Tout d'abord la 4ème de couv, puis un premier commentaire.
L’extraordinaire confusion qui a régné dans les deux mois qui séparent le débarquement en Normandie de la Libération de Paris fut propice aux métamorphoses les plus invraisemblables, aux collusions les plus improbables.
Ainsi ce centre de « résistance » formé de miliciens – dont les assassins de Georges Mandel -, de quelques « gestapistes », de truands et trafiquants qui ont amassé des fortunes dans les arcanes de la collaboration et cherchent à se reconvertir en prévision des jours nouveaux ; ou ces FFI et FTP gagnés par l’ambiance qui succombent à la tentation et adoptent des comportements de gangsters…
Au-delà des légendes manichéennes, cet ouvrage dessine une réalité où toutes les frontières sont brouillées, où apparaissent de surprenantes compromissions, d’imprudents retournements de veste et de choquantes complicités.
L’histoire de la Libération ne fut pas celle que l’on enseigne depuis 70 ans, cette histoire officielle qui offre une image si rassurante d’un peuple de résistants, patriotes et héroïques, luttant contre une « poignée de misérables » et de criminels…
Cette présentation risque de limiter la clientèle du livre à une certaine mouvance et ce serait, à mon avis, dommage, et pour lui et pour l’instruction des passionnés d’histoire : elle donne une faible idée de la richesse de l’ouvrage, de son originalité et de sa valeur scientifique.
Le « clou » est sans doute le témoignage de Paul Frechou, exilé en Amérique latine à la Libération, qui passait (y compris dans mon livre sur la question http://www.delpla.org/article.php3?id_article=451 ) pour le chef du commando lors de l’assassinat de Mandel. François Le Goarant l’a retrouvé en Uruguay, a gagné sa confiance et l’a visité longuement, à plusieurs reprises, pendant les deux dernières années de sa vie, achevée au printemps dernier. Il l’a fait en historien, lisant des monceaux d’archives et confrontant avec leurs données les dires du témoin. Il en ressort que Frechou n’était pas sur les lieux… et c’est d’autant plus crédible que c’est, hiérarchiquement, tout à fait logique. Il avait d’importantes fonctions et ordonnait des missions en étant lui-même rarement sur le terrain. Mais qu’avait-il ordonné au juste ? Selon ses dires et selon toute vraisemblance, un simple transfert de Mandel à Vichy. C’est le tueur, Mansuy, qui avait transformé la mission en l’interrompant, en forêt de Fontainebleau, par une fausse panne immédiatement suivie de l’exécution par surprise de l’ancien chef de cabinet de Clemenceau. Or Mansuy était, contrairement à Frechou, aux ordres directs du SS Knochen et de son adjoint Julius Schmidt… lequel ne semble pas non plus avoir été sur les lieux !
Ce sont les trois membres du commando jugés à l’automne 1944 qui avaient fait état de ces deux présences pendant leurs interrogatoires (Mansuy n’en était pas, ayant été tué le 26 août 1944 à l’Hôtel de Ville de Paris dans des circonstances que le livre aide également à clarifier).
La phrase rituelle, indiscutée jusqu’en 2008, « Mandel fut abattu par la Milice pour venger Philippe Henriot », voit néanmoins un clou de plus enfoncé dans son cercueil. Si Schmidt est lui-même, après avoir supervisé le départ du convoi, retourné à ses tâches, le crime n’est pas moins allemand (et, vu l’envergure de la victime, décidé au sommet de l’Etat nazi), puisque Mansuy était un agent, doublé d’un bandit, qui n’allait pas prendre une telle initiative sans en référer à quiconque.
Cette pépite n’est que la plus grosse. Ce livre informé et rigoureux ouvre plus de pistes qu’il n’en ferme et pose, enfin, la première pierre d’une histoire scientifique de la Milice, en permettant de mieux comprendre qui faisait quoi et pour quels motifs politiques ou personnels, dans les semaines chaotiques séparant le Débarquement de la Libération.