Post Numéro: 1 de massassi1 12 Mar 2020, 17:53
Le 13 mai 1940 au petit matin, le quadrimoteur Farman NC 2234 « Jules Verne » décolle de Lanvéhoc-Poulmic (base aéronavale de Brest) et bombarde la gare de triage d’Aix-la-Chapelle en Allemagne, après avoir survolé la Manche et remonté la mer du Nord en passant par Ostende, suivant une route mise au point par son commandant, le capitaine de corvette Daillière. L’équipage du « Jules Verne » comprend Henri Yonnet, pilote, Comet, navigateur, Scour, maître-radio, Deschamps, second maître bombardier et Corneillet, maître mécanicien. Lors de la sortie du 13 mai, l'appareil non protégé par la totale obscurité de la nuit, bombarde le pont de Maastricht au petit matin ; l’avion et son équipage rentrent sains et saufs, après avoir réussi le premier bombardement stratégique sur l’Allemagne. Le jour suivant, effectuant la même mission et passant par le même chemin, la DCA réagit, mais l’avion rentre intact. Dans la nuit du 19 au 20 mai, le « Jules Verne » bombarde à nouveau la gare d’Aix-la-Chapelle à 400 m d’altitude. La DCA cette fois le guette et l'appareil se fait arroser copieusement. Par chance l’équipage rentre à bon port. Le 6 juin, dans un acte presque désespéré, la France décide de bombarder Berlin. Une telle mission paraît alors totalement impossible. Située au cœur de l’Allemagne, la ville est défendue par une formidable DCA (tubes antiaériens de 40 mm, canons de 88 et 128 mm), et se trouve protégée au nord et à l’ouest par plusieurs lignes de défense anti-aérienne et surtout par la chasse allemande. Le « Jules Verne » est le seul avion disponible. Aucun chasseur ne l’accompagne. Chargé d’essence et de bombes (80 bombes incendiaires et explosives de 10 kg), le « bombardier » (qui n’a pas de soute, les bombes sont larguées à la main par la porte latérale) se traîne à tout juste 200 km/h, devenant une cible idéale pour la chasse allemande. Ce jour-là, heureusement, elle ne vole pas la nuit. Le trajet passant par la mer du Nord oblige à parcourir une route de plus de 2 000 kilomètres, une mission qui peut durer des heures au cours de laquelle de mauvaises rencontres sont possibles. Qu’une seule balle explosive de la DCA, d’un fort ou de la chasse le touche et l’avion exploserait en l’air. Le 7 juin à 15 h 30, le « Jules Verne » décolle péniblement de Mérignac, sous la pluie, et remonte vers le nord la côte atlantique. À Brest, l’avion bifurque vers l’est. Le Pas-de-Calais est franchi tous feux éteints et l’appareil remonte la mer du Nord, vers Ostende, comme prévu. Après un cap au nord-est, à travers la mer du Nord, la traversée du Danemark, la mer Baltique, le « Jules Verne » oblique au sud vers Berlin. Il faut arriver sur Berlin par une voie improbable. Les Allemands ne croient pas qu’un raid aussi long soit possible. C’est la chance du « Jules Verne » : il est inconnu des militaires. Vers minuit, Tempelhof, l’aérodrome de Berlin, entièrement éclairé, est survolé. Daillière demande à Yonnet de faire une présentation d’atterrissage, de manière à passer pour un appareil allemand, puis d’effacer la piste. Berlin a la réputation d’être entouré de ballons de protection dont les câbles d’acier peuvent sectionner une aile du NC 2234. Effectuant un passage à faible altitude, 100 m, et grande vitesse, 350 km/h, le « Jules Verne » lâche ses bombes. Comme soufflant une chandelle, Berlin éteint ses feux. La DCA se déchaîne, mais les projecteurs n’ont pas encore accroché le quadrimoteur français. Le « Jules Verne » reprend de la hauteur ; il est maintenant à portée des affûts anti-aériens de 40 mm, mais Corneillet et Deschamps n’ont pas balancé toutes les bombes ; Daillière décide de refaire un passage. Le tir de barrage de l’artillerie allemande est cette fois d’une densité incroyable. Le « Jules Verne » se fraie un passage quand il est accroché par les projecteurs. L’appareil s’éloigne. Le commandant demande à son pilote des changements de cap pour dérouter la chasse de nuit, alertée. Le retour est calme, hormis un dernier barrage de DCA aux abords du Rhin qui est franchi au sud de Cologne. Le 8 juin à 5 h 10, après 13h40 de vol, l'appareil se pose à Chartres pour prendre du carburant, puis il fait une courte escale à Orly, avant de regagner Brest. Trois jours plus tard, le quadrimoteur effectue un nouveau raid en Allemagne, contre les usines Heinkel, à Rostock. C’est ainsi qu’entre le 13 mai et le 16 juin, le « Jules Verne » accomplit huit raids sur l’Allemagne au départ du Poulmic et quatre au départ de Mérignac.