ClaudeJ a écrit:Il y aussi le "mystère" de son artillerie antiaérienne qui a été inefficace contre les biplans Swordfish : malgré un feu nourri et des coups au but, aucun ne seront abattus.
Les difficultés inhérentes au tir contre une cible aérienne, a fortiori en mer
[*]L'équipement du Bismarck n'était pas optimal
[*]les conditions d'engagement n'étaient pas favorables
[*]les faiblesses présumées du Swordfish se sont révélées avantageuses[/list]
Spécifiquement :
- Les Swordfish, des avions torpilleurs, ont mené une attaque à basse altitude (théoriquement à 18 feet, ou 5,5 m, "d'altitude"). C'est un profil d'attaque auquel s'oppose des limitations mécaniques des pièces d'artillerie (de débattement notamment) qui réduisent l'efficacité globale du feu antiaérien
- La vitesse réduite des Swordfish (environ 210 Km/h au niveau de la mer et 167 Km/h environ pour larguer la torpille) a perturbé la conduite de tir du Bismarck, qui n'était pas calibrée pour prendre en compte des vitesses aussi faibles*
- La cadence de tir limitée de l'artillerie antiaérienne légère du Bismarck a réduit le volume de feu opposé aux avions adverses, tandis que la visibilité, les manœuvres du navire et l'état de la mer ont réduit la précision des tirs (à vue)
- La structure du Swordfish était légère (cellule tubulaire métallique entoilée. Pas en bois, à ma connaissance.) et les obus passaient tout simplement à travers, ou ne provoquaient pas de dégâts assez conséquents pour l'empêcher de voler.
Qu'en dites-vous ?
Outre le fait que le Bismarck n'était pas sans failles, cela m'inspire aussi que sa doctrine d'emploi n'était pas adaptée aux conditions de guerre navale de son époque, qui a vu la domination des avions sur la cuirasse.
J'adore les Grands-Britons quand ils font feu de tout bois pour (tenter d') expliquer leur succès ou, plus vulgairement dit, "se font du vent sous la queue"!
L'artillerie antiaérienne du Bismarck était composée de :
Flak lourde :
8 tourelles doubles de 10,5 cm L/65 SKC 33 LC/31 et LC/37 - c'est juste une histoire de modèle de tourelle! - élévation : -8°/+80°, cadence pratique de tir (par pièce) : 9 coups/min, soit 18 par affût.
Flak moyenne:
8 affûts doubles de 3,7 cm L/83 SKC 30 - élévation : -10°/+85°, cadence pratique de tir (par pièce) : 100 coups/min, soit 200 par affût.
Flak légère:
10 x 2 cm monotubes L/65 C/30 - élévation : -11°/+85°, cadence de tir : 120 coup/mn.
2 x 2cm en affût quadruple L/65 C/38 - élévation : -10°/+90°, cadence de tir : 220 coup/mn (par tube, soit 880 coups par affût).
Pour l'époque, c'était une DCA très costaude et l'attaquant volant passait des instants très difficiles face à un "vrai mur" de pélots de tous calibres. Sauf que la DCA navale ou terrestre de l'époque, quelque soit son camp, a, alors, toujours, eu des résultats apparents relativement médiocres en termes d'appareils abattus, ramenés au nombre de projectiles tirés et que les dégâts humains et matériels subis, sans perte définitive d'appareil, eux, se révèleront beaucoup plus importants, au fil du conflit - L'US Air Force déclara, ainsi, à l'été 1944, 30% de sa flotte de bombardiers, à moyenne et haute altitude, immobilisés au sol pour ces raisons! -.
Cela dit, en pleine mer, de nuit (ou, au mieux, entre chiens et loups) , dans des conditions météo très compliquées pour les deux adversaires - le cuirassé, d'un part, et les avions-torpilleurs, de l'autre -, entre les tirs mal réglés de la Flak, à partir d'une plateforme secouée, et les largages de torpilles "au petit bonheur", on entre dans le domaine de l'incertitude totale!
Accessoirement - tout est relatif! - l'artillerie principale du bord, 4 tourelles doubles de 38 cm et 6 doubles 15 cm, avait été sollicitée, lors de chaque attaque d'avions-torpilleurs, car, vu l'altitude d'attaque des Swordfishes, les colonnes d'eau générées par la détonation des obus explosifs, à l'impact de l'eau... ils en prenaient une dans la tronche, l'équipage finissait, au mieux, en interprétant la danse des canards dans la baille!
Cela dit, en parlant d'altitude d'attaque, le lundi 26 mai 1941, dans le Golfe de Gascogne, lors de la troisième attaque d'avions-torpilleurs - il y avait eu une première, sans résultat, à 23H30, le 24 mai, au débouché du Détroit de Danemark, par neuf appareils du 825th Squadron, plus trois Fulmar, embarqués à bord du HMS Victorious!; lors de la deuxième, ils s'étaient trompés de cible, en tentant de torpiller le HMS Sheffield, qui s'était sauvé les fesses, car 5 ou 6 des 12 torpilles larguées avaient détonné en entrant brutalement en contact avec la flotte (défaut des nouvelles fusées magnétiques) et les autres avaient été évitées par une manoeuvre du croiseur! -, ... qui s'était déroulée à partir de 20H30 (Heure de Berlin), la météo était exécrable, le vent avait forci jusqu’à force 9, les vagues avaient des creux de 8 à 10 m et l’épais plafond nuageux ne permettait pas une attaque groupée! Les Swordfish, en file, se succéderont rapidement pour larguer leurs torpilles, à 700 m de distance! L’affaire ne durera même pas une minute! Deux torpilles explosent sur la ceinture cuirassée, sans causer de dommages, mais une troisième, lâchée sur l’arrière du cuirassé alors qu’il effectue un virage sur bâbord, l’atteint à l’étambot, 51 secondes après le début de l’attaque.
La torpille ouvre une grande brèche sous la poupe et fausse le gouvernail ; les safrans, bloqués à 12°, embarquent le Bismarck sur bâbord; à la timonerie, la barre ne répond plus; le choc de l’explosion a détruit les machines à fumée et déclenché les valves de sécurité dans la chambre des machines tribord ; la vitesse du bâtiment chute rapidement.
A partir de là, le Bismarck, en raison de ses safrans bloqués, va se mettre à devoir zigzaguer à 8-10 noeuds jusqu'au petit matin, la pression de vapeur dans les turbines, sollicitées à leur maximum, atteignant des limites inquiétantes ! Précédemment, même après avoir encaissé un gros pélot, sur son avant, à la Bataille du Détroit de Danemark, qui lui faisait embarquer des paquets de mer et l'avait contraint à ralentir, quand la mer le permettait, il marchait encore à 28 noeuds !
Sans cette torpille, grand coup de malchance, en maintenant sa vitesse, après 21H00 dans la nuit du 26 au 27 mai, il serait entré dans la zone d'intervention de la Luftwaffe et, là, les Brits auraient mis la pédale douce pour leur poursuite.
Bon, d'accord, depuis le pélot encaissé, le matin du 24, dans l'étrave, sa consommation en mazout avait sérieusement augmenté, et, dès 19H03, le 26, - donc, avant la seconde attaque du jour des Swordfishes - , le Bismarck, en route vers Saint-Nazaire - avait transmis un message assez hermétique «
Situation mazout urgente – Transmettre cordonnées prochain ravitaillement. » -
Kurzsignalverfahren Kurier, procédure de transmission chiffrée de la Kriegsmarine, à base de codes prédéfinis ; la brièveté de l’émission interdisait tout relèvement par l’adversaire mais son cryptage, formaté à l’extrême, ne permettait pas de véhiculer des informations particulières. Le transmetteur du Bismarck avait utilisé la seule formule chiffrée qui évoque la situation de carburant, mais exige d’être combinée avec une question sur le ravitaillement -, qui avait longtemps laissé perplexe le Gruppe West de la Kriegsmarine.
Néanmoins, même en passant une nuit très difficile à loucher sur les jauges de mazout, à vitesse normale, et devant lever le pied (comme les Brits!), à cause de l'état de la mer, le Bismarck se serait retrouvé à l'abri, dès l'aube du 27.
En ce qui me concerne, sans entrer dans de complexes justifications politiques, parfaitement justifiées envers le III. Reich et son régime meurtrier, le sort du cuirassé avait été le résultat d'une série très exceptionnelle de malchances, qu'on pourrait qualifier de "poisse puissance 10" et, d'ailleurs, il y en a des kilos à raconter à ce seul sujet.
S'il n'y avait pas eu cette histoire de pélot encaissé le 24 mai, qui avait contraint, ce même jour, le Bibi à marcher à 16 noeuds, le temps d'identifier et réparer les dégâts, puis à se dérouter vers un port français, la division allemande aurait tranquillement disparu dans l'immensité de l'Atlantique Nord... et, là, pour tenter de remettre la main dessus, dur, dur! Comme quoi, certains évènements militaires ne tiennent à pas grand-chose.
Je rappelle, juste, que la Royal Navy, quelques mois plus tard, en décembre 1941, perdra les HMS Prince of Wales et Repulse, dans l'Océan Indien, non pas à la troisième attaque aérienne, mais dès la première!