Le séjour à Biskra se prolonge. Les Léo 45, difficiles à entretenir, autorisent peu de mission [sic]. Elles se ressemblent et pour la plupart des équipages tout se passe normalement.
Un incident est cependant à noter qui intéresse mon groupe. Notre commandant, le discret commandant HAMEL, a préféré laisser sa place de pilote à des jeunes plus expérimentés de nuit que lui. Abnégation assez rare qui mérite d’être soulignée. Il n’en accomplit pas moins sa part de travail en tenant le rôle de navigateur ou en montant à bord comme commandant d’avion. Un soir, l’avion où il prend place décolle, piloté par un de mes amis intimes le lieutenant BRION.
A peine l’avion a-t-il quitté le sol que le moteur de droite commence à bafouiller et perd de sa puissance. Chargé à son poids maximum, sa soute à bombes pleine, le Léo 45 prend péniblement quelques mètres. Aussitôt nous sentons la catastrophe en l’air. Je dois décoller tout de suite après, mais la lampe rouge du starter m’interdit le départ pour permettre à l’avion en difficulté de se reposer le plus tôt possible. C’est ce qu’il cherche difficilement à faire. J’aperçois de mon siège le feu vert qui balise l’extrémité de son aile droite. Il tourne doucement autour du terrain en rasant la masse noirâtre des palmiers qu’on devine dans le lointain.
Heureusement, pour une fois, la nuit est relativement claire et BRION malgré la faible altitude de l’avion ne perd pas des yeux le terrain. Il s’en approche, il atterrit et aussitôt, brutalement, l’avion part en cheval de bois sur la droite, le train d’atterrissage cède, il est sur le ventre dans un grand nuage de poussière. Les bombes n’ont pas eu le temps d’être larguées, va-t-il sauter? Non, le nuage se dissipe. On aperçoit, dans la lueur des phares des voitures à incendie et des ambulances accourues, l’équipage qui sort de l’avion sans s’affoler. Le commandant paraît le dernier. Le directeur des vols de nuit se précipite mais, avant de lui laisser placer un mot, le commandant HAMEL, d’une voix tranquille et posée, lui dit :
— Retardez les départs de cinq minutes, j’embarque dans le prochain avion qui décolle.
Cdt Jean CALMEL, Pilotes de nuit, Éditions de La Table Ronde (1952), pp. 9-11.
Ce n'est que récemment que j'ai fait le lien entre ce récit retrouvé, une vieille photo de LeO45 accidenté (en fait c'est un 451), l'équipage du Lt Brion, et le carnet de vol de mon père.
Car c'est à bord de ce LeO fatigué qu'il se trouvait, à peine âgé alors de 23 ans et radio au GB 1/11 (accroupi, au centre sur la photo). Il n'en a jamais parlé, étant trop discret ou trop modeste pour le faire, lui qui ne cherchait jamais aucune gloire et qui m'a trop rarement raconté "sa" guerre.
Dans son carnet, ces simples mots : Faux départ mission. Avion cassé à l'atterrissage. [Durée du vol] 0h05
Si quelqu'un parmi vous reconnait un des aviateurs sur la photo, qu'il me le fasse savoir.
Le Cdt Calmel raconte d'autres "exploits" de l'équipage Brion (et donc de mon père, toujours radio avec lui) lorsqu'il est au Groupe Guyenne (346 Squadron dans la RAF). Il s'agit en particulier de la nuit du 5 au 6 juin 44 (dont je recopierai le récit si cela vous intéresse ?).
Mais je n'ai hélas! aucune photo de ce pilote assurément hors pair, ni du reste de l'équipage d'ailleurs. Si quelqu'un pouvait combler ce manque...