Dog Red a écrit:Les wargames présentent une grande faiblesse, la mauvaise prise en compte des contingences logistiques (quand celles-ci ne sont pas purement et simplement oubliées pour des raisons ludiques).
Ils permettent d'approcher les réflexions stratégiques mais... guère plus.
Et d'autant plus à l'échelle du front de l'Est.
Nicolas Bernard a écrit:Pour résumer ma position: l'affirmation selon laquelle Hitler aurait été convaincu par Göring de laisser la 6. Armee emmurée à Stalingrad n'est qu'une légende. En réalité, le Führer a pris sa décision de tenir sur place avant même de consulter ledit Göring. Lequel servira uniquement à épater la galerie pour imposer sa décision de tenir sur place.
Reprenons les faits. L'encerclement des troupes de Paulus, redouté depuis plusieurs jours, est réalisé le 22 novembre 1942. Or, la veille, Hitler a donné l'ordre à la 6. Armee de rester là où elle était, lors même qu'elle serait temporairement encerclée. Il a également rappelé son meilleur stratège, le Maréchal Von Manstein, du front de Leningrad, pour lui confier le commandement d’une armée de secours, le Groupe d’Armées Don. Et toujours dans la journée, il a consulté le chef d'état-major de la Luftwaffe, Hans Jeschonnek: si la teneur de leur entretien est inconnue, faute de compte-rendu, il est possible que ce soit à cette occasion - ou plus tard - que Jeschonnek ait indiqué au dictateur qu'il n'était pas impossible de ravitailler par air les troupes de Paulus, à tout le moins pour une courte durée (Joel S. A. Hayward, Stopped at Stalingrad. The Luftwaffe and Hitler’s Defeat in the East, Lawrence, University Press of Kansas, 1998, p. 234-235). Ce ne pouvait toutefois être autre chose qu'une sorte d'assurance conditionnelle, d'ailleurs vite démentie par les responsables de l'aviation sur le terrain. Hitler, qui se gargarisait de chiffres, ne pouvait raisonnablement prendre une décision de cette importance sur la foi des seules déclarations de Jeschonnek.
Bref, la décision du 21 novembre 1942 prescrivant de tenir sur place découlait, non des déclarations de Göring, mais d'une appréciation compréhensible de la situation au regard des éléments disponibles: sauf à transformer la défaite en déroute, il était imprudent de prescrire un repli global, et il importait au contraire de préparer, d'une part, une contre-offensive terrestre (volet Manstein) tout en réfléchissant à un ravitaillement aérien provisoire (volet Luftwaffe). Göring n'a joué aucun rôle dans cette décision. Il présidait une conférence à Berlin sur... l'exploitation des puits de pétrole du Caucase, et informé par téléphone le 21 ou le 22, n'a pu, comme Jeschonnek, que se borner à promettre que la Luftwaffe ferait son possible, tout en commençant à réunir des appareils (Hayward, Stopped a Stalingrad, op. cit., p. 239-240).
Ce n'est que le 22 novembre 1942 que le Reichsmarschall entre véritablement en scène. Il rencontre à son tour Hitler, qui s'apprête à quitter Berchtesgaden pour rejoindre son G.Q.G. de Rastenburg. Là encore, aucun compte-rendu de l'entretien ne nous est malheureusement parvenu. Nous n'avons d'autre source, en l'espèce, que Göring lui-même. A croire ses déclarations ultérieures à ses adjoints, Hitler l'aurait soumis à un genre de chantage affectif: si la Luftwaffe ne peut ravitailler la 6. Armee, cette dernière est perdue! Göring se serait alors engagé à la "sauver", pour éviter de laisser dire que la Luftwaffe se serait dérobée à une telle supplique... Et d'ajouter que Hitler lui aurait fait part de l'avis favorable de Jeschonnek, ce qui lui aurait ôté tout argument pour y parer (Hayward, Stopped a Stalingrad, op. cit., p. 240).
Cette version est-elle crédible? Le fait qu'avec ses propres mots, Göring a bel et bien avoué ultérieurement que le Führer lui avait forcé la main - bref, l'avait... utilisé - pour appuyer sa décision de maintenir la 6. Armee à Stalingrad.
En conséquence, le 25 novembre 1942, Göring n'a plus qu'à garantir, cette fois avec la plus grande fermeté (malgré les doutes, voire le désaccord franc et massif de ses généraux), que la 6. Armee sera ravitaillée par voie aérienne. A cette occasion, l'aide-de-camp du Führer, Gerhard Engel, dans son journal, décrit cette intervention lors de la conférence se tenant à Rastenburg:Discussion majeure concernant l'approvisionnement de Stalingrad par voie aérienne. Göring s'est engagé à ravitailler l'armée. En moyenne, on pourrait acheminer 300 [500?] tonnes. On ferait appel à tout l'équipement disponibles, y compris les Ju-90, réservés aux vols commerciaux.
Z. [Kurt Zeitzler, chef d'état-major de l'armée de terre] était sceptique, estimait que 300 [ou 500] tonnes ne suffiraient pas. A évoqué la situation météorologique et les pertes. Cependant, le Reichsmarschall a déclaré avec véhémence que les avions voleraient quelles que soient les conditions météorologiques. Demiansk et d'autres épisodes avaient prouvé que c'était possible.
Son optimisme nous a horrifiés, même l'état-major général de la Luftwaffe s'abstenait de le partager. F. [Führer] était enthousiaste au sujet du Reichsmarschall, qui livrerait le ravitaillement comme il l'avait fait dans le passé. Il n'y avait pas de poule mouillé dans son entourage, à l'inverse des cercles de l'armée de terre.
Zeitzler prétendra ultérieurement que le ton serait monté à l'occasion de cette conférence, et qu'il aurait carrément traité Göring de menteur, si bien que le Reichsmarschall serait devenu livide (Kurt Zeitzler, « Stalingrad », in Seymour Freiden & William Richardson, éd., The Fatal Decisions, New York, Berkley Publ., 1958, p. 155-157). Cette allégation formulée une quinzaine d'années après les faits, déjà difficile à croire, a été pulvérisée depuis: il est établi, en effet, que Göring se trouvait à Paris du 24 au 27 novembre 1942, si bien que, compte tenu du journal de Gerhard Engel, Göring n'a pu intervenir que par téléphone ou tout autre moyen de communication. Tout au plus s'est-il de nouveau engagé, "à corps présent", lors de son retour à Rastenburg le 27 ou le 28 novembre.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Hitler n'a certainement pas décidé d'interdire toute retraite à la 6. Armee parce que Göring l'aurait convaincu d'assurer son approvisionnement par les airs. Hitler a pris la décision de tenir sur place dès le 21 novembre, et n'a plus varié depuis. Cette décision a été prise avant d'avoir reçu une quelconque estimation fiable des services de la Luftwaffe. Göring lui-même ne s'est "fermement" engagé qu'ultérieurement.
Il est exclu également que Hitler ait sincèrement cru que la Luftwaffe serait en mesure de tenir les extravagantes promesses de Göring, telles que retranscrites par Engel: aucun chiffre sérieux ne lui avait été communiqué (Jeschonnek lui-même changerait vite d'avis sur le caractère réalisable du "pont aérien"), ni ne serait communiqué au cours de la conférence, ce qui tranche avec l'habituelle "pédanterie" mathématique jadis décrite par Albert Speer. Göring lui-même n'était pas assez idiot pour y croire, et relatera plus tard s'être fait forcer la main pour soutenir le Führer et défendre l'honneur de la Luftwaffe face à l'armée de terre.
Compte tenu des circonstances théâtrales des interventions de Göring à partir du 25 novembre 1942, il y a lieu de lui accorder globalement foi, et d'en déduire que Hitler l'a impliqué dans une vaste comédie pour mieux imposer ses vues à l'armée de terre en général et à la 6. Armee en particulier - laquelle, au demeurant, attendait énormément du "pont aérien", et n'en avait pas fait mystère (sur ce point précis, voir Hayward, Stopped at Stalingrad, op. cit., p. 235-238).
Nicolas Bernard a écrit:
Nicolas Bernard a écrit:(...) il vous faudrait produire des éléments de preuve confirmant votre théorie. Or, vous admettez vous même qu'elle est mal étayée...
Chef Chaudart a écrit:
François Delpla, si je ne me trompe, (et il n'est pas le seul) pensera même que le désavoeu de son dauphin par Hitler, dans les derniers jours du III Reich, renié par le Fuhrer pour avoir osé proposer de prendre le pouvoir à la place de son chef encerclé dans Berlin, n'est lui même qu'un coup monté entre les deux hommes. Une manière de "blanchir" le Reichmarshall aux yeux des Alliés en le répudiant, pour lui déléguer la succession après la mort inévitable du Fuhrer.
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