Post Numéro: 92 de Sab 12 Fév 2015, 22:28
Bonjour, je sais que je répond à un sujet qui a été laissé de côté depuis plusieurs mois, mais je voulais vraiment apporter mon témoignage familial.
Mes deux grands-pères furent des Malgré-Nous. Malgré qu'ils furent dialectophones et parlaient très mal le français, il se revendiquaient tous les deux haut et fort en tant que français et leurs histoires le prouve.
Je n'ai jamais connu mon grand-père maternel (et de ce fait ma mère n'a jamais connu son père, elle était bébé quand il est partit) car il a été incorporé de force par les allemands puis envoyé sur le front russe pour servir de chair à canon. Avant de partir il avait assuré une cachette à sa femme et à son bébé au cas où il arriverait à s'enfuir car il avait été menacé de représailles sur sa famille au cas où il "poserait problème". Sa femme et le bébé ont donc réussit à partir se cacher chez un complice, à 200 km de leur domicile. Malheureusement, mon grand-père maternel a été capturé sur le front russe par les russes et interné dans un camp là-bas, à Tambov. On sait par quelqu'un qui est revenu qu'il y est tombé malade, et ensuite plus de nouvelles, il a été porté disparu... (et la guerre froide + rideau de fer n'ont évidemment pas aidés à en savoir plus ensuite). Son épouse, décédée 50 ans plus tard, n'a jamais perdu espoir et l'aura attendu toute sa vie...
Mon grand père paternel a lui aussi été incorporé de force dans la wehrmacht, mais affecté en France du côté de Lyon. Lui a réussit à fuir et à déserter l'armée allemande. Mais pas tout de suite, il n'a pû s'évader, avec un autre alsacien incorporé de force, sans risques de déportation pour leur famille , qu'après le débarquement de Provence de 1944 et la désorganisation qui en a suivi. Lors de son évasion, il a fait 300km à pied en plein hiver, particulièrement rigoureux, à travers forêts et champs, surtout la nuit pour ne pas risquer de se faire arrêter par la gestapo (ce qui aurait signifié l'exécution immédiate)... Mon grand père est rentré dans sa famille le soir de Noël 1944, dans un état lamentable, mais vivant... Sa famille l'a ensuite caché dans une cave jusqu'à la fin de la guerre.
Voilà pour le témoignage des Malgré-Nous de ma famille, mais chaque famille a sans doute sa propre histoire à raconter à ce sujet. Personnellement, ma famille a été très marquée par cette période de l'histoire. Je l'ai moi-même encore ressenti enfant et adolescente car ma grand-mère maternelle parlait souvent de son mari disparu, elle ne s'était jamais remariée. Quant à mon grand-père paternel, il n'a jamais pu pardonner aux allemands, jusqu'à sa mort, et parlait parfois à ses fils de cette incorporation de force. D'ailleurs un jour j'ai vu mon père se battre à cause de ça (lors de vacances dans un camping dans le sud de la France dans les années 80), il a foncé sur un gars qui l'a traité de "sale boche" (juste parce qu'il parlait alsacien avec ma mère et qu'il s'était engueulé avec ce type pour une histoire bête de canoé abîmé). Bref, quand le gars a dit ça, mon père a vu tout rouge, je crois que pour le fils d'un Malgré-Nous c'est la pire insulte à sortir!
En ce qui me concerne en revanche, le passé est le passé et j'ai des amis allemands, j'ai travaillé en Allemagne et les allemands de ma génération n'ont pas à payer pour les erreurs de certains de leurs aînés. Mais quand les gens me disent "ah tu viens d'Alsace, donc tu es allemande quoi!", ça me fait "quelque chose". Je conteste donc, évidemment, et me revendique en tant que française, mais reste très calme en leur expliquant gentiment pourquoi...
Donc même si une trace subsiste au-delà des générations, avec le temps tout s'apaise. Mais c'est tout-de-même important je pense de bien garder en mémoire tout ce qui s'est passé à l'époque, pour que plus jamais ça ne se reproduise...