Post Numéro: 19 de Carman 09 Jan 2006, 09:52
Nous trouvions que les alliés tardaient à enfoncer le front..
Enfin, nous avons vu des allemands épuisés traverser la ville dans des équipages de fortune. Parfois dans des charrettes, souvent dans des voitures civiles camouflées par des branchages. J'en ai même vu une dont les occupants en uniforme, pour faire bonne mesure, avaient tendu en plus un drapeau blanc sur le toit.
Les bombardements continuaient dans la région; notamment à Trappes où nous sommes allés en vélo voir la gare de triage bombardée 3 semaines auparavant. Sur la route, bien avant d'arriver, les champs étaient littéralement labourés de trous de bombes. Sur place, que des ruines sur lesquelles planait un silence de mort.Un cheminot qui semblait dépassé nous a dit en nous montrant un passage sous les voies effondrées: "On croit que le chef de gare est là dessous..." Mais personne pour déblayer...
Le risque dêtre surpris par un bombardement était tel que les récoltes se faisaient à la sauvette. Ainsi, on allait dans les champs arracher les rames de petits pois, on les mettait dans la remorque du vélo, et on rentrait bien vite à la maison pour cueillir tranquillement les gousses.
Le bruit courut qu'un américain seul sur une moto avait fait un raid depuis Laval jusqu'à Nogent-le-Rotrou. Difficile à croire, mais ça nous faisait plaisir.
Le 12 aôut, mon frère apprit que le camp de Satory avait été abandonné par les allemands. Aussitôt, il m'y emmena en vélo avec lui, dans le secret espoir de récupérer des armes. Mais beaucoup d'autres pillards nous avaient précédés, et nous n'avons trouvé que...d'immenses rouleaux de papier photosensible pour tirer des plans, et des skis avec les chaussures adaptées.
Tout à coup, un mauvais plaisant cria: "voilà les ss !". C'était plausible et nous avons filé la peur au ventre.
Le 23, nous appriment que les alliés étaient à Rambouillet. Nous n'avons donc pas été surpris quand nous avons entendu le lendemain des bruits de fusillades. Je m'attendais même à davantage de grabuge.
Vers 17 heures, un petit avion d'observation nous a survolés à une altitude d'environ 300 mètres en se dirigeant vers l'est. Il portait sous ses ailes les rayures noires caractéristiques de l'armée de l'air américaine. Des tirs d'armes légères se déclenchèrent sur lui. J'ai été étonné, parce que je croyais les allemands déjà partis. Je voudrais bien savoir quelle était la mission de cet avion ?
A-t-il été atteint ? Toujours est-il, d'après un camarade qui avait une meilleure visibilité, qu'il a effectué un virage, et je crois qu'il s'est posé sur l'avenue de Paris, (qui est très large); car le lendemain, la carcasse incendiée d'un petit avion s'y trouvait. On sait que les résistants de la préfecture de police à Paris ont reçu à la même heure un message jeté par un petit avion. S'agit-il de celui que j'ai vu ? J'ai entendu dire que son équipage était constitué de 2 canadiens, qui ont été tués..
La nuit venue, nous avons entendu et observé des tirs d'artillerie. On voyait des grappes de 4 ou 5 points lumineux monter dans le ciel et s'éteindre. J'ai su plus tard que c'étaient les canons de la 2ième DB qui tiraient depuis le pont de Sèvres sur une batterie allemande implantée à Buzenval. Mais, sur le moment, je m'inquiètai, parce que je pensais que c'était l'artillerie allemande qui tirait sur les troupes alliées....
A 22 heures, nous avons entendu à la radio la nouvelle que Paris était libérée. Ça nous a laissés sceptiques, parce que nous n'avions pas l'impression que Versailles l'était...
Je me suis couché, pas trop rassuré. Au matin, j'ai vu passer sous nos fenêtres un civil, un brassard FFI au bras gauche, un pistolet dans la main droite, un peu frimeur...Il marchait en sens inverse de celui dans lequel j'avais vu passer 4 ans plus tôt des soldats allemands, et je vis là le moment symbolique de notre libération.
Alors, nous avons mis aux fenêtres les drapeaux américains et anglais que nous avions soigneusement préparés; les voisins en ont fait autant, et nous sommes partis en ville, ma soeur et moi.
A la préfecture, des camions qui n'étaient pas allemands étaient rangés, mais point de soldats. J'étais un peu déçu, je croyais voir un déploiement de moyens militaires. La façade de l'hôtel de ville était marquée de quelques impacts.
Le spectacle était dans la rue principale, mais quel spectacle ! Des femmes à moitié dévêtues, la chevelure défaite, étaient promenées à travers la ville et malmenées. Je demandai à ma soeur: "Mais qu'ont-elles fait pour être traitées ainsi ?" Elle me répondit laconiquement: "Elles sont allées avec des allemands". Je ne compris que quelques années plus tard...
Le soir, nous sommes retournés en ville, où j'ai aperçu un attroupement et entendu des discours. Nous avons appris que l'aviation allemande avait bombardé Paris.
Une journée comme celle-là, tous ceux qui l'ont vécue vous diront qu'elle a été unique de fraternisation populaire.
A suivre...