thucydide a écrit:Beogles a écrit:Et encore une question.
(J'espère que je ne l'ai pas déjà posée. Je n'arrive pas à m'y retrouver sur le site pour faire une recherche uniquement dans ce fil).
Nous sommes le mercredi 15 mai 1940 : "Je me souviens de ce tir, commandé par l'observatoire, pour arrêter une colonne de tanks. Par 25..."
Que signifie : "Par 25" ?
Un tir le 15 mai, mais avec quel canons, puisqu'ils avaient reçu l'ordre de saboter leurs pièces et de les abandonner le 13 mai?
Bonsoir, et merci pour l'intérêt porté à mes questions.
C'est bien le mercredi 15 mai qu'ils ont reçu cet ordre, et non le 13.
Voici le résumé que j'ai fait de ces deux jours., ainsi que le début du passage concernant le 15 mai 1940.
Résumé :
10-12-05/1940 Rien, ou pas grand-chose, sinon des avions et des passages de réfugiés.
13-05-1940 Début du sentiment de guerre. Pitoyable exode des réfugiés.
14-05-1940 Première journée de combat.
15-05-1940 Deuxième journée de combat. « Elle fut décisive pour nous en effet ». Pire que la précédente. Après 18 h 30, ordre de rendre le matériel inutilisable. Partent en courant, contournent Bulson, et « dans la nuit qui s’avance », se dirigent vers Chémery, lieu de rendez-vous. Une heure d’arrêt. Repartent pour Oches, harassés.
Voici la partie du texte qui décrit le début de la journée du mercredi 15 mai 1940 :
"Cette journée de mercredi s’annonce bien. Elle fut décisive pour nous, en effet. Ce fut la répétition de la journée précédente. Mais en pire. Les ordres de tir sont plus rapprochés. Je me souviens de ce tir, commandé par l’observatoire, pour arrêter une colonne de tanks. Par 25…
Et c’est l’aviation. Quelle journée ! Dès le matin, au {lever du} jour, c’est la 'trottinette' qui passe et nous observe. Elle est bientôt suivie par l’aviation de combat. Il ne se passe pas une seconde, dans toute la journée, sans avion dans le ciel. Ils sont par escadrilles de 10, 20, 30, 40, 50, 60,70, 80 même. Ils arrivent, cherchent leur objectif, se mettent en file indienne, et tournent en rond au-dessus. Puis, un derrière l’autre, piquent dessus en lâchant leur bombe. 60 avions piquant sur un même point, cela fait impression. Et nous assistons, impuissants, à ces attaques. Sur Sedan, nous les voyons opérer toute la journée. À notre gauche une batterie de DCA, fort active d’ailleurs, est anéantie. À droite, c’est Haraucourt qui brûle ; derrière, ce sont le PC du général et du colonel qui sont 'sonnés'. Et c’est toujours ainsi, pendant des heures et des heures. Il faut tirer malgré tout. À quand notre tour ? Mes hommes tiennent à peu près le coup, mais leur ardeur s’émousse. Il n’y a pas un seul avion ami pour nous protéger.
“Halte au feu” ! Un peu de repos bien gagné… Hélas, voici une escadrille qui se dirige vers nous. Ça y est nous sommes 'bons'. “Aux abris !” En un clin d’œil, nous y sommes, tandis que le ciel est rempli d’un vacarme épouvantable. Tout à coup, un avion pique sur nous, moteur au ralenti, lâche sa bombe qui descend en miaulant et, comme un lutteur s’arrachant à l’étreinte, d’un coup de moteur effrayant, remonte vers le ciel. Je suis au fond du trou, avec une partie de ma pièce. Couraud est près de moi. La bombe miaule, où va-t-elle tomber ? Trois secondes d’angoisse, de silence, de recueillement, et c’est l’explosion faisant rejaillir dans tous les coins des éclats. Cette fois, nous sommes baptisés. Trois bombes viennent de tomber à quelque 30 m de ma pièce, près d’un de mes dépôts à munitions qu’elles ont tout 'chamboulé'. Il n’a pas sauté, heureusement. La route est coupée en deux. Une heure de travail, et elle sera remise en état. Toute la batterie est au travail. On discute fort, c’est le premier coup dur. trois bombes sont tombées sur la 7ᵉ, 3 sur la 9ᵉ batterie. Partout pas de mal, pas de blessés.
Je garderai longtemps présentes à ma mémoire ces quelques secondes d’attente, lors de la chute de la bombe. C’est là l’effet moral produit par l’aviation. Cela vous travaille.
Ma pièce se laissa intimider. Il fallait tirer sous la menace perpétuelle de l’aviation… Cela tiraillait les nerfs qui, plus d’une fois, lâchèrent. C’est ainsi qu’à deux reprises le pointeur, pas peureux cependant, maître de lui à l’ordinaire, sauta de sa place. Je dus alors le remplacer, et tirer avec deux ou trois hommes. Cela durait deux, trois minutes, et tout revenait dans l’ordre. Mais c’était dur.
Trois hommes durent partir vers 1 h à la soupe. Poulat était en tête. Au retour, ils furent pris à partie par des avions (ils n’étaient que cinq ou six en tout cependant) qui les mitraillaient. Avec eux se trouve un Marseillais, un jeune qui faisait le 'fort' en temps ordinaire. La peur le prit ; il allait de plat ventre en plat ventre, libérant à chaque coup soit une rondelle de saucisson, soit une écuelle de soupe.
Nous avions un excellent repas ce jour-là. Il arriva vers 3 h… et froid. Les émotions n’avaient pas manqué ce jour-là. Je mangeais de bon appétit.
La fin de l’après-midi fut plus calme. Il est vrai que le dernier tir avait été effectué à un angle minimum. Nous tirions à 8 km. Cela allait mal.
6 h… “Disposition de route”. Ce n’est pas un petit travail. Il nous faut combler les 'circulaires' démolir les claies qui barrent notre sortie, rassembler le matériel. Nous sommes fatigués, mais tout le monde se met au travail.
6 h 30. Je vois arriver Monteil et sa camionnette. Que veut-il ? “Que faites-vous ?” nous dit-il, affolé, “l’ordre est arrivé de partir. La 9ᵉ batterie a fait sauter ses pièces et s’en va ; je viens chercher du matériel pour le lieutenant.” Je ne le crois qu’à demi, rien ne nous permet de voir s’il dit vrai, nous sommes isolés dans ce coin.
Le lieutenant, prévenu, saute au téléphone… rien ne répond. {Il} court d’un côté et d’autre et, finalement, revient en disant : “démolissez les pièces, rendez-vous à Chémery” ; “Ils sont là”. Avec une hâte fébrile il faut démolir la culasse et, à grand coup de masse, rendre toute pièce inutilisable. On rassemble à la hâte le matériel personnel…"
etc...