Post Numéro: 25 de Azuréenne 30 Oct 2012, 22:26
La misère économique se fait sentir de plus en plus : quoiqu’on demande dans un magasin, il vous est toujours répondu qu’il n’y en a pas et qu’on ne prévoit pas qu’il y en ait. J’ai dû quémander dans 5 grands magasins de chaussures à Bordeaux avant de trouver 2 paires de souliers pour Flo Flo. Pas de poêles, pas d’éviers, pas de concasseurs, pas de plumes, pas de pneus, pas d‘alcool, pas de savon, pas de tabac,, pas de café, pas de chocolat, etc, etc ! où allons-nous ? cela devient vraiment angoissant.
La nature elle-même s’ingénie à rendre la vie plus difficile : les poules ne pondent plus, les couvées ratent, les lapins crèvent, le poisson lui-même devient impossible à pêcher. Cela paraît invraisemblable, mais c’est la stricte vérité.
Les J... étant en zone libre, sont passés à Bergerac, allant à Beynac, où beaucoup de villégiaturants s’étaient réfugiés, faute de stations balnéaires accessibles. La vie paraît là plus facile et plus gaie qu’ici : le centre d’attraction de cette région périgourdine est maintenant Toulouse, en remplacement de Bordeaux.
10 octobre 41
je reviens de Bordeaux : la situation économique s’aggrave de jour en jour : on trouve de moins en moins de produits dans les magasins : j’ai cherché en vain de la ficelle (les magasins ne livrent plus aucun paquet ficelé), tout se vide. Les trains se raréfient : on nous dit que c’est faute de combustible… mais sur la ligne Paris-Bordeaux, tout marche à l’électricité, alors ! Au total, très peu de choses à manger, et presque rien pour faire cuire ce « peu » puisque le gaz, l’électricité sont rationnés, le charbon et le bois – à peu près inexistants en ville – la graisse, le beurre, l’huile, rationnés aussi à l’extrême. On se chauffera très difficilement cet hiver.
Presque pas de savon pour laver. Bref, la vie devient d’une extrême difficulté et les gens sont vraiment angoissés à la perspective de l’hiver qui vient.
Les Allemands essaient en ce moment d’en finir avec les Russes avant l’hiver : grande offensive sur tout le front : on embarque tout ce qui est disponible et les trains de troupes et de matériel montent à un rythme accéléré.
Je note que le traitement infligé aux Juifs par le gouvernement français lui-même, soulève une vague de réprobation qui commence à percer ça et là : le pasteur Boegner a adressé une lettre de sympathie au grand Rabbin (Boegner, président de la Fédération Protestante, fait partie du conseil national) on perçoit même quelques pointes dans les revues juridiques ! Ces malheureux se voient interdire toute activité, leurs biens sont menacés de confiscation, et ils ne peuvent même pas fuir ! Quelle époque !
10 Nov. 41
Vers le 20, deux officiers allemands des kommandantur de Nantes et de Bordeaux ont été tués par des quidams : aussitôt, représailles allemandes : à Nantes 100 otages arrêtés, 48 fusillés, à Bordeaux, otages arrêtés également, mais devant la réprobation générale, les fusillades sont arrêtées : mais des mesures sévères ont été prises à Bordeaux : circulation interdite entre 5 h du soir et 8 h du matin notamment. Cela a duré une huitaine de jours. On n’a pas trouvé les coupables, mais aucune nouvelle attaque n’a eu lieu. On nous écrit que les 48 fusillés, qui étaient communistes, ont traversé la ville en chantant l’Internationale.
Sur le front Russe, malgré une très puissante offensive allemande, la décision ( ? difficile à lire) n’est pas intervenue : les allemands avancent surtout du côté de la mer d’Azov, la Crimée, avec pour objectif le Caucase. La situation autour de Moscou est stationnaire : il paraîtrait même, d’après la radio Suisse, que les Russes seraient passés à l’offensive de ce côté là. Les Anglais demeurent inertes, se bornant à envoyer de temps à autre une armada aérienne bombarder les villes d’Allemagne et d’Italie. La Prudence est la mère de la sûreté.
On lit dans les journaux des choses ahurissantes : on annonçait tout récemment que l’électricité allait être rationnée et les trains diminués parce que les usines électriques se trouvaient à bout de souffle en raison de la sécheresse exceptionnelle qui a réglé cette année : or, chacun sait que, sauf quelques beaux jours en juillet à septembre, il a plu, au contraire, d’une façon anormale durant toute l’année ! Ceci donne la mesure des informations, même officielles, bruyamment répondues dans la presse.
Enfin, voilà le serment prêté par les gaillards de la Légion Française des combattants en Russie : « Je jure fidélité au chef suprême des Armées allemandes contre le bolchevisme, au chancelier Adolf Hitler. Je jure de donner ma vie au moment où il me la demandera pour sa cause » … Pour sa cause ! on aura vraiment tout vu !
14 Déc 41
Voilà l’Amérique en guerre elle aussi ! On ne voit donc plus la fin de cette invraisemblable folie mondiale. Le dernier discours d’Hitler sent manifestement l’aliénation mentale : mauvaise foi, violence, machiavélisme naïf. Sous prétexte de vouloir du bonheur à son peuple et – soi disant – de l’Europe, il aura plongé le monde entier dans la plus effroyable misère connue depuis des siècles. Que le diable emporte ces bienfaiteurs de l’humanité. Pendant ce temps, la France » va connaître les restrictions de plus en plus sévères et peut-être la famine. En ville, beaucoup de gens sont de véritables squelettes ambulants et les morts subites s’accroissent. Si nous pouvons tenir jusqu’au bout notre attitude expectative, peut-être pourrons nous, en fin de compte, tenir un rôle d’arbitre le jour du règlement final. Mais il y a quelque chance – si l’on peut dire – que l’Allemagne nous embrigade de force dans sa « cause » : ce sera alors une horrible chose de plus à son actif. En tout cas, la tragédie de notre époque devient de plus en plus cruelle, et on n’en voit pas la fin. Le plus lamentable, c’est l’adhésion d’une certaine « élite » à tous les reniements, à toutes les palinodies. La « propagande » travaille ferme et finit par convertir les aigris de l’ancien régime, qui espèrent ainsi, sans doute, se tailler, une bonne place dans « l’ordre nouveau ». Tout cela n’est vraiment pas beau à voir. Ces gens ne veulent entendre qu’un son de cloche, et la cloche sonne, sonne à tout casser sans les rendre sourds !
26 Déc 41
Les Allemands sont en train d’accomplir leur « retraite de Russie » analogue à celle de Napoléon. Ils reculent sur tout le front, harcelés par les Russes. Hitler a « dégommé » le maréchal Von Brauschtel, commandant en chef. En Syrie, l’offensive Anglaise avance à grands pas. La passe est actuellement très mauvaise pour les Allemands, et d’aucuns se demandent – sans doute un peu prématurément – si ce n’est pas le commencement de la fin. Peut-être l’écroulement sera-t-il en effet plus rapide qu’on ne le suppose, car qu’y a-t-il derrière la somptueuse façade hitlérienne : peut-être une construction prête à s’effondrer.
Cependant les Japonais, forts de l’effet de surprise de leur attaque, marquent des points contre Anglais et Américains : ces derniers, absolument pas préparés à un pareil choc, se font prendre tout ce que veulent les Japonais : et ceux-ci, avec leur fougue et leur courage habituels, foncent comme des taureaux et renversent tout. Mais lorsque la machine Américaine se mettra en branle, la situation se renversera sans doute.