Post Numéro: 151 de calkstein 23 Mai 2016, 10:02
Voici un extrait qui intéressera Roger, les circonstances de la mise en alerte. Racontée en fonction des mémoires de Vanovertraeten, des documents du dossier des fort et d'un témoignage recueilli par mes soins auprès d'un ancien combattant, malheureusement décédé depuis. Les nombres entre parenthèse sont les référence des documents reportés en bas de page. Vous jugerez...
"Les prémices de l’attaque sont détectées
Dans la journée du 9mai, les premiers avertissements de l’imminence d’une offensive allemande contre la Belgique parviennent à l’armée belge. Le I C.A. séparé du territoire germanique par la botte de Maastricht ne peut logiquement rien percevoir. Ce n’est pas le cas du III C.A. dont les troupes de couverture surveillent la frontière avec le Reich. Leurs rapports alarmants ne cessent d’affluer à son état-major.
Vers 18h30, le 2e bureau signale au chef d’état-major que les renseignements fournis dans l’après-midi par les postes de la frontière sont d’une nature telle qu’il y a lieu de prévoir des événements importants dans la nuit. Jamais avant ce jour, les officiers de renseignements n’avaient eu cette impression de l’imminence d’une opération. Cependant, il semble encore trop tôt pour prendre des mesures. Moins de trente minutes plus tard, il se confirme qu’il y a de nombreux mouvements de troupes allemandes en face du Limbourg Hollandais. Les renseignements sont recoupés par des observations similaires à Gemmenich et Losheimergraben. Vers 22h00, presque tous les postes-frontière font les mêmes constatations alarmantes. Une reconnaissance du 1er Lancier en position à Küchelscheid communique que les troupes allemandes sont si près de la frontière que l’on perçoit les commandements des officiers germaniques. Il y a également une grande activité dans la région de Raeren, ainsi qu’à l’est et au nord de Vaals. L’E.M.G.A. est alerté au fur et à mesure que les renseignements parviennent à la tête du III CA. Les mémoires du Général Van Overstraeten révèlent une fièvre pas toujours partagée quant à l’urgence :« On relève des indices singuliers à la frontière. Une animation anormale règne en bordure du Limbourg hollandais et des cantons rédimés. Je recommande de s’assurer que les I et III C. A. soient sur leurs gardes. Je téléphone au général Keyaerts que des renseignements reçus d'autres sources semblent recouper ses indications. Il m'apprend que dans le Grand- Duché les « touristes nazis ›› auraient pris les armes.
J’avise le baron van Zuylen : Il y a du nouveau. On signale des mouvements de troupes, des déplacements de colonnes automobiles, la circulation de motocyclistes en tenue de campagne, tout le long de la frontière depuis Aix jusqu'au Grand-Duché. Il y aurait des troubles dans celui-ci.
Il m'avertit que le ministre de Hollande vient de l'informer que son État-Major est aussi d'avis que les Allemands s’ébranlent tout le long de la frontière des Pays-Bas. Quelques instants plus tard, il me rappelle : Avez-vous connaissance du message de Goethals? - Non?
Le voici:
D'après l’informateur habituel, l'attaque aurait lieu demain. Il a ajouté que cette fois-ci les dés sont jetés; l’offensive ne sera plus différée.
Je sonne aussitôt le général Keyaerts et je prescris :
Attaque à prévoir demain. Passer immédiatement au dispositif d'alerte face à l`Est. Faire remonter sur-le-champ vers le Nord les escadrons postés sur la Semois.J'avise de l’ensemble Sa Majesté le Roi. Je me déclare d’avis de décréter l’alerte générale et de prescrire toutes dispositions comme si l'invasion était certaine. Le Commandant en Chef, parfaitement calme comme d’habitude dans les cas graves, approuve que je fasse le nécessaire auprès du Chef d'État-Major. Je me mets à la recherche du général Michiels. Il n'est pas au G. Q. G. Je l’atteins à son domicile. Il n'est au courant de rien. Après mon exposé succinct, il s'enquiert :
- Et alors?
Je sursaute :
- Alors, il faut:
1. décréter l’alerte générale;
1. que la 11e D. I. évacue avant le jour le camp de Beverloo conformément aux instructions connues;
2. diriger le groupe du 3 A. sur son corps d’armée, par rail si possible; sinon par route;
3. évacuer de même le camp de Houthaelen;
4. alerter l’aéronautique et lui faire gagner ses terrains de guerre;
5. mettre sur pied complet le groupement automobile d'armée.
- Entendu, dit-il. Je me rends immédiatement au G. Q. G.
Je téléphone à l'E. M.G. A.
Ordre de préparer les transports et mouvements de la 5e D. I. en direction de Haecht. Elle doit atteindre demain matin la route Ninove-Bruxelles à ne pas dépasser afin de la laisser libre aux courants des transports alliés ».(2)
Aussi, vers 22h45 Bruxelles sonne l’alerte qui doit être transmise à tous les états-majors du III/C.A. et à la 3e circonscription militaire. À 23h15, l’ordre est donné que les troupes doivent occuper leurs emplacements de combat à l’aube. Cinq minutes plus tard, ce délai et supprimé et l’exécution immédiate est ordonnée. Vers minuit, l’E.M.G.A. fait monter le plan d’eau dans le tronçon du canal Albert situé dans le Limbourg. (3)
Personne n’estime nécessaire d’avertir Eben-Emael du sérieux de la situation et de l’imminence indéniable d’une attaque.
Une mise en alerte fastidieuse…
L’alarme est finalement donnée vers minuit. Le mot d’ordre « Alerte Alfred » est transmis au fort. Il signifie que le territoire est menacé.
Le carnet de campagne de la forteresse précise : «
P.C. 0h30 Réception de l’ordre d’alerte par l’officier de garde aux destructions : « Alerte décrétée à 0h30.Permissions supprimées ». L’alerte confirmée par 7e DI et RFL
P.C. 0h32 Alerte lancée dans le fort
P.C. 0h35 Observations alertées»(4)
Une lourde procédure est mise en route pour mettre le fort en état de défense. Les sirènes annoncent le branle-bas de combat dans la fourmilière à 0h45. Le rapport du commandant en second précise : « Vers 0h30 le 10-5-1940 les sirènes donnent le signal d’alerte dans tout le fort. M’étant levé, je téléphone à l’officier de garde au P.C. celui-ci me communique que l’alerte est commandée par le Q.G. Cette fois-ci, c’est donc sérieux. Il ne s’agit plus d’un exercice. C’est mon tour de prendre le commandement au P.C.. Je m’habille et m’équipe complètement pour m’y rendre. En route, je rencontre les équipes qui se rendent à leur poste, qui pour renforcer la garde de leur ouvrage, qui pour mettre leur engin en ordre de marche. Tout se passe dans le calme. On a tant fait d’exercices déjà. En entrant au P.C., je m’aperçois que le secret est éventé ; tout le monde se doute que cette fois ce n’est plus un exercice, mais une précaution contre une menace. Un à un les dossiers des ouvrages sont enlevés par les chefs d’équipe. Les observatoires répondent l’un après l’autre. Les officiers de tir sont à leur table de travail. Allons, attendons l’aube pour voir si l’attaque se poursuit cette fois-ci. » (5)
Cette version idyllique de la fourmilière mise en alerte dans le calme et l’efficacité, écrite au moment de la rentrée des camps de prisonniers en septembre 1945, tranche totalement avec le tableau que tirera la commission des forts après l’audition des subalternes.
En réalité, il est avéré par les nombreux témoignages que les hommes râlent : « Encore une alerte bidon ! » Notons qu’a Eben-Emael, comme dans toutes les unités d’ailleurs, l’élan patriotique provoqué par le décret de la mobilisation en vue de la défense des frontières s’est amorti, voire partiellement brisé. C’est en partie à cause de la durée de l’inactivité qui caractérise la « drôle de guerre » pendant laquelle les militaires demeurent l’arme au pied. Il y a eu trois alertes sérieuses qui sont jusque-là restées sans suite. Les alertes réelles finissent donc par être considérées comme des exercices normaux qui ne passionnent pas grand monde. Des congés subsistent en fonction des catégories de soldat. Par exemple, les mineurs et les agriculteurs considérés comme indispensables à l’économie jouissent de congés de longue durée. Tout cela fait que le militaire belge ne croit plus à la guerre. Toute nouvelle alerte décrétée ne suscite pas d’émotion et, comme pour les autres, on attend la fin que l’on considère comme devant arriver rapidement. Par ailleurs, la veille, les permissions ont été rétablies, ce qui provoque un certain relâchement du personnel qui a de ce fait plus de peine à croire en la crédibilité de cette alerte. (6)
Citons en exemple le comportement du personnel des ouvrages de Mi-Nord et Mi-Sud. Ces hommes logent à l’extérieur du fort, à la salle sainte-Cécile d’Emael. Appelés vers 0h35, ils ne sont guère diligents. Ils envoient un soldat au corps de garde pour vérifier la véracité de l’alerte, car en temps normal ils ne participent pas aux rappels d’urgence. Ils arrivent avec une vingtaine de minutes de retard à cause de ces tergiversations.(7) Ils ne sont pas les seuls de la garnison à avoir cet état d’esprit, c’est en fait le cas de la majorité du personnel qui n’y croit pas. La commission des forts conclura après-guerre sur base de renseignements concordants : « cet état d’esprit a provoqué un relâchement dans la discipline non seulement dans l’occupation des postes, mais également dans leur équipement. Les officiers, imprégnés de la même torpeur, n’ont pas réagi et n’ont pas guidé le personnel dans l’accomplissement des opérations de mise en état de défense » (8)
Il faut ajouter que les unités de cycliste frontières au-devant la zone Meuse-Aval rapportent des mouvements de troupes qui viennent confirmer les informations données à la fin de la journée du 9 mai par les services de renseignement tant hollandais que belges à l’E.M.G.A. Le Général Van Overstraeten affirme : « A la 2e section, le chef de section me fait part de la visite de l’attaché militaire hollandais venu à 18 heures annoncer que les Allemands qui jusqu’ici se tenaient alarmbereit, se trouvent serrés marschbereit à la frontière hollandaise, et, que l’état-major de La Haye suppose l’invasion imminente »(9)
Dans le fort, Jottrand est circonspect et somme toute peu inquiet. Isolé dans son fort, il ignore les événements à l’origine du branle-bas de combat ordonné. Il affirme que les travaux de mise en défense auraient été conduits avec beaucoup plus de célérité s’il avait été mis au courant. Les coups de téléphone qu’il passe à l’extérieur aux unités de couverture de la frontière du I. C.A. ne lui donnent aucune confirmation du danger. Et pour cause, avant d’arriver en vue des premiers éléments défensifs belges en position dans cette portion du territoire, les Allemands doivent traverser Maastricht et donc le secteur devant eux est calme. Ce n’est pas le cas devant les positions du III C.A. où une recrudescence de mouvements germaniques est observée à la frontière. Aux yeux du Major, c’est l’alerte certes, mais sans plus… Les préparatifs se poursuivent néanmoins dans le fort. Le Maréchal-des-Logis (Mdl) Victor Delcourt affecté au bureau de tir des casemates Maastricht nous livre son témoignage : «je suis éveillé entre 0h30 et 0h45 par le chef de poste. Le temps de quitter mon pyjama, je remplis ma première tâche: faire lever la troupe. Il y a dix-neuf chambrées de vingt hommes. Ensuite, j’ai pris mon poste au bureau de tir. Notre effectif prévu est de huit hommes : deux officiers, deux sous-officiers pour calculer les coordonnées de tir, deux correcteurs devant intégrer les paramètres de tir liés à la météo et deux téléphonistes-signaleurs en poste pour transmettre les ordres en surface vers les deux casemates Maastricht 1 et 2. Je vérifie si les postes de tir sont bien occupés, c’est le cas. Dans le couloir, le personnel se dirige vers l’entrée du fort pour dégager les locaux du temps de paix. Les observateurs de l’autre côté de la tranchée de Caster signalent le passage de nombreux avions. » (10)