Post Numéro: 32 de Gardavous 12 Jan 2014, 21:27
Ma famille est restée à Versailles. Pris par l'ambiance, mon père a bien essayé de mettre en route la voiture que mon oncle avait laissée au garage...mais mon père ne savait pas conduire. Et heureusement ! Je me souviens, dans les premiers jours de juin, des immenses nuages noirs d'incendie qui se sont élevés dans le ciel, et surtout de la suie épaisse qui a recouvert absolument toute la végétation. La ville a perdu une bonne partie de ses habitants. Un matin, mon père est revenu du centre ville catastrophé en nous disant "Les allemands sont là". Le lendemain ( ou un jour suivant ?) une voiture allemande s'est arrêtée devant le porche de la maison. Un militaire s'est présenté et a demandé à occuper la maison, qui leur paraissait vaste. Mais ma mère, qui baragouinait un peu sa langue, a réussi à le convaincre qu'elle était remplie d'enfants, et lui a indiqué une maison voisine dont les occupants étaient partis en exode. A la fin de la guerre, ceux-ci retrouvèrent leur bien passablement saccagé.
De Versailles, ma mère à ma soeur Marguerite à Guébriant:
<<Ta lettre du 17 nous arrive cette semaine, la poste fait des progrès; d'Henri nous avons eu plusieurs bulletins de quelques lignes expédiés par la Croix-Rouge, puis des feuilles sous enveloppe ouverte qui racontent les faits divers de l'hôpital lequel semble très important puisqu'il groupe des centaines de blessés dont plusieurs soldats et officiers du 110 ième hélas ! amputés d'un pied ou d'une jambe. D'autres sont morts. La compagnie d'Henri se trouvait placée très en avant et il dit qu'il a été "protégé miraculeusement". La blessure se ferme, que va-t-il devenir ensuite ? Il s'en préoccupe, et moi aussi, avec un peu d'inquiétude, car il est prisonnier. Nos lettres ne semblent pas lui parvenir jusqu'à présent; demande à soeur Corona l'adresse de la clinique de son couvent à Liège, je puis essayer de passer par son intermédiaire. L'hôpital Saint-Laurent semble être une école d'infirmières; Henri dit qu'elles sont quatre par salle, avec une monitrice, et soignent très bien les blessés. Il s'y trouve heureux, après des journées de combat qui ont dû être pénibles. Ici nous sommes aussi fort tranquilles maintenant; ne t'en fais pas pour nous. Versailles est bien plus facile à ravitailler que Paris, ayant la campagne à ses portes. Yvonne et tes frères enfourchent les bicyclettes pour aller chercher des oeufs et du lait dont nous n'avons jamais manqué, des fruits, légumes dans les jardins des environs; lapins, poules, canards, les jours sans viande. Les produits coloniaux, thé, café, sucre, huile, restent rares
...Notre quartier, surtout la côte de Picardie, fourmille d'allemands...et d'italiens. Tu le trouverais bien changé.>>