sont sujet à caution.
Cà peut, facilement, s'expliquer, car les équipages de la RN étaient remontés comme des coucous suisses, après la perte du HMS Hood et, dans de telles conditions, les canonniers et torpilleurs n'avaient guère d'état d'âme pour "enfreindre" légèrement les consignes de tir, déclencher l'expédition d'un pélot supplémentaire, en dépit des ordres reçus ... "Oh, c'est ballot, Chef, mon doigt à glisser!", puis revendiquer la précision de leurs tirs.
A contrario, on constate une "étonnante" lenteur dans le sauvetage des survivants allemands, qui ne s'étaient pas noyés durant le naufrage. Certes, il n'y a rien à reprocher à la Royal Navy, qui avait fait le nécessaire, mais le HMS Dorsetshire était, à 10H30, à 2000 m de l'épave en train de sombrer, avec 800 hommes dans une eau à 12° C, où bon nombre avait déjà, sauté, dès +/- 10H15, après l'ordre d'évacuation donné sur les coups de 10 H00 du matin. Le sauvetage, à bord du Dorsetshire, seul missionné pour cette tâche, n'avait débuté qu'à 10H56, mais, officiellement, craignant la présence éventuelle de sous-marins allemands, il n'avait mis aucune embarcation à la mer et s'était contenté de laisser filer des cordages et des bouts le long du bord.
A 11H46, 50 minutes après son arrivée sur zone et alors que moins d’une centaine de marins allemands (4 officiers et 81 hommes d’équipage) était parvenue à franchir le bordé, les klaxons avaient signalé un sous-marin en approche. L’information s’avèrera être fausse mais les opérations de sauvetage avaient été immédiatement interrompues ; un jeune aspirant compatissant, qui avait enjambé le bastingage pour tenter d’aider un marin allemand, aux mains arrachés, qui essayait de s’agripper à un cordage avec les dents, avait immédiatement été consigné dans sa cabine pour avoir abandonné le bord sans autorisation (Véridique!) !
Ce n'est qu'à midi que le destroyer HMS Maori avait pris la relève du Dorsetshire et était revenu sur zone pour sauver 25 hommes de plus. Les autres, frappés d’hypothermie, les tenues et les gilets de sauvetage gorgés d’eau de mer, submergés par les vagues, avaient coulé à pic ou flottaient, sans vie, à perte de vue.