ADDITIF à - NOTES et MEMOIRES d'un CH'TI
30 janvier 2014 ---Un éclairage différent…
23 mai 1940 : …le temps a été superbe toute la journée, et ne serait-ce le staccato lointain d’un mitraillage, ou le passage fréquent, au ras de la foule, de chasseurs ennemis menaçants on pourrait se croire en une partie de campagne improvisée comme en août 1936…
Hélas, nous ne sommes, parents et enfants, qu’une famille de fuyards agglutinée à ce long ruban noir de l’exode spontané qui s’allonge depuis le frontière belge…
Nous avons depuis hier dépassé Bethune et devons nous trouver aujourd’hui, au pas d’un cheval de labour, un peu en avant de Saint Paul/Ternoise…où des lueurs d’incendie apparaissent…
Nous n’irons jamais à SOCHAUX… !
Le pneu avant de mon vélo a crevé et toute la famille s’est éloignée du triste cortège pour gagner un petite pairie entourée de haies, afin de se reposer pendant la réparation. Maman Courage alimente et rassure les petits, Papa s’active avec ses démonte-pneus et ses rustines et moi et mon cadet Pierrot nous observons le ciel…
Dans la direction de Sud-Est des volutes de fumée noire montent interminablement dans le ciel. Eclairé de rouge et violet par le soleil couchant, cet immense nuage ressemble à une montagne suspendue dans l’espace et reposant sur une base immatérielle et transparente… : « ça doit sacrément brûler à Arras… » s’exclame mon père… et tout de suite après : « ça c’est un Français … !
»…(Il faut dire que mon père, ancien mécano-avion dans l’escadrille Vuillemin en 1922, pouvait reconnaître « au son » tous les moteurs des belligérants..) « C’est un Français !... » En effet, semblant sortir de la base de la montagne fumante, nous distinguons d’abord un petit point noir qui se rapproche à grande vitesse, poursuivi par les petits nuages noirs de la DCA ; et très vite nous distinguons à basse altitude un magnifique bimoteur noir, qui disparaît rapidement à l’Est de notre prairie…
Ce sera le seul avion français, aperçu au cours de ce terrible exode…
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Fin juillet 1943 – j'ai 18 ans
Dans la salle dérobée de l’hôpital de GAP où m’a transporté clandestinement le Commandant Antoine Mauduit, la jeune religieuse qui me soigne essaie de me faire oublier la souffrance en me fournissant des livres, le plus souvent de méditation religieuse…(Curé d’Ars…Thérèse de Lisieux..)
Mais un matin elle sort de ses larges manches, en souriant, un petit opuscule tout chiffonné, qui a perdu sa couverture, mais qui dès la première page aperçue me plonge dans la joie : C’est un exemplaire, à cette époque interdit de diffusion, de « Pilote de guerre » de Saint-Exupéry….
Saint Ex.. ! le héros de mon enfance, dont j’ai lu tous les livres : Courrier Sud,,,Vol de Nuit..Terre des Hommes… sous la direction de mon excellent maître dr l’école publque Monsieur BERTEAUX…..
Quelle incroyable coïncidence !
Dès les premières pages, l’adolescent résistant que je suis devenu, se rend compte avec ravissement et une émotion infinie que le pilote de l’avion du 23 mai 1940 était Saint EX. lui-même… Et je lis, non ! je dévore le livre où je retrouve le souffle de son génie poétique et sa vision raisonnée de la tragédie de mai juin 1940…
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Février 1945 : Après un séjour au front dans une unité d’artillerie (36°gr.FTA) je suis versé dans l’aviation et rejoint à LUXEUIL le 36° groupe de reconnaissance (2/33 Savoie). C’est dans Colmar que ceux du 2/33 fêteront la victoire le 8 mai…
Saint EX a disparu en mission en juillet 44 aux commandes de son P38…Ses successeurs sont les Cdt Martre, Capt De La Borderie, Latapie, et vingt autres, et moi, petit soldat, j’ai la fierté enfantine de dire comme Saint EX : je suis de mon groupe…
L’Ellipse est bouclée, J’ai vingt ans ...
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