Post Numéro: 146 de François Delpla 29 Mai 2015, 06:57
Je rappelle qu'il s'agit, dans cette partie de la discussion, de ta mise en cause du "grain de sable churchillien" grippant le mécanisme d'un triomphe de Hitler, et d'un accomplissement du dessein de Sein Kampf, durables.
La paix aurait dû survenir en mai 1940, peu après la démonstration de la supériorité militaire allemande à Sedan. Comment donc aurait réagi Chamberlain le 15 au coup de fil de Reynaud disant : "nous sommes battus" ?
En se précipitant à Paris pour secouer tout le monde, en écrivant à Mussolini pour le cas où on pourrait le retenir de participer à la curée et surtout à Roosevelt pour présenter le catalogue des services qu'il allait devoir rendre en traînant les pieds jusqu'à Pearl Harbor ?
Aurait-il résisté aux suppliques des militaires exigeant bientôt, à l'unanimité de ceux qui s'exprimaient, un rembarquement ? Aurait-il fait voter dans l'urgence, le 22 mai une loi lui permettant de mettre à l'ombre sans jugement tout "défaitiste" et arrêté Mosley (beaucoup moins coupable que Halifax, mais beaucoup moins protégé !), pour l'exemple, le 23 ?
Peut-on poser toutes ces questions sans un amer sourire ? Et n'est-il pas temps de tordre enfin le cou à l'idée fausse, mais arrangeant bien du monde, d'un Churchill arrivant au pouvoir le 10 mai à cause de son antinazisme et de son énergie, alors que c'est plutôt malgré eux, et avec un solide encadrement d'appeasers au gouvernement et aux Communes ?
Appeasers qui au moment de l'arrêt devant Dunkerque étalent leur capacité de nuisance : du 26 au 28 Churchill ne sait pas, en ouvrant les nombreuses séances du cabinet, s'il le présidera encore une heure plus tard.
Mais les propositions de paix "généreuses'" qui laissent intacte la puissance britannique en entamant peu la française, transmises par Göring à Dahlerus le 6 mai, ne sont pas, à ce moment, mises sur la table par Halifax, qui à mon avis n'a même pas osé en parler à Churchill... d'où son zèle pour qu'on les demande via Mussolini, voie en impasse sur laquelle Churchill le laisse courir un peu... ce qui permet aux intégristes des mémoires de Churchill (qui ont vicié l'histoire pendant quatre décennies : 1950-1990), de prétendre que certes il faut les réviser un peu mais en les confirmant : Halifax vasouillait pas mal, certes, mais n'était pas si loin de Churchill et réciproquement !
Prenons donc l'hypothèse d'une paix générale, fin mai 40, "sur le sable de Dunkerque", et d'un Roosevelt mis devant ce fait accompli. Ce n'est pas d'abord à une propagande qu'il réagirait, celle d'un Hitler disant "vous voyez bien, je suis un paisible que des bellicistes judaïsés ont obligé à faire la guerre, la leçon devrait maintenant suffire", mais à la triste réalité d'une Allemagne triomphante, ayant en un an ruiné par trois traités (pacte d'acier, pacte germano-soviétique, paix de Dunkerque) la capacité des quatre autres principales puissances européennes de s'opposer militairement à elle.
Le problème principal est peut-être celui du chômage, dont un certain président, américain en l'occurrence, avait promis d'inverser la courbe ! Il avait réussi lors de son premier mandat et obtenu une réélection facile, la courbe avait replongé au cours du second et été sauvée par les commandes d'une France et d'une Angleterre se préparant à la guerre... Problem ! Et nécessité, soit de se métamorphoser en Churchill en disant que plus on est au fond du trou, plus on peut remonter, que le triomphe hitlérien est une agression contre les States et que l'Etat intervient de tout son poids pour décupler la production d'armes... soit de téléphoner la queue basse à Hitler pour négocier un traité de commerce.
Il semble que Carlo connaisse aussi mal les Etats-Unis qu'il connaît bien l'URSS. La règle des deux mandats n'est pas écrite mais c'est une tradition imposée, très fortement, par le précédent de George Washington, et correspondant bien au souci majeur d'éviter un pouvoir personnel qui animait les pères fondateurs. D'ailleurs, elle deviendra peu après la guerre une loi écrite, que même une guerre mondiale ne permet plus de transgresser. D'ailleurs aujourd'hui même la régression de la démocratie ne transforme pas les présidents en roitelets africains changeant la constitution pour se représenter indéfiniment, mais oblige à créer des dynasties familiales, chez les Bush comme chez les Clinton !
S'il y a un "what if" facile, solide et certain, c'est bien que, si la guerre s'arrête en mai 40, le troisième mandat ne vient à l'esprit de personne et que Roosevelt passe l'été à Warm Springs ou sur son yacht, en soignant ses fatigues de huit années.
Il faut aussi rappeler que, si le candidat républicain se nomme Willkie et non Lindbergh ou Taft, etc. c'est bien la faute de Churchill et du couple (de forces, au sens physique !) qu'il forme avec Hitler. Devant la continuation de la guerre, la menace allemande et une candidature Roosevelt justifiée par cet état de fait, pas d'autre solution que de nommer un républicain de tendance antinazie : Willkie à défaut de Stimson, plus expérimenté et plus présentable, mais déjà pris... par Roosevelt, au moment de la chute de la France.
Quant au candidat démocrate, il a bien des chances de s'appeler Kennedy ! Joseph, père de John, ci-devant ambassadeur à Londres et auréolé de son amitié avec le nouveau premier ministre Halifax comme de ses avertissements de Cassandre suivant lesquels Anglais et Français étaient fous de défier le respectable et efficace Hitler.
Un match Lindbergh-Kennedy serait serré.. et le résultat, pour Hitler, de toute façon délectable !
Désolé donc : si on fait un what if il faut changer tous les paramètres qui doivent l'être en fonction de l'événement qui est censé ne pas s'être produit, ou s'être produit autrement. On n'a pas le droit de dire que Lindbergh ne peut se présenter qu'en 1944 parce qu'en 1940 c'est Willkie, alors que cela découle directement de l'état de guerre, la donnée qu'on supprime !