Post Numéro: 30 de Dom 14 Fév 2004, 22:14
Sinon un petit document assez intéressant sur ces bombardements , car vu par quelques Français prisonniers en Allemagne :
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Ayant publié dans « Le Figaro » une critique du livre de Jörg Friedrich « L’incendie » sur les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale, l’auteur de ces lignes a reçu un abondant courrier. Des lettres de Français qui avaient vécu cette tragédie à fleur de peau, comme prisonniers de guerre, comme travailleurs forcés ou en tant que collaborateurs plus ou moins volontaires des Allemands. Ils étaient à l’époque tout jeunes. Ces scènes se sont profondément gravées dans leur mémoire. Elles ont influencé le reste de leur vie.
Par exemple les descriptions de l’ancien travailleurs forcés français Marcel Janvier qui a travaillé, âgé de vingt ans, de 1943 à 1945 à Berlin, d’abord chez un fleuriste privé, puis dans des conditions plus dures dans une fabrique de charcuterie. Il décrit aussi l’arrivée des Russes dans les environs de la capitale du Reich et l’épouvantable chaos qui suivit. Des jeunes Français étaient à l’époque réquisitionnés pour le Service Travail Obligatoire (STO) et envoyés en Allemagne en remplacement du service militaire. Comme ils n’étaient pas assez nombreux, on les capturait en France dans la rue, dans le métro pour les déporter en Allemagne.
Là, ils étaient relativement bien traités, mais à la moindre faute, ils risquaient le camp de concentration. Malgré la surveillance étroite de la SS et de la Gestapo, Janvier avait des contacts très étroits avec la population allemande pour laquelle il éprouva bientôt une forte sympathie et de la pitié. Ses Mémoires relatent que l’Allemand moyen était très en colère contre le régime nazi. Chaque famille avait des morts à déplorer sur le front. Mais la terreur d’Etat était partout présente et les tapis de bombes ne laissaient pas le loisir de réfléchir. Il s’agissait toujours de survivre jusqu’au lendemain.
Il raconte comment la gendarmerie militaire, la SS ou la Gestapo fusillaient des soi-disant déserteurs, saboteurs, défaitistes pendant les bombardements quand les gens devaient sortir des maisons pour se réfugier dans les Bunkers et les gares de métro. C’était pour ainsi dire la réponse national-socialiste au « moral bombing » de Churchill. Il écrit aussi que la population connaissait certes l’existence des camps de concentration mais qu’elle ne savait rien des camps d’extermination. Si les gens l’avaient su, ils auraient eu beaucoup plus peur des vainqueurs, suppose-t-il. Lui-même a sauvé une fois une petite fille à l’Alexanderplatz en l’extrayant d’un tas de décombres. Ensuite, il a passé la durée du bombardement avec la petite et sa grand-mère assis sur le quai du métro. Reconnaissante, la grand-mère a partagé avec lui le contenu d’un flacon d’eau-de-vie qu’elle portait sur elle. Une autre fois, avec d’autres, la SS le colla au mur de cette place et ils attendaient d’être fusillés. Mais les soldats à la tête de mort changèrent d’avis.
Les récits de cet homme simple sont percutants et à frémir. Certes, on sait presque tout déjà à ce sujet en Allemagne. Mais ses descriptions réalistes refont vivre la situation de l’époque. Y compris des détails qu’il se rappelle. Par exemple comment il fallait se battre pour avoir accès dans les bunkers ou comment les jeunes auxiliaires de la DCA sur les toits des bunkers étaient systématiquement fauchés par les avions britanniques volant en rase-mottes. Il relate que les servants d’une batterie de DCA durent être remplacés trois fois au cours d’un seul bombardement. Il écrit notamment en termes lapidaires : « Il n’est que 13 h 30. Et pourtant il fait presque nuit noire. Ce bombardement a été l’un des plus longs. Quand nous nous glissons hors du bunker, un terrible vent nous accueille que développent les explosions et les incendies.
Les foyers dégagent une fumée noire que le vent balaye. Cela dure des heures. Des torches rouges percent la fumée qui couvre la ville. Quand nous retournons à l’usine, nous voyons que la maison d’en face est en flammes. Pas de pompiers en vue. Les incendies sont trop nombreux. Les courageux soldats du feu sont impuissants. Des voisins nous disent que la famille Schultz qui habite à côté, est enterrée sous les décombres de sa maison. Le père, un invalide de guerre, sa femme, la fille aînée âgée de 17 ans, et la petite, de 3 ans. Avec d’autres sauveteurs, nous dégageons les trois adultes ou ce qui en est resté. Ils sont déchiquetés et le contenu d’une lessiveuse suffit pour recueillir leurs dépouilles. Nous sortons aussi la fillette des décombres. Par miracle, elle n’est pas blessée. Sa robe seulement est un peu déchirée. Elle ouvre de grands yeux et ne laisse plus sortir un son comme si elle avait vu passer la grande faucheuse. Nous l’asseyons dans la cour sur un tas de pierres. Elle reste assise là et nous regarde ».
Plusieurs lecteurs racontent aussi les bombardements anglo-américains sur des villes françaises qui causèrent, écrit un lecteur, 67.000 morts. Ces lecteurs témoignent d’une grande pitié pour les Allemands. L’un raconte l’histoire de Halberstadt où, le 8 avril 1945, les avions alliés anéantirent la population au moment où les enfants sortaient de l’église où ils avaient célébré la première communion. Ce lecteur qui habite en Normandie évoque la destruction des trésors architecturaux comme dans le film de Guido Knopp qui est passé au début de l’année à la télévision allemande. Il s’en prend aux « calvinistes » anglo-américains sans cœur qui ont fait bien pire « avec leur pluie de soufre que les crimes de l’Inquisition catholique ». Sa lettre contient le témoignage d’Emmanuel d’Astier qui a relaté les débordements sanguinaires d’un Churchill a moitié ivre. Le Premier ministre britannique montra à son hôte français avec fierté sur une carte les villes allemandes détruites. Cette lettre contient des poèmes dédiés à la mémoire des villes allemandes et de leurs habitants.
Voici quelques-uns uns de ces vers : « Ainsi mourut Würzburg, la belle : la beauté n’est pas éternelle et le dormeur dans le feu est aisé à tuer. Hier ce fut Weimar puis Dresde. Chaque jour une nouvelle mission. Comme la guerre touche à sa fin, nous achevons le travail. Et le plan fut consommé ». Malheureusement, cette lettre ne portait pas l’adresse de l’expéditeur. Jörg Friedrich a déclaré – dans le film de Guido Knopp aussi – que l’attaque contre la ville de Pforzheim où un habitant sur trois fut tué, n’était justifiée par rien, surtout pas par des buts militaires. Un autre lecteur était mieux informé. Le commandant Bernard Préaud m’écrit que le bombardement de Pforzheim fut décidé à titre de représailles contre les tirs des Allemands sur la cathédrale de Strasbourg. Le 23 novembre, Strasbourg avait été libérée par l’armée de Leclerc mais les combats durèrent jusqu’en décembre. Quand la ville fut dans la main des Français, les Allemands se retirèrent sur l’autre rive du Rhin.
De là, leur artillerie se mit à tirer sur la cathédrale. Les canons visaient précisément et exclusivement la cathédrale et tous les coups portaient. Les troupes françaises n’étaient pas sous le feu allemand. Pas plus que les maisons voisines. Des obus de gros calibres tombaient l’un après l’autre de haut en bas sur la cathédrale dans l’intention évidente de la détruire. Comme il n’avait pas d’avions, le général De Gaulle, informé par le général Leclerc, s’adressa aux Américains. En bombardant le Sud de l’Allemagne, ceux-ci lancèrent des tracts sur lesquels on lisait : « La cathédrale de Strasbourg n’est pas une cible militaire. Si vous continuez à la bombarder, nous effacerons une de vos villes de la carte. Premier avertissement ». Mais les tirs continuèrent. Les Américains lancèrent à nouveau des tracts avec la mention : « Deuxième avertissement ». Puis il écrivirent sur une troisième série de tracts : Troisième avertissement. Cette ville est Pforzheim ». C’était au début de février 1945 et les tirs sur la cathédrale se poursuivaient.
« Ainsi envoyèrent-ils 600 bombardiers qui réduisirent en quelques heures Pforzheim en cendres et, selon quelques estimations, tuèrent 30.000 à 60.000 personnes. Un habitant sur deux mourut. Alors les tirs sur la cathédrale de Strasbourg cessèrent », raconte cet officier qui avait été stationné dans les années 50 à Pforzheim. Il relate que la ville n’était plus qu’un vaste cimetière. Des tombes et des stèles et des inscriptions se dressaient au bord des ruines de maisons et là où il y avait eu des maisons parce qu’on n’avait pas pu retrouver les morts sous les décombres. « Depuis 1955, je n’y suis plus retourné et je ne sais pas comment c’est aujourd’hui », conclut-il.
Cet officier éprouve de la compréhension pour l’attitude des Allemands aujourd’hui. Ils ont senti passer la guerre et veulent pour cette raison la paix. Mais ils ont aussi vécu deux dictatures et doivent savoir qu’il faut abattre les dictateurs avant qu’ils puissent faire des dommages. ""