Post Numéro: 1403 de François Delpla 05 Mai 2020, 18:22
La honte, Delpla !
J'avais cité il y a quelques années, dans le précédent fil sur le Htbf
viewtopic.php?f=17&t=23180 , le livre fâcheusement méconnu du diplomate Fritz Hesse (1881-1973)
Das Spiel um Deutschland (1953). Je m'en étais servi pour contester l'idée que, si Hitler voulait la paix, il n'avait qu'à le dire plus clairement au lieu de laisser l'entrevue Göring-Dahlerus du 6 mai infuser lentement dans les organismes anglais et français. J'avais lu dans ce livre que, début juillet 40, Hesse était chargé, au sein de la section anglaise de la Wilhelmstrasse, de préparer un gigantesque lâcher de tracts sur l'Angleterre avec des conditions de paix précises... puis que les tracts avaient fini au pilon.
Je supposais que c'était un effet de Mers el-Kébir, ou plus exactement du renforcement de la position de Churchill à la suite des réactions des Communes, puis de Roosevelt, à l'événement. Entre l'armistice avec la France et l'opération Catapult, Hitler pensait que le bellicisme britannique allait tomber comme un fruit mûr et attendait sans doute, de ce lâcher de tracts, la chiquenaude qui manquait. La consolidation de la position churchillienne après Oran lui aura fait craindre à nouveau qu'une démarche aussi nette soit contre-productive, en permettant à Churchill de clamer (en toute vérité, qui plus est !) que l'Allemagne avait peur d'une guerre longue et mendiait la paix. La même crainte avait sans doute retenu Hitler de ressortir crûment, au moment du Haltbefehl, les offres faites à Dahlerus SOUS CHAMBERLAIN. Entre-temps, l'armistice de Rethondes avait suffisamment miné la position churchillienne pour permettre d'envisager le procédé du lâcher de tracts et d'en attendre des effets positifs, pour le nazisme s'entend.
La honte, donc : je viens seulement de découvrir que le livre de Hesse
parlait aussi du Haltbefehl (p. 242-244), directement ! Le passage pose quelques problèmes, mais a toute sa place dans le dossier :
Il n'est pas douteux que les fautes commises pendant la campagne de France soient également à mettre sur le compte du Führer.
L'événement le plus étonnant dans cette catégorie est la célèbre intervention de Hitler dans les opérations de l'armée blindée de Guderian en train d'attaquer Dunkerque, à laquelle il imposa un arrêt sous des prétextes risibles, alors que son véritable but était d'empêcher l'anéantissement de l'armée de terre anglaise.
J'ai encore dans l'esprit la stupéfaction que j'éprouvai devant les informations dont Hewel me fit part à l'époque. "Le Führer, m'expliqua-t-il triomphalement, est intervenu personnellement pour permettre aux Anglais de s'échapper par Dunkerque." Il était convaincu que cette attitude "chevaleresque", serait politiquement payante et que Churchill, une fois qu'on lui aurait épargné la dernière défaite, serait prêt à s'entendre avec Hitler. "Représentez-vous, criait Hewel, ce que cela aurait signifié, si la totalité des forces armées de terre anglaises avait été anéantie. Nous aurions, le Führer en est convaincu à 100%, obligé par là les Anglais à se battre jusqu'au dernier homme."Walter Hewel, suicidé au lendemain de la mort de Hitler comme bien des fanatiques, est auprès de lui l'homme de Ribbentrop. Il est dommage que cette conversation ne soit pas plus précisément datée. Elle peut induire à croire que le Htbf était destiné à permettre l'embarquement britannique (ce qui est faux, à mon avis, puisqu'il était destiné à produire à très brève échéance le renversement de Churchill et la paix générale). Donc Hitler trompe également Hewel. Sans doute, pour ne pas démobiliser trop tôt les ardeurs combattantes, dissimule-t-il entièrement (sauf peut-être à Göring) son espoir d'une paix toute prochaine.