Post Numéro: 462 de alainmichel 20 Mar 2017, 03:43
Je reprends la suite de ma réponse à Nicolas Bernard en commençant par ses questions :
N.B. Si un accord de sauvegarde des Juifs français a été conclu avec les Allemands en juillet 1942, pourquoi, les dits Allemands (en l'occurrence: Heinz Röthke) planifient-ils, visiblement sans se poser de question, la rafle des Juifs français en septembre 1942, avant que cette opération ne soit suspendue par Himmler le 22 septembre 1942?
N.B. - Si un accord de sauvegarde des Juifs français a été conclu avec les Allemands en juillet 1942, pourquoi les nazis font-ils déporter 1.000 hommes, femmes et enfants, dont 540 français de naissance, presque tous les autres étant naturalisés français, du camp de Pithiviers pour Auschwitz, le 21 septembre 1942, avec l'accord de la Préfecture de Police? Et quid de la déportation de 540 autres Juifs français le 23 septembre 1942, à partir de Drancy? Pourquoi Vichy ne rue-t-il pas dans les brancards/ne fait pas poliment remarquer qu'il y a là, comme qui dirait, un problème?
N.B. - Si un accord de sauvegarde des Juifs français a été conclu avec les Allemands en juillet 1942, pourquoi Laval se complique-t-il la vie à supplier aux Allemands de ne pas lui demander de déporter les Juifs français, le 2 septembre 1942, alors qu'il lui suffit de faire valoir... la conclusion de cet accord ?
Je vais traiter ces trois questions de N.B. ensemble pour deux raisons. La première est qu’elles font toutes trois parties d’une même méthode, qui consiste à vouloir remettre en cause une approche historique en lui opposant une série de faits qui seraient en contradiction avec les conclusions de cette approche. Ce type d’attaque est très problématique car au lieu de traiter la globalité du sujet, il se focalise sur des points de détails en affirmant que si ces points de détails sont comme présentés dans cette attaque, leur simple existence contredit l’ensemble de l’approche contestée. Or il est bien évident que dans toute reconstruction historique a) il existe des exceptions et des contradictions, puisque nous sommes dans une histoire humaine, et que les êtres humains passent leur temps à accomplir des actes illogiques et contradictoire ; b) que dans tout narratif et reconstruction historique il existe des erreurs ou des imprécisions, et que leur mise en lumière ne démontre pas obligatoirement la fausseté de l’approche globale. Dans le cas présent, même si ce que disait NB était réel (et nous verrons plus loin que ce n’est pas le cas), cela n’annulerait pas le fait qu’entre juillet 1942 et août 1943 le nombre de déportés juifs citoyens français est minime (à l’exception bien entendu des enfants français de Juifs étrangers, mais ils ont été assimilés à leurs parents) et que N.B. ne donne aucune explication quand à ce fait qui est le point de départ de mon approche. Cette « pause » dans l’arrestation et la déportation des Juifs citoyens français doit pouvoir être expliquée, or je ne vois pas d’autres événements qui expliquent cette étrangeté si ce n’est l’accord de début juillet 1942 et la remise en cause de cet accord en août 1943, deux événements étayés par les archives allemandes elles-mêmes. En passant, cela montre également que l’analyse des chiffres de la déportation ne doit pas se faire de manière arbitraire, en fonction des années, mais en fonction des changements qui interviennent dans la politique de déportation elle-même : de mars à début juillet 1942, de juillet 1942 à août 1943, de août 1943 à la Libération. Ce découpage met en évidence « la pause » dont je parlais à propos de la déportation des Juifs français.
Venons-en maintenant aux trois objections de N.B. que nous traiterons dans l’ordre chronologique et non dans le désordre proposé.
A/ L’entretien avec Laval du 2 septembre 1942. Tout d’abord le vocabulaire employé par N.B. est absolument inadéquat. Laval ne « supplie » pas et il ne parle d’ailleurs pas du tout des Juifs français. Je conseille de ne pas utiliser la version publiée par Klarsfeld dans « Le calendrier », où le document est interrompu par les commentaires de Klarsfeld, mais d’aller voir le document dans son intégralité, publié par le même Klarsfeld dans « Vichy-Auschwitz » édition de 1983, p. 407-409. En ce qui concerne la question de la déportation, Laval, d’après le compte-rendu de Hagen, aborde 3 points : la réaction de l’Eglise, une considération générale suite à cette réaction demandant d’arrêter les pressions sur cette question juive, et enfin un rappel de l’accord qui a été conclu. C’est ce troisième point qui nous intéresse ici, et je vais donc le citer intégralement :
« Il confirma une fois de plus que, conformément aux accords conclus, on livrerait d’abord les Juifs ayant perdu leur nationalité allemande, autrichienne, tchèque, polonaise et hongroise, puis également les Juifs de nationalité belge et hollandaise. Ensuite, comme convenu, on livrerait les Juifs qui avaient acquis la nationalité française après 1933.
Il a été répondu par la négative à la question du Président Laval qui voulait savoir si le Chef supérieur des S.S. et de la Police avait encore d’autres exigences à ce sujet. Là-dessus, le Président Laval a renouvelé sa demande de ne pas exercer de pression particulière en cette matière, compte tenu des difficultés actuelles. »
Résumons ce que dit ce compte-rendu :
a) Laval rappelle qu’il y a eu un accord (allusion à l’accord de début juillet 1942).
b) Cet accord concerne dans un premier temps les Juifs apatrides (ceux qui ont été arrêtés en juillet et août), puis les Juifs belges et hollandais, enfin (et ce sera l’objet de la rupture en août 1943) les Juifs étrangers naturalisés français, Laval affirmant la date « après 1933 », alors que nous savons que les Allemands exigeront en 1943 « après 1927 ».
c) Il fait confirmer qu’il n’y a pas d’autres exigences (donc les Juifs français ne seront pas arrêtés puisqu’ils ne sont pas dans l’énumération des catégories).
d) Il renouvelle sa demande de ne pas le mettre sous pression sur cette question, ce que je comprends comme étant une demande de reporter le calendrier des étapes de l’accord, ce qui explique pourquoi la question des dénaturalisations ne sera abordé qu’à partir du printemps 1943.
On le voit, tout dans ce texte vient confirmer mon point de vue, et l’interprétation de N.B. et tout simplement totalement erronée.
Je poursuivrais dans quelques jours l'examen des deux autres objections.