dynamo a écrit:Si l'on revient à la question du départ : "Vichy savait il", je suis surpris par le ton docte et péremptoire de ceux qui affirment que OUI, Vichy savait.
Plutôt sympa de la part d'un administrateur/modérateur que de fustiger ceux qui n'adhèrent pas à la "doxa" chère aux ADMP. Faut-il croire que Vichy ne lisait pas les journaux, n'écoutait pas les radios étrangères, ne comprenait pas les messages qui lui était transmis. Vichy se voulait sourd et aveugle. Et lorsqu'un soupçon de doute titillait sa conscience, Vichy s'empressait d'endosser la tenue de Ponce Pilate.
Outre les nombreux exemples déjà publiés notamment par Lebel, combien d'autres en faut-il pour convaincre ? Soyez patient ça risque d'être long :
- Vichy était informé par diverses sources mais préféra ne pas pousser trop loin ses investigations et s'en tenir à la version allemande. Dans son livre
Laval parle, la phrase ci-dessous est révélatrice à cet égard. Laval affirme ne rien savoir tout avouant "savoir" :
J'ai essayé de savoir, en les interrogeant, où les Allemands dirigeaient les convois de Juifs et leur réponse était invariable : "En Pologne, où nous voulons créer un Etat juif." Je savais bien que les Juifs étaient emmenés en Pologne, mais j'ai appris que c'était pour y travailler dans des conditions abominables, le plus souvent pour y souffrir et y mourir"
- Un certain nombre de rapports, sur les massacres et même sur l'utilisation du gaz, parvenaient à l'Ouest par l'intermédiaire de la résistance polonaise, d'évadés, de témoins, du clergé .... Quelques exemples :
En France :
- Dès le 1 juillet 1942, la BBC dans ses émissions en langue française donne des informations sur le massacre de 700.000 Juifs polonais.
- En août 1942, le Consistoire juif adresse un appel à Laval, fondé sur des informations parvenues de l'Est:
Cité par J. Billig,
La Solution finale de la question juive: essai sur ses principes dans le IIIe Reich en France sous l'occupation.
Il a été établi par des informations précises et concordantes que plusieurs centaines de milliers d'Israélites ont été massacrés en Europe orientale ou y sont morts après d'atroces souffrances à la suite de mauvais traitements .... Ce n'est pas en vue d'utiliser les déportés comme main d'oeuvre que le gouvernement les réclame, mais dans l'intention bien arrêtée de les exterminer impitoyablement et méthodiquement.
- Le 17 août 1942, le rabbin parle d' "
extermination" lors d'un entretien avec le cardinal Gerlier.
- Le même jour, l'ambassadeur de France à Bucarest rapporte à Laval que les déportations s'y faisaient dans des conditions telles que "
peu pouvaient y survivre".
De nombreux dignitaires de l'Eglise catholique et protestante, des membres des services de secours aux réfugiés, le diplomate américain Pinkney Tuck ont attiré l'attention des dirigeants français sur le sort des Juifs.
- Ainsi, le pasteur Boegner, dans une lettre du 20 août 1942, adressée à Pétain :
La "livraison" de ces malheureux étrangers s'est effectuée en maints endroits dans des conditions d'inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies et arraché des larmes aux témoins de ces mesures. Parqués dans des wagons de marchandises sans aucun souci d'hygiène, les étrangers désignés pour partir ont été traités comme du bétail..."
- Quelques jours plus tard (9 septembre 1942) le pasteur s'en confie à Laval. Ce dernier s'en tient à la fiction convenue : les Juifs édifient une colonie agricole. Comme le rappelait Lebel :
Je lui parlais de massacres, il me répondait jardinage.
- Le 20 octobre 1942, le journal clandestin "
J'accuse" publie :
Les tortionnaires boches brûlent et asphyxient des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants juifs déportés de France.
- "
L'Humanité" clandestine, en octobre 42, fait état de l'information selon laquelle les Allemands auraient expérimentés un gaz toxique sur 11.000 hommes, femmes, vieillards et enfants parmi les Juifs déportés des deux zones.
Les préfets :
Les préfets démentaient régulièrement les nouvelles alarmantes à propos du sort des déportés juifs. Ils considéraient ces informations comme des rumeurs fantaisistes ou de la propagande alliée.
- Ainsi, le 3 septembre 1942, le préfet de Vendée (Gaston Jammet) ne pensait pas que la vague d'arrestations dont il avait été le témoin dans son département en août 1942 entraînerait "des suites graves pour les intéressés" comme on le laissait croire.
- Le préfet de Haute-Savoie ira plus loin en exprimant son mécontentement de ce que "les adversaires du régime, exploitant le sentimentalisme de la masse, n'ont pas manqué de prétendre ... que les pauvres victimes étaient vouées à une mort certaine ..."
Difficile encore de croire que Vichy, à tous les échelons du pouvoir, n'était pas informé du sort - fut-il supposé - des déportés. Vichy ne fit rien pour vérifier si les rumeurs étaient fondées ou non.
Chronologie partielle des informations sur la Shoah, diffusées pendant la guerre :
- 24 août 41 : émission de Radio Moscou sur le génocide
- Décembre 1941-janvier 1942 : Thomas Mann à la BBC parle des massacres.
- Juin 42: premières publications dans le “ Daily Telegraph ” de Londres ainsi que de nombreux journaux du monde entier.
- En 1942, un télégramme confirmant l’extermination des Juifs, est envoyé au Département d'État par le représentant à Genève du Congrès juif mondial. Il est vrai que pour éviter un mouvement de compassion au sein de l’opinion publique, le document n’est diffusé qu’au compte-gouttes et ne sera publié que partiellement par les journaux.
- En 1942, un rapport de l'ambassadeur des Etats-Unis à Berne mentionne : "
Il existe une rumeur insensée, inspirée par la crainte des Juifs que les nazis exterminent en une fois à l'automne (probablement avec de l'acide prussique) environ 4 millions de Juifs qu'ils ont rassemblés en Europe orientale".
- 17 décembre 42 : déclaration de onze gouvernements alliés sur le génocide. (voir
St. Petersburg Times ci-dessous)
- 19 décembre : note similaire du Gouvernement soviétique.
La presse internationale.
Un exemple parmi des dizaines : Le
St. Petersburg Times du 18 Décembre 1942 :
http://news.google.com/newspapers?id=e7 ... ttee&hl=en -
Un simple citoyen :
Max Gevers, résistant catholique anversois, écrivait dans son "
Journal d'un bourgeois d'Anvers" en date du 12 août 1942 :
On sent parfaitement que cette déportation de jeunes et vieux, hommes et femmes, procède d'une politique mûrement réfléchies qui a à sa base l'extermination de la race juive.
-
Une déportée :
Si les déportés ne pouvaient pas mentalement imaginer l'inimaginable ou refusaient de l'imaginer, quelques rares exceptions comme le témoignage d''Etty Hillesum, jeune femme néerlandaise d'origine juive, internée à Westerbork.
En date du 3 juillet 1942, elle écrit dans son journal :
Bon, on veut notre extermination complète : cette certitude nouvelle, je l'accepte. Je le sais maintenant. Je n'imposerai pas aux autres mes angoisses et je me garderai de toute rancoeur s'ils ne comprennent pas ce qui nous arrive à nous, les Juifs. Mais une certitude acquise ne doit pas être rongée ou affaiblie par une autre. Je travaille et je vis avec la même conviction et je trouve la vie pleine de sens malgré tout.
Ou encore, en 1942, à propos de la Solution finale :
Je sais déjà tout. Et pourtant je considère cette vie belle et riche de sens. A chaque instant
.
Son journal et ses lettres ont été publiés sous le titre "
Une vie bouleversée" suivi de "
Lettres de Westerbork". Etty Hillesum sera à son tour déportée et exterminée à Auschwitz le 30 novembre 1943.
Le rapport Sadosky, brigadier-chef des RG (Renseignements Généraux), principal responsable de la "section juive", surnommé par ses collègues : "le mangeur de Juifs".
Extrait d'une recension publiée sur Histobliothèque :
http://www.histobiblio.com/Berlin-1942.htmlLié à un sous-officier qui lui fait visiter la capitale et améliore sensiblement son ordinaire, Sadosky apprend par sa bouche, lors de la visite d’un quartier juif et suite à une question du policier français sur la constitution d’un ghetto en Pologne, que « l’intention du Chancelier Hitler [est] celle de la destruction complète et à jamais de la race » ; le policier allemand ajoutant même que « dans le Gouvernement général, les Juifs ne vivent pas longtemps » (p. 138). Ainsi, au printemps 1942, un modeste sous-officier sait-il – ou pressent-il – les intentions réelles de son gouvernement. Etrangement, ce passage semble avoir échappé aux juges de Sadosky à la Libération. En effet, « preuve était faite que de 1942 à 1944, le responsable du "Rayon juif" aux RG avait arrêté des centaines de juifs dans les rues et les gares parisiennes en sachant parfaitement qu’ils étaient destinés à la mort »
Le rapport de Sadosky fut remis le 20 juillet 1942 à son supérieur hiérarchique, le commissaire Lanteaume qui le fit remonter ensuite jusqu'au sommet de la préfecture de Paris. Il est difficile de croire que Laval n'en fut pas informé.
Et Vichy ne savait rien ? Et Vichy ne s'est jamais interrogé sur le sort des Juifs déportés ?
F.Deleu.