Correspondances de 1940

De ma soeur ainée Annette, de Flers, à ma soeur Marguerite à Guébriant, septembre 1939 :
<<...J'ai profité d'une permission de 24 h pour aller voir ce qui se passait à Versailles: J'avais peur que ce soit l'atmosphère d'énervement que tu imagines. C'est calme: Maman est toute seule avec Totor* et les gosses...
...Le pauvre Coco** a été malade. La fièvre aphteuse, parait-il (ce que c'est que d'avoir peur des vaches!) Maman est descendue à la cave à la première alerte, mais pas aux suivantes et je crois qu'elle a bien fait, car l'alerte est donnée quand il y a des avions suspects à 300 km de distance. Jusqu'à présent il n'y a pas eu d'alerte aux gaz, c'est le principal.
Tu sais sans doute qu'Henri est à Hasnon (Nord ou Pas de Calais) chez une vieille demoiselle qui le dorlote. Papa, au contraire, et maman en est navrée, est dans un village de la Moselle.
Dis moi où vous en êtes au point de vue évacuation. Si j'ai quelques jours de détente avant le mois d'octobre, j'irai te voir, ou du moins j'essaierai de le faire, car les trains sont très longs (il faut parait-il 22 heures pour aller à Brest)....
... Il est question de réunir tous les enfants évacués de St Ouen dans un internat...
...Que va être dans ces conditions l'hiver et la rentrée ? Je crois qu'il faut dire à la grâce de Dieu car on ne peut rien prévoir mais il est à penser que cela ne sera pas bien drôle. >>
*Une autre de mes soeurs **L'un de mes frères Je ne sais pas pourquoi ma soeur emploie le mot "permission". Elle n'est pas militaire; elle est institutrice ...

[Prosper Vandenbroucke]

Grand merci à toi.
Ce suivi est-on ne peut plus intéressant
Amicalement
Prosper

A l'époque,il est probable qu'une institutrice devait demander une permission à l'inspecteur de sa circonscription .....

A l'époque,il est probable qu'une institutrice devait demander une permission à l'inspecteur de sa circonscription .....

Aujourd'hui on ne parle pas de permission mais d'autorisation d'absence, cela existe donc toujours.

8 octobre 1939 De ma mère à Versailles à ma soeur Marguerite en Savoie:
<<..J'ai eu aujourd'hui la visite de ton oncle Jean, assez désolé de s'éloigner de Paris, laissant François * à Etampes. Une lettre d'Henri me dit au contraire qu'il s'en rapproche, mais sans donner de précisions. Il demande un envoi de vêtements d'hiver que je vais lui faire demain. Ton papa est toujours content à Woippy, son groupement du parc d'essence et d'ingrédients d'armée semble très gai; on cause beaucoup au mess, on fait aussi dans les bois alentours des promenades à la recherche des champignons. Cela serait une agréable villégiature sans le canon qui se fait entendre à quelques kilomètres. Annette annonce son arrivée prochaine pour quelques jours. Nous serons bien contents de la revoir. Elle pense louer une petite maison à Flers où nous pourrions aller en cas de bombardement aérien ici. Je n'y crois pas beaucoup, car tout le monde rentre et les jésuites rouvrent leur école Ste Geneviève, mais enfin il faut prévoir une porte de sortie au cas où Herr Hitler nous enverrait des pruneaux. Nous partirions par la gare des chantiers.
A Erquy, Jeanne avec grand-mère ont loué "au vieux puits" et s'y organisent pour l'hiver. Il ne reste chez eux que Madeleine **. qui a son travail gare St-Lazare et ne peut le quitter. Bernard est venu passer trois jours cette semaine avant d'aller à Bordeaux rejoindre l'école de l'air. Il est toujours aussi blagueur et la guerre n'a pas l'air de l'impressionner du tout....
Melle Villien*** annonce l'ouverture d'une école à la campagne, dans un "abri sûr", mais pour le moment,elle fait ici tricoter des chaussettes à ses élèves, et en cas d'alerte, les renvoie chez eux. >>
* Un fils de Jean **Une fille de Jean ***Directrice de l'école libre

13 octobre 1939
De ma soeur Annette à Larchamp (Orne) à ma soeur Marguerite à Guébriant (Savoie):
<<...Maman ne démarrera que si elle veut. Ce que je me demande, c'est si elle viendra jamais. Mais elle est bien partie en 1918*. Alors je crois que tu es dans le vrai: Il faut avoir un pied-à-terre prêt, ce n'est pas si cher. Il y a des maisons ici à partir de 28 F par mois, mais c'est trop loin de tout; j'aime mieux mon petit chateau avec ses 3 pièces, son puits dont la margelle est couverte d'un rosier grimpant, son poirier, ses 10 pommiers...quoiqu'il soit un peu plus cher (125 F). Mais-ô combien grotesque est l'administration- il faut une autorisation du préfet pour le louer, parce qu'il a été réquisitionné. J'ai demandé cette autorisation et je ne l'ai toujours pas. >>
* En fait, ma mère s'était réfugiée à Angers dès 1914. J'ai d'ailleurs conservé une bonne partie des nombreuses lettres qu'elle a échangées avec mon père. J'ai l'intention de les publier sur mon blog. Avis aux amateurs.

De ma mère, à Versailles à ma soeur Marguerite en Savoie:
<<...Je t'envoie aussi un livre qui te permettra de suivre les opérations de terre et de mer. Maintenant que les neutres entrent en scène, cela déborde ta carte murale. Aussi à la devanture d'un libraire, j'ai vu un atlas mondial pour la guerre assez bon marché que j'ai trouvé très joli et complet. Cela te remémorera ta géographie et tu pourras le montrer à tes amies. Je penserai aussi à leurs cartes quand j'irai rue de Satory, où elle se vend.
...Henri sera très content que tu lui fasses un chandail, as-tu suffisamment de laine ? Il ne faut pas détricoter pour cela des vêtements à toi... J'ai acheté une petite brochure:"tricotons pour nos soldats" qui me semble assez pratique et je peux te l'envoyer. Henri aime beaucoup aussi qu'on lui écrive, tu connais son adresse: 110 Rég d'infanterie- 1er bataillon, 1ère compagnie-secteur postal 83. Comme il a la franchise militaire,cela ne te coûtera rien. D'après ses lettres, il serait actuellement près du chateau de Mondement, celui dont grand-père parlait toujours et que sa brigade avait repris à la Marne. Mais il semble question qu'il aille près de la frontière suisse, si je comprends bien, car il est tenu au secret professionnel.
...Annette est en pourparlers avec la propriétaire d'une maison qu'elle veut louer à Flers, afin d'avoir une installation primitive au cas où Herr Hitler nous enverrait des pruneaux. Il a par ailleurs tant d'autres sujets de préoccupations qu'il ne pensera peut-être pas à nous.
... L'école a eu sa rentrée à effectifs réduits, à cause de l'incertitude des évènements; tu trouveras ci-joint une photo de l'indispensable ornement* que les enfants ajoutent maintenant à leur cartable . C'est délicieusement joli et cela ne coûte que 75 francs pièce. Espérons surtout que cela sera inutile.>>

*Je suppose qu'il s'agit du masque à gaz dans son étui. Pourtant, il avait été distribué gratuitement.

Je lis ,avec intérêt, car Henri était dans le même régiment que l'un de mes cousins :André ,né en 1910 ,ayant choisi de faire carrière dans l'armée, jeune adjudant en 1940 au 110ème d'infanterie ,le régiment de Dunkerque,à l'époque .(Ce régiment vient d'être dissous suite au manque d'argent de nos finances)......

De ma mère, toujours à Versailles, à ma soeur, toujours en Savoie:
<<...La laine augmente de prix dans de grandes proportions parce que l'intendance la réquisitionne aux filatures même... Ton papa pense venir en permission d'ici peu; il est même question de démobiliser les officiers de réserve qui ont six enfants; Henri au contraire ne peut quitter ses soldats qui font des sottises pour s'occuper: Je leur ai envoyé des lectures moralisatrices et distrayantes, mais ils préfèrent les jeux de cartes et les instruments de musique...et les bistrots. Ah ! cette guerre ! Quelle histoire !
Jeudi dernier, nous avons eu la visite de François qui venait passer la journée ici pour rechercher ses vêtements d'hiver. Il a été tout heureux de nous trouver pour lui ouvrir et lui faire des pommes de terre frites, qu'il a aidé Yvonne à éplucher. On aura tout vu. C'est la guerre.
Et Annette vient d'arriver, apportant une énorme oie. Je voudrais savoir si vous en avez aussi au sana, et si les menus sont encore bons.>>

De ma mère, à Versailles, à ma sœur Marguerite à Guébriant:

<<...Annette t'a envoyé un important colis de victuailles et voudrait bien savoir qu'il est arrivé. J'en prépare un autre avec Yvonne; nous ramassons soigneusement pour toi les pommes vertes de l'allée qui borde le potager. Seule dans la maison, je récolte tout et j'en ai plus qu'il ne m'en faut. Je vais t'envoyer aussi cent francs par mandat puisque tu peux toucher maintenant au bureau de poste...
As-tu lu la nouvelle encyclique du Pape pour la paix ? Elle est très intéressante et je peux te l'envoyer; mais je doute qu'elle suffise à réconcilier tous les belligérants. Ton papa sera sans doute démobilisé vers la fin de l'hiver, peut-être même avant. J'ai de bonnes nouvelles d'Henri, qui ne se plaint que de la pluie; les permissions vont être rétablies à partir de novembre. Annette a droit aussi à 20 jours, peut-être ira-t-elle te voir. Elle a loué près de Flers une petite maison de trois pièces, "Le clos normand" pour nous recevoir si Adolf se fâchait. Pour le moment, il ne bouge plus. Souhaitons que cela dure. >>