Témoignage d'un des rares témoins vivants du faible sursaut résistant de juin 40 :
"Le 18 juin, de Gaulle s’exprime à la radio de Londres pour appeler la France, son empire, sa flotte à poursuivre le combat aux cotés de notre alliée, la Grande-Bretagne, et pour demander à tous ceux qui le pourront de le rejoindre en Angleterre.
Ce 18 juin je me trouve dans le Finistère, à vingt kilomètres de Brest. Un voisin vient m’informer de l’appel de ce général (…). Le lendemain matin, 19 juin, je franchis les quelques kilomètres qui me conduiront au port du Conquet à l’extrême pointe du Finistère ; Je saute dans un remorqueur de la marine qui appareillait pour Ouessant où, dans la nuit, nous apprenons que des bateaux sont en partance pour l’Angleterre. Avec quelques autres jeunes garçons, nous embarquons sur un chalutier belge, et nous voici à Plymouth, en cette fin d’après-midi du 20 juin.
(…) Pour s’engager, il faut en principe être âgé de dix-huit ans. Je ne les aurai que le 6 juillet, c’est évidemment sans problème. Et ce 6 juillet le général de Gaulle vient à nous. (…) Je le vois pour la première fois. Il marquera ma vie.
(...)
La plupart [des jeunes engagés] étaient originaires du Finistère ; d’autres arrivaient de Normandie et de la côte basque. Mais nous n’étions guère nombreux. A cette étape je retrouvai un nouveau groupe de Brestois, parmi lesquels Emile Chaline, notre camarade de classe depuis la petite enfance, qui préparait Navale et finirait sa carrière comme vice-amiral. Mais où donc, demandais-je, sont passés Untel et Untel, dont je croyais qu’ils avaient rejoint l’Angleterre ? Ils sont repartis, me répondait-on. Ainsi, à cette proposition qu’on nous avait faite de choisir entre le combat et le rapatriement, dans d’autres points de regroupement, le plus grand nombre avait opté pour le retour ! (…) ils devaient très vite revenir en métropole, puis en territoire occupé, pour y reprendre le train-train de la vie ordinaire. J’avais appris que dans certains camps les Anglais eux-mêmes avaient incité au retour et que la défection d’unités entières de notre armée et de la marine n’avait pas été sans impressionner nombre de jeunes garçons. Aussi bien, les engagés de l’Olympia Hall ne représentaient qu’une faible fraction de ceux qui avaient rejoint l’Angleterre deux semaines plus tôt. J’en fus stupéfait. Pour moi, depuis que j’avais quitté la maison, l’idée de revenir ne m’avait pas effleuré ; la question m’eût-elle été posée avec insistance que je l’aurais sans hésitation écartée. Qu’est-ce qui guide un choix ? Peut-être dans la vie tout se résout-il à une question d’attitude. Je ne m’imaginais pas, alors que je m’en étais allé afin de me battre, revenant chez moi après un geste avorté. J’en aurais eu honte. Et j’ai su plus tard que, lorsqu’ils virent les autres de retour, mes parents furent fiers de ne point m’y compter, heureux de ne pouvoir m’embrasser."
Source : Yves Guéna, Le Temps des certitudes, p. 9-10
Parmi les nombreux Français rapatriés d'Angleterre en juillet 40, nombre de volontaires gaullistes ! aucun des deux camps ne s'en est beaucoup vanté.
Pourtant, la chose est logique : on s'embarque parce qu'on est persuadé que la guerre va continuer; l'armistice, le discours de Pétain le justifiant et le fait que les gouverneurs de colonies s'y rallient semblent rendre la démarche sans objet; l'attitude des autorités anglaises, avant que Churchill les reprenne en main sur ce point début juillet, joue un rôle dévastateur.