Voici quelques informations sur les machines dont vous avez publié les photos le 11 juillet. J'y ajoute quelques notes sur d'autres locomotives américaines et britanniques.
1) La première est une machine française de l'ancien réseau de l'Etat de type 141 (donc une Mikado) à simple expansion et surchauffe. Elles reproduisaient un modèle étudié par la compagnie Paris-Orléans dont seulement deux unités (N° 5801 et 2) furent construites en 1914. La série était 141-001 à 250, puis 141 C 1 à 250 à la région Ouest de la SNCF. Elles ont été mises en service de 1921 à 1923 pour assurer un service mixte (trains de marchandises et de voyageurs).
La locomotive figurant sur votre photo est équipée d'écrans pare-fumée et d'un réchauffeur d'eau (en l'occurrence un système ACFI caractérisé par les deux ballonnets cylindriques de part et d'autre de la cheminée). Autre détail intéressant : on voit un demi-cercle blanc sur la partie supérieure de la boîte à fumée. Le contour des tampons est aussi peint en blanc. Il s'agit d'une disposition de sécurité (évidemment toute relative) permettant aux cheminots de pouvoir distinguer la silhouette d'une machine dans l'obscurité, les exigences de la défense passive ayant réduit l'éclairage dans les gares et les dépôts.
2) Les deux machines débarquées à Cherbourg sont des 140 (autrement appelées Consolidation) de l'armée américaine.
Classées série S 160 selon la nomenclature US, mais connues en France sous le nom de 140 U (U comme USA) elles avaient été étudiées par le major J.W. Marsh de l'US Army Corps of Engineers. Construites à près de 2 000 d'exemplaires de 1942 à 1944 par les principales firmes américaines (Alco, Baldwin, Lima), elles ont été utilisées sur les théâtres d'opérations alliés, en grande majorité sur le front occidental (mais pas seulement) où environ 1500 d'entre-elles ont été débarquées, les premières en Afrique du Nord en 1942. Les modalités techniques du déchargement depuis les bateaux de transport sont très bien expliquées dans la légende de la photo Flickr (lien dans votre post du 13 juillet
http://www.flickr.com/photos/photosnormandie/5941278712/).
Ces 140 assuraient prioritairement pour les transports militaires, mais aussi civils selon les disponibilités. Elles dépendaient directement du corps de transport de l'armée américaine (United States Army Transportation Corps), mais certaines (j'en ignore le nombre) étaient gérées par l'UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Agency, ou Administration des Nations unies pour les secours et la reconstruction), un organisme interallié et civil d'entraide de caractère essentiellement technique créé en novembre 1943. Selon un état du matériel en date du 31 décembre 1945, l'effectif des 140 U assurant un trafic SNCF était de 578. Elles ont disparu du réseau français peu après la livraison des 1323 locomotives de la fameuse série 141 R, également produites par l'industrie américaine, de 1945 à 1947.
Sur le plan technique, les 140 du Transportation Corps étaient des engins simples mais robustes. Relativement puissantes malgré des dimensions ramassées, elles pouvaient remorquer tous les types de trains, y compris sur des lignes en mauvais état ou faiblement armées.
Voici leurs principales caractéristiques :
Moteur à deux cylindres, simple expansion et surchauffe. Chauffe au charbon pour le plus grand nombre ou chauffe au fuel. Deux cylindres 483 x 660 mm. Timbre de la chaudière 15,5 Hpz. Boîte à feu en berceau. Foyer en acier. Grille de 3,80 m2. Chassis en barres. Conduite à droite. Changement de marche par levier. Frein à air Wetinghouse agissant sur la rame remorquée (la locomotive et son tender étaient freinés à la vapeur). Roues accouplées de 0,44 m, roues porteuses de 0,84 m. Poids à vide 66,5 t, poids en ordre de marche 73 t, poids adhérent 63,5 t. Vitesse limite en service 70 km/h. Capacité du tender 24,6 m3 d'eau et 9 t de charbon. Longueur machine + tender : 18 m.
Puissance développée au crochet du tender : 1500 ch à 50 km/h à 85 % d'admission. Les machines chauffées au fuel étaient légèrement plus puissantes.
- Les dessins de ces machines
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- La 140 N° 2241 du Transportation Corps
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- La 140 N° 3232 de l'UNRRA
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- Le photographe de l'US Army a réuni cheminots français et américains à l'avant d'une Consolidation récemment mise en service à Cherbourg (été 1944)
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- Cette scène illustre les difficultés d'exploitation aux quelles étaient confrontés les troupes alliées. Les réseaux d'approvisionnement en eau ayant souffert des combats, ces deux 140 en double traction font de l'eau avec une installation de fortune sur un pont, très endommagé, enjambant la Vire (été 1944)
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- Un convoi de matériel militaire remonte la vallée du Rhône et passe à Donzère (1945). La Consolidation qui le remorque est chauffée au fuel.
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3) Parallèlement aux 140, le Transportation Corps avait à sa disposition d'autres locomotives, plus modestes, pour assurer les manœuvres. Egalement rustiques et robustes, ces dernières étaient des locomotives-tender (les soutes à eau et à combustible sont solidaires du châssis) de type 030. Une très belle photo de ces petites machines qui développaient 450 ch, se trouve ici
http://www.flickr.com/photos/photosnormandie/5931588622/in/photostream/Comme les 140, elles ont été conçues par l'US Army Corps of Engineers, l'étude étant dirigée par le colonel Hill. 514 exemplaires ont été construits entre 1942 et 1944, aux Etats-Unis par les firme Porter & Co et Davenport & Besler (450 unités), en Grande-Bretagne par Vulcan Foundry (64 unités). La paix revenue, 77 d'entre-elles ont été intégrées au parc de la SNCF où elles ont formé la série 030 TU 1 à 77. Alors que les 140 ont circulé en France seulement quelques années, la carrière des petites 030 s'est prolongée pendant plus de 25 ans (la dernière a été radiée en 1970).
4) Parmi les locomotives de guerre des troupes alliées, n'oublions pas celles de l'armée britannique.
Il faut distinguer deux catégories : les machines débarquées en 1939 et celles qui le furent en 1944.
a) Deux types de machines accompagnèrent le corps expéditionnaire britannique en 1939. Elles avaient été prélevées (une centaine tout au plus, mais j'ignore le nombre exact) sur le parc du réseau Great Western. De conception et d'aspect très british, elles étaient à simple expansion et mouvement intérieur. Toutes étaient des 030, les unes des locos-tender (030 TW), les autres à tender séparé appartenant à une série datant des années 1880 (030 W). Lors de l'épisode de Dunkerque, un certain nombre (5 TW et 45 W) ne purent être réembarquées. Elles ont alors été utilisées par l'occupant puis par la SNCF jusqu'en 1947. L'année suivante elles retournèrent dans leur pays d'origine à l'exception de 7 W ferraillées sur place. Pour la petite histoire, elles regagnèrent l'Angleterre via Douvres et le port de… Dunkerque !
- La 030 TW 27 (ex-14 War Department) rapatriée sur les Ateliers de Derby (via Longueau, Calais et Douvres) lors de son passage à Rennes-Baud en septembre 1948
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- La 030 W 029, ex-Great Western Railways, stationne au dépôt de Paris-Batignolles en 1946
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b) Après le débarquement de Normandie, les troupes britanniques ont eu recours aux locomotives du War Department dénommées "Austerity" dont il existait deux types à tender séparé : des 140 (Consolidation) et des 150 (Decapod). Elles avaient en commun un grand nombre d'éléments et disposaient de trois systèmes de freins différents (Westinghouse à air comprimé, frein à vide et frein à vapeur) leur permettant d'évoluer sur n'importe quel réseau. Elles étaient donc particulièrement bien adaptées à un usage militaire. A simple expansion, deux cylindres et surchauffe, elles avaient été étudiées par Riddle, un ingénieur du LMS (London Midland Scotish), qui s'était inspiré d'un modèle de cette compagnie. Elles ont été construites de 1943 à 1945 par les sociétés Vulcan Foundry et North British Locomotive. L'effectif le plus important était celui des 140 avec 935 machines. Si l'on ajoute une centaine de 150 (chiffre exact ignoré), c'est un parc estimé de plus d'un millier de locomotives britanniques qui a été déployé sur le continent (la millième, une 150, a été débarquée le… 9 mai 1945).
Les machines "Austerity" construites en 1943 et dans les premiers mois de 1944 participèrent activement, en Angleterre, aux transports préparatoires aux opérations du débarquement de Normandie. Elles étaient épaulées dans cette tâche par des 140 américaines évoquées plus haut.
A l'instar des machines américaines, les "Austerity" n'ayant pas suivi la progression des troupes, ont été mises à disposition du réseau français. Elles ont ainsi circulé pour le compte de la SNCF quelques années après la fin des hostilités. Les machines dont l'état d'entretien était satisfaisant ont été ensuite rapatriées sur le réseau britannique où elles ont été actives jusque dans les années 60 ; d'autres ont été cédées à différents pays dont la Grèce, la Turquie et la Syrie.
- Vue de profil, côté gauche, des 140 britanniques "Austerity"
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- C'est sur un chaland que cette 140 embarque pour la France dans le port de Southampton (1944)
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- Deux Consolidation britanniques au dépôt de Paris-Batignolles (1946)
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- Les Decapod (type 150) Austerity étaient beaucoup moins nombreuses que les Consolidation. L'une d'elles passe à Bernay en 1945.
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Je ne suis, hélas, pas en mesure de vous apporter des précisions relatives à la présence de ces divers types de locomotives américaines et britanniques en Belgique.
5) A ce panorama, il faudrait ajouter les locomotives de guerre allemandes, mais il s'agit d'un autre sujet.