Borsig a écrit:Il apparaît
-que l'Allemagne tâte le terrain en demandant d'urgence un nombre de Juifs si élevé qu'il faudrait bien, pour obéir, abolir toute distinction suivant la nationalité;
C'est votre interprétation.
Comment expliquez-vous les exigences des Allemands dix jours plus tard quand ils demandent explicitement une rafle de 5 129 Juifs français ? Pourquoi ne pas avoir été explicite lors de la réunion du 2 septembre ?
Le 2 septembre 1942, Laval quémande aux Allemands de ne pas lui demander de livrer des Juifs français. Mais ce jour là, les Allemands ne décident... rien. Ni le lendemain, ni les jours suivants.
Durant trois semaines, les Allemands tergiversent, ce qui autorise Röthke à vouloir bousculer les choses, c'est à dire à programmer une rafle ciblant plus de cinq mille Juifs français. Le fait, au demeurant, jure là encore avec la thèse selon laquelle un accord de sauvegarde des Juifs français aurait été conclu en juillet avec Vichy. Mais comme Röthke n'ignore pas que Vichy commence (commence, seulement) à freiner des quatre fers s'agissant des Juifs français, ce S.S. prend ses précautions: la Préfecture de Police, pour éviter les fuites, ne doit être prévenue que la veille, et encore en lui précisant simplement qu'elle devra procéder à une "vague d'arrestations de grande envergure", sans lui dire qu'il s'agit d'une "action antijuive" (Klarsfeld, vol. III, p. 1135-1138).
Comme Röthke tient ses supérieurs (Eichmann, et donc Himmler) ainsi que l'appareil policier en France (Oberg, Knochen) informés de ses démarches, j'en déduis que cet officier S.S. est utilisé par sa hiérarchie pour tâter le terrain sur la question, déjà abordée par Laval le 2 septembre 1942, des Juifs français, voire presser Vichy de livrer davantage de Juifs étrangers. Ce qui n'interdit pas aux hiérarques nazis de prendre du recul pour analyser la "situation politique" de Vichy au regard des protestations déclenchées par les rafles de l'été. Serge Klarsfeld, lui, tend à faire de Röthke un genre de chien fou dans le genre de Dannecker, ce qui ne me convainc pas: sur une question de cette importance, qui intéresse à la fois la Solution finale et les relations Berlin-Vichy, on ne laisse pas un tel fanatique agir de la sorte durant trois semaines entières si ses agissements contreviennent à la politique du Reich.
Du reste, c'est dans cette époque d'incertitude, d'un durée de trois semaines, que Vichy laisse les Allemands embarquer plusieurs centaines de Juifs français des camps de Pithiviers et de Drancy (alors que si un accord de sauvegarde des Juifs français avait été conclu en juillet 1942, les interlocuteurs français des Allemands n'auraient pas manqué de s'en prévaloir pour ne serait-ce que tenter de mettre en échec les agissements allemands). Ces épisodes très localisés prouvent, à mon sens, que Vichy, dans l'attente de la réaction allemande à sa demande concernant les Juifs français, reste dans l'expectative... et cède en certains cas à l'occupant. Ce qui ne serait pas le cas si un accord de sauvegarde des Juifs français avait été conclu en juillet.
Ce n'est que le 25 septembre 1942 que Knochen transmet à Eichmann une directive de Himmler suspendant les arrestations de Juifs français. Conséquence: le projet de Röthke est, dans l'immédiat, enterré. Mais d'autres rafles interviendront, ciblant plusieurs milliers de Juifs étrangers - avec la bénédiction du régime de Vichy.
Trois semaines se sont écoulées, une véritable éternité quand on voit le nombre de convois qui partent à destination des camps d'extermination depuis le mois de juillet. Himmler n'a pu prendre tout seul cette décision, qui intéresse les relations diplomatiques avec la France de Vichy. Le 22 septembre 1942, c'est à dire trois jours avant le mémo de Knochen, il s'est entretenu avec Hitler sur la question du travail forcé des Juifs (Peter Longerich, Himmler, Paris, Héloïse d'Ormesson, p. 599 et 883), ce qu'a rappelé F.D. dans ce fil. Il n'est pas impossible que la question des Juifs de France ait été évoquée à cette occasion.
Pourquoi n'existe-t-il aucun rapport interne dans lequel les Allemands disent, au sujet de la "conversation" du 2 septemlbre, que les Juifs français étaient la cible ?
Mais il existe, ce rapport interne, c'est le mémo de Knochen à Eichmann du 25 septembre 1942, que je reproduis ci-dessus.