Post Numéro: 26 de Maquisard07 02 Oct 2012, 14:11
La lettre de J. Lemaigre-Dubreuil au général De Gaulle, suite 2
... Malheureusement, au fur et à mesure que les victoires alliées permettaient d'entrevoir la défaite de l'Allemagne et la libération de notre pays, cette attitude, semble-t-il, s'est successivement modifiée. Elle s'est accentuée après le 8 novembre 1942 puis après votre arrivée en Afrique du Nord en juin 1943, enfin depuis que vous avez pris totalement le pouvoir.
De chef militaire, qui pouvait refaire l'unité nationale, vous êtes devenu essentiellement chef politique. A votre programme initial: le retour pur et simple aux institutions antèrieures, s'est substitué celui d'une "IVème République", puis celui d'une "prise temporaire de pouvoirs" à votre profit et au profit des hommes groupés autour de vous.
Certes, nous sommes de ceux qui considèrent qu'il faut tirer non seulement les enseignements de l'armistice, mais aussi ceux de la défaite. Nous pensons néanmoins que ceci ne peut être réalisé qu'avec la collaboration de toutes les familles spirituelles de la France et que ce ne peut être l'oeuvre d'un Comité de guerre ni d'un Comité d'administration "provisoire". Un comité qui organise l'avenir de la France n'est plus un comité provisoire ni administratif: c'est un comité politique, c'est un comité constituant. On pouvait encore admettre qu'il fallait préparer l'avenir sans attendre l'assentiment, difficile à recueillir, des Français de France. Cette entreprise en fut totalement exclue. Malheureusement il n'en est rien.
Nous avons vu, au contraire, l'esprit de parti s'étendre jusqu'à tout envahir, jusqu'à tout dominer, sans se soucier de provoquer, chaque jour la répugnance ou la réprobation d'une grande majorité de la population française d'Afrique, qui n'est pas libre d'exprimer ouvertement son opinion. Nous avons vu passer au premier plan la politique intérieure et non la conduite de la guerre. Nous avons vu les uns associés au pouvoir, les autres privés de leurs libertés civiles, non à cause de leur attitude à l'égard de l'Allemagne mais à cause de leurs opinions, ou même des opinions qu'on leur attribuait, sans enquête et sur des délations qu'ils ne pouvaient ni connaître, ni discuter. Le sentiment s'est fait général que les ppursuites, les épurations, étaient autant de liquidations de querelles personnelles, que des mesures de justice ou de sécurité.
Tout celà est profondément regrettable, mais on ne peut songer, sans de graves appréhensions, qu'une telle politique pourait être étendue à la France, aux désordres, aux violences qu'elle pourait causer, aux haines qu'elle pourait laisser derrière elle.
(ndlr: vision prophétique quand on pense aux exactions de la libération sous l'égide des communistes)
Certes, nous pensons que la trahison doit être punie. Mais le châtiment des responsables n'a rien de commun avec les menaces obscures et générales qui, si elles étaient tenues, ébranleraient tout l'ordre social. La défaite, l'armistice sont, en grande partie, la conséquence de la division des Français. Aggraver cette division, la perpétuer pour relever la France, est un programme auquel nous ne pouvons nous associer.
Ce n'est pas nous qui avons changé mon général. Nous nous en sommes tenus à notre programme, à notre ancien programme de libération. Si je quitte l'Afrique du Nord, c'est fidèle à ce programme, non par souci politique: c'est seulement que les Français continuent de considérer comme adversaires les Allemands, par préférence aux Français, c'est que la libération marque la fin et non le début du combat. La plupart d'entre nous sont toujours demeurés fidèles à l'esprit du 8 novembre.
Il est difficile de prévoir comment on essaiera de présenter ma décision. On dira que je suis passé aux Allemands, à la collaboration. Il sera cependant difficile de faire admettre, qu'ayant lutté sans interruption contre l'Allemagne, et dans les moments où tout semblait faire présager sa victoire, je change de camp au moment où tout le monde proclame, et vous-même, que sa défaite est assurée. Je n'ai rien voulu dire que l'essentiel, rien qui puisse aggraver ce débat. Je n'ai pas voulu examiner si vos collaborateurs sont à la hauteur de la tâche qu'ils ont si audacieusement entreprise, s'ils seront capables de maîtriser les forces qu'ils ont si imprudemment déchaînées, si la politique partisane faite à Alger n'a pas eu comme conséquence d'isoler la France repliée à Alger, des Alliés dont nous avons sollicité le secours dès novembre 1940.
Je vous rappelle simplement qu'avant mon départ, j'ai demandé à vous voir, voulant préciser que l'étais désireux de travailler avec tous, avec vous et non contre vous. Vous avez rejeté cette dernière démarche. Dans cette petite circonstance, comme dans beaucoup d'autres, vous avez choisi, non pas nous, vous avez choisi, comme le jour où à Alger, parvenu au pouvoir, vous avez continué au gouvernement d'observer l'attitude d'un chef d'opposition. Tous seraient venus à vous, si vous l'aviez voulu, mais pour la France. Car nous sommes de France, mon Général, et non de vous.
Avec mon profond regret, veuillez agréer, mon Général, l'assurance de ma parfaite considération.
Jacques Lemaigre-Dubreuil
Fin de citation
Il parait difficilement acceptable que cette lettre ne soit pas parvenue à son destinataire, à cause "d'un déménagement". J. Lemaigre-Dubreuil, comme il le dit lui-même avait sollicité un entretien, qui fut rejeté.