Mais il mérite bien d'avoir son propre fil.
J'en redonne donc le texte :
« Madrid, le 14 mars 1941
Le prince de Hohenlohe séjourne à Madrid. Ce grand propriétaire terrien de la région des Sudètes est bien connu dans les milieux financiers de Londres, de New-York et également de Madrid, pour avoir épousé une très riche Hispano-Américaine, Madame Yturbi. C’est aussi un homme de confiance de Hitler, qui se sert souvent de lui pour sonder les humeurs et les tendances du camp ennemi, ainsi que pour remplir des missions secrètes à titre d’agent officieux.
Il me revient de source sûre que Hohenlohe s’est entretenu ces jours-ci avec l’ambassadeur d’Angleterre, sir Samuel Hoare, et en a obtenu des déclarations qui peuvent se résumer ainsi : "La situation du gouvernement anglais ne serait plus aussi solide. Churchill, malgré la récente loi américaine en faveur d’une aide à la Grande-Bretagne, ne disposerait plus d’une majorité. Hoare prévoit, en conséquence, qu’il sera tôt ou tard rappelé à Londres pour prendre la direction du gouvernement, avec l’objectif précis de rechercher une paix de compromis. Sur ce chapitre, il a déclaré avec la plus grande énergie qu’il n’accepterait cette charge qu’à condition de disposer des pleins pouvoirs. Il a ajouté qu’Eden serait écarté de la direction des Affaires étrangères pour occuper un autre poste dans le cabinet, et remplacé par l’actuel sous-secrétaire d’Etat Butler, qu’il a présenté comme un homme plein de bon sens et parfaitement à la hauteur de la dure tâche qui lui incombera.
L’ambassadeur d’Allemagne, également informé de l’entretien en question, a adressé à Berlin des informations similaires. »
(source : Documenti diplomatici italiani, Nona serie, vol VI, Istituto poligrafico e Zecca dello Stato, Rome, 1986, p. 701.)
Lequio est l'ambassadeur d'Italie à Madrid. La connaissance de ce texte manque fâcheusement à toute histoire de la guerre, ou de n'importe quel épisode lié à celui-là, antérieure à 1986. De surcroît, ce document a été très peu remarqué depuis sa parution. La première analyse historique qui en tire un grand parti est hélas celle de Martin Allen sur le vol de Hess (2003, traduction rééditée cette année en Tempus). Hélas car tout le travail d'Allen (trois livres) est entaché par un usage massif de faux.
Mais si l'épisode peut être mis en rapport avec "l'étrange voyage" de Hess, il a aussi une énorme importance en lui-même.
Il signifie tout bonnement (si on exclut une fantaisie personnelle de Hoare sous l'emprise de quelque stupéfiant) que Churchill, avec la complicité vraisemblable d'Anthony Eden dont il vient d'imposer le retour au Foreign Office en remplacement de Halifax, se lance dans une hénaurme opération d'intoxication de Hitler : il met en scène sa propre fragilité. Une raison apparaît, et une seule (à moins que l'un de nous en voie une autre) : il panique à l'idée que l'Allemagne pourrait choisir en 1941, avec les forces qu'elle est en train de masser en Europe de l'est, d'attaquer non l'URSS, mais l'Angleterre dans ses possessions du Moyen-Orient, coupant notamment son robinet à pétrole avant que l'aide américaine puisse venir à la rescousse.
Dans ses mémoires, Churchill tait cette manoeuvre comme beaucoup d'autres. Il donne cependant une clé en soulignant ses relations personnelles avec le capitaine Allan Hillgarth, attaché naval anglais à Madrid et son homme de confiance pour toute opération délicate dans le pays : par là il avait le moyen de créer un circuit très court et très discret avec Hoare.