Trop souvent, l'Italie est blâmée pour avoir causé le retard de Barbarossa. On donne aussi toutes sortes de raisons pour expliquer le piétinement de la Wehrmacht sur le front de l'Est avec Hitler comme bouc émissaire. Il me semble que l'Armée Rouge devrait recevoir le crédit qu'elle mérite pour avoir causé les premières grandes défaites aux bataillons de panzers du IIIe Reich.
Les généraux allemands en ont pourtant rapporté des preuves indéniables comme par exemple Blumentritt:
"Dès la bataille de Minsk, le comportement des soldats russes en face de la défaite offrit un contraste saisissant avec celui des Polonais et des Alliés occidentaux. Même encerclés, ils défendaient leurs positions et se battaient pied à pied. Et voilà que ces soldats russes se multiplient dans une mesure jugée impensable par nous. Des divisions soviétiques dont nos services de renseignement ne soupçonnaient même pas l'existence, toutes fraîches, bien équipées, sont jetées encore et encore dans la bataille."
Blumentritt ne sera pas le seul à s'exprimer ainsi comme en témoigne Halder dans son journal en date du 10 août:
"Je m'aperçois aujourd'hui que nous avons dangereusement sous-estimé la puissance du colosse russe dans le domaine économique et, par-dessus tout, militaire... Nous avions basé nos calculs sur une force armée d'environ 200 divisions. Au bout de trois mois de combat, nous en avons déjà identifié 360 ! Aussitôt qu'une douzaine est exterminée, une autre douzaine la remplace. Notre front est trop mince et de profondeur insuffisante en proportion de son étendue. À cause de cela, les attaques répétées de l'ennemi remportent quelques succès."
Blumentritt parla pour la première fois de terreur blindée quand les généraux se heurtèrent aux T-34 russes dont ils ignoraient l'existence et sur lesquels les obus anti-chars ricochaient sans entamer le blindage.
Au procès de Nuremberg, von Rundstedt déclara:
"Dès les premiers combats, je me suis aperçu que tout ce qu'on nous avait raconté sur la Russie n'était que bourrage de crâne."
Pour expliquer les premiers cafouillages des blindés à l'Est, von Kleist dit:
" À plusieurs reprises, l'insuffisance de couverture aérienne a entravé l'action de mes colonnes blindées."
La raison en est simple, les avions de chasse soviétiques se multipliaient à la même cadence que le nombre de divisions d'infanterie et la rapidité de l'avance allemande entraînait l'éloignement des bases aériennes par rapport au front. Les aérodromes russes utilisables se faisaient rares du fait que ceux-ci pratiquaient la politique de la terre brûlée.
Au niveau politique, les nazis croyaient s'attirer des alliés et c'eut été probablement le cas s'ils n'avaient pas commis autant de crimes contre les populations slaves et juives des territoires soviétiques. Voici ce que von Kleist avait à dire à ce sujet:
"Nos espoirs de victoire s'appuyaient en grande partie sur l'éventualité d'un renversement de Staline par son propre peuple saturé de défaites. Les conseillers politiques du Führer entretenaient cette illusion."
Et Hitler se mit un doigt très profondément dans l'oeil en déclarant:
"Un coup de pied dans la porte et tout cet édifice pourri s'écroulera."
Avant même l'hiver, la saison de la boue ou Rasputitza s'installa. Témoignage de Blumentritt:
"Les fantassins pataugent, glissent, et tous les véhicules s'embourbent jusqu'au moyeu. Chaque pièce d'artillerie doit être tirée par un attelage de plusieurs chevaux. Même les tracteurs à chenilles n'avancent que difficilement. Une grande partie de l'artillerie lourde est restée enlisée dans cet océan de boue gluante... L'état d'épuisement de nos troupes s'imagine sans peine."
Il ajoute:
"Alors que Moscou est presque en vue, le moral des officiers et des hommes commence à baisser. La résistance ennemie s'accentue et les combats deviennent plus féroces. Plusieurs de nos compagnies sont réduites de 60 à 70 hommes. L'hiver vient à grands pas, et nous n'avons pas encore reçu d'équipements chauds... Derrière les lignes, les forêts et les marécages se peuplent de partisans dont l'action se fait durement sentir. À chaque instant, nos colonnes de ravitaillement sont attaquées."
La retraite de Rostov fut la première défaite importante du Troisième Reich, comme l'admit plus tard Guderian. Elle coûta le poste de commandement à von Rundstedt qui déclara à Nuremberg:
"Alors que nous battions en retraite, le Führer m'intima l'ordre de tenir bon: "Restez où vous êtes, ne reculez pas d'un pouce." Je répondis: "Essayer de tenir est une folie. D'une part mes troupes ne le peuvent plus. D'autre part, si elles ne se replient pas, elles seront anéanties. Annulez votre ordre ou trouvez un autre chef pour l'exécuter." La réaction du Führer me fut transmise dans la nuit: "J'accède à votre requête et vous prie d'abandonner votre commandement." Je rentrai alors en Allemagne.
Hitler remplaça alors Rundstedt par Reichenau qui demanda l'autorisation de poursuivre la retraite, ce qui lui fut accordé.
L'entêtement de Hitler à tenir la position fut salutaire au début quoiqu'en pensent les généraux, mais elle conduisit au désastre de Stalingrad et à l'effondrement final par la suite.
Donc l'idée que le général Hiver est le seul responsable de la débâcle allemande est totalement injustifiée. Il ne fut qu'un facteur aggravant du désastre qui avait déjà commencé plus tôt.