Brehon m'ôte les mots de la bouche. Je n'ai pas été très prolixe ce matin, j'avais de la visite et n'avais pas le temps de faire une conférence
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Sortons de la fortification et prenons un char, le Panter par exemple, l'un des meilleurs chars de la guerre. Il a beau être une merveille de technologie et surclasser la plupart de ses adversaires, il n'en a pas moins renversé la situation militaire en faveur de l'Allemagne. Donc c'est une arme efficace au niveau tactique, en cela que ponctuellement il peut ralentir un adversaire, mais stratégiquement complètement inefficace, des chars techniquement inférieurs, mais moins chers et plus nombreux comme le Sherman, ont fait basculer le sort de la guerre en faveur des Alliés.
Pour une fortification, quelle qu'elle soit, n'est rien d'autre qu'une arme. On ne lui demande rien d'autre que de remplir une mission donnée, et celle-là a dans notre cas été remplie : redisons-le, il s'agit de couvrir la mobilisation et de canaliser l'offensive ennemie
au début de la guerre. Si après ça les généraux français n'ont pas eu le cran de lancer une offensive, pour laquelle ils avaient d'ailleurs les moyens, c'est une autre histoire, liée en partie au fait que dès le départ on a fait dans le défensif, en attendant que les Allemands prennent l'initiative (ce qui est déjà en soi une aberration stratégique).
Une fois les Alliés encerclés dans le Nord de la France puis rembarqués à Dunkerque, puis les Allemands à Paris, tenir la frontière n'était plus d'aucune utilité... Tactiquement, les fortifications ont tenu, mais ça n'a servi strictement à rien, si ce n'est à montrer que le béton était solide, ce qu'on savait déjà depuis les essais sur les champs de tir dans les années 20...
Ca a servi à ajouter pas mal de morts inutiles dans une guerre qui en comptait déjà trop accessoirement.
Une fois cela posé, revenons à nos fortifications en profondeur construites en partie en temps de paix (obstacles antichars, abris d'infanterie et réserves de munitions) renforcées par le reste à la mobilisation (tranchées, positions d'artillerie, nids de mitrailleuses, etc). L'avantage est que la position peut être élastique, en permettant une défense en profondeur, avec des troupes de toutes catégories, capables de manœuvrer en fonction des circonstances. C'est l'enseignement de la Première Guerre mondiale, qui n'a pas été remis en cause par l'utilisation des blindés, bien au contraire. Pour tenir trois semaines, une telle disposition est suffisante, bien largement. Au-delà, une contre-offensive pourra être montée pour repousser l'assaillant, déjà diminué par les premiers combats, avec des troupes fraîches.
La Ligne Maginot, telle qu'elle a été construite, est une perversion du système : une technique d'une complexité à toute épreuve, des troupes ultraspécialisées incapables de sortir de leurs fortifications, des armements spécifiques perdus dès les ouvrages encerclés ou abandonnés. Un non-sens pour un besoin de trois semaines. C'est un peu comme si pour la même mission on enterrait une division blindée complète, sachant qu'une fois l'ennemi repoussé les chars et leurs équipages resteraient là...
J'ai vu que nous parlions du bocage normand plus haut : il s'agit exactement de ce type de défense en profondeur, les haies remplaçant pour la circonstance un réseau serré et profond de tranchées, obstacles, abris, nids de mitrailleuses, positions d'artillerie, pour une défense élastique capable de s'adapter au terrain et aux circonstances.
D'ailleurs la valeur d'une fortification ne se mesure pas à son point le plus fort, mais à son point le plus faible. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un auteur "sérieux" (j'ai la faiblesse de croire que je le suis aussi un peu d'ailleurs
), c'est Alain Chazette, dans l'introduction à son livre
Atlantikwall (celui paru en 95 chez Heimdal). Mesurer la valeur de la Ligne Maginot par rapport à ce qu'il en reste fin juin 40, c'est exactement comme mesurer la valeur de l'Atlantikwall par rapport à ce qu'il tient encore au 8 mai 45 : toute la côte du Danemark et de la Norvège, plus quelques
Festungen en France (assiégées depuis plusieurs mois), sans compter les îles anglo-normandes. Donc le mur de l'Atlantique a rempli sa mission, la preuve il reste d'énormes morceaux encore tenus, y compris ceux assiégés par les Alliés !
Aucun historien sérieux n'aurait l'idée d'écrire un tel syllogisme, pourtant les mêmes sont capable de l'écrire sur la Ligne Maginot...
Sortons des mythes : il est tout aussi faux de dire que la Ligne Maginot n'a servi à rien que de dire qu'elle a rempli sa mission. Il est plus juste de considérer qu'elle a rempli l'objectif pour laquelle elle avait été construite, mais que dans sa forme elle a été largement surdimensionnée par rapport à ce que l'on en attendait au départ.