Daniel Laurent a écrit:huck a écrit:Il démantela le CNR en 46 il me semble, non?
En 1946, le CNR n'avait plus de raisons d'exister.
Mais pas son programme...
Le complot contre la Troisième République, avec pour apparente tête de l’Etat le tandem Laval-Pétain (formule définitivement fixée en 1934) ‑ tandem derrière lequel une poignée de décideurs économiques exercerait la totalité du pouvoir (exercice entravé, fût-ce légèrement, par les institutions républicaines)
‑ fut concocté par la synarchie depuis les années 1920 (plan de « putsch Lyautey » inclus, 1926-1928), avec une ardeur avivée par la crise et un alignement systématique sur les modèles fasciste et nazi ;
‑ fut mis en œuvre par les ligues puis leur regroupement en Front national (fondé en 1934) puis surtout en Cagoule (fondée en 1935-1936), y compris dans la phase préparatoire de « stratégie de la tension » (1936-1937), avec une division du travail entre Cagoule civile et Cagoule militaire (dont les chefs se confondaient avec l’état-major général, actif ou en retraite – et les deux premières promotions de la francisque).
Il impliqua la Défaite, au terme d’une guerre que la France ne ferait pas mais que le Reich ferait pour sa part, formule définitivement établie pendant la Drôle de guerre ‑ après que quinze ans de reculade et de volonté de compromis à tout prix avec le Reich eurent condamné toute perspective de victoire dans l’affrontement avec ce dernier, affrontement pourtant inévitable et perçu comme tel. Ledit complot est avéré par les multiples sources, policières, administratives, militaires, diplomatiques, économiques, politiques, syndicales, etc., que j’ai consultées pour rédiger deux ouvrages sur les années 1930 :
1° Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, nouvelle édition complétée et révisée, 2010, 679 p.
2° De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008, 408 p., plus précis sur les modalités finales du complot et sur la responsabilité écrasante des chefs « républicains », particulièrement Edouard Daladier et Paul Reynaud, dans le complot contre la République et la Défaite, indissociables.
Ces ouvrages sont très précisément documentés (dans le premier, 3 463 notes de référence, presque toujours d’archives originales stricto sensu; 2 148 dans le second, de même origine), et je ne saurais les résumer ici.
Les fonds 3 W de la Haute Cour de Justice, que je consulte depuis 2009 et surtout depuis septembre 2010 en vue de la rédaction d’un nouvel ouvrage, apportent d'ailleurs de nouvelles précisions, tant sur la synarchie que sur la Cagoule, et ce dans chaque dossier des ministres de Vichy. Une des cotes de l’énorme dossier de François Lehideux, 3 W 222, est entièrement consacrée à la synarchie ‑ qui, selon l’historiographie dominante française, n’existe pas, tandis que la Cagoule n’aurait d’intérêt que pour son « parfum de romantisme noir » (Henry Rousso, Libération, 31 mai 1991, « Les Cagoulards, terroristes noirs »), définitivement terrassée qu’elle aurait été en septembre 1937 : « mise au jour et décapitée quelques semaines » après son attentat du 11 septembre 1937 contre le siège de la CGPF, d'après Olivier Dard, Les années trente, Paris, Le Livre de Poche, 1999, p. 162.
L’entourage de De Gaulle fut cagoulard, y compris les frères d'Astier de la Vigerie (RG, 11 octobre 1951, GA, D 1, Emmanuel d'Astier de la Vigerie, Archives de la Préfecture de police (APP)). Je n’ai trouvé en revanche aucune source établissant l’appartenance du général à la Cagoule, motif pour lequel je n’ai jamais cité son nom : l’approximation, le « sans doute », le « peut-être », etc., sont exclus en pareille matière. Quoiqu'il en soit, sa pratique l’a dissocié, à l’été 1940, de celle des cagoulards avérés et, que je sache, il n’a pas été candidat à la francisque.
La division de la Cagoule en patriotes d’emblée et collaborationnistes jusqu'au bout est très largement erronée, artificielle, complaisante et toujours appuyée sur une documentation a posteriori.: Nombre de « héros » présumés ont fini par choisir le camp de la Pax Americana ou ont travaillé pour l’Intelligence Service, mais, sauf exception qui ne saurait être démontrée que par des sources non a posteriori, pratiquement jamais en 1940. Autrement dit, cette catégorie n’a pas été antiallemande au moment crucial de l’application d’un plan passant par l’« intelligence avec l'ennemi » ou la « trahison », crime juridiquement défini, visé par les articles 75 et suivants du Code pénal, et passible de la peine de mort.
L’exemple accablant du dossier de sécurité militaire de Loustaunau-Lacau est à cet égard particulièrement clair (Rapport DGSS, BCRAL, 1er septembre 1944, synthèse n° C/I, Bureau d'études des services spéciaux alliés et neutres, GA, L 15, Georges Loustanau-Lacau, APP, cité à plusieurs reprises dans Le choix de la défaite). En matière de « résistance », des débuts en 1941 (cas rarissime pour ces « résistants » présumés) ou surtout en 1942 ou en 1943 (quand ça n'est pas 1944) méritent examen attentif. Le concept même de « résistance » doit être en outre défini : s'agissait-il de lutter contre l’occupant, sens généralement entendu et pertinent du terme « résistance » (on résiste à l’ennemi, à l’envahisseur), ou exclusivement de lutter contre l’ennemi intérieur, à un moment donné (entre 1940-1941, surtout depuis l’échec du Blitzkrieg dans les plaines de Russie, et 1944) avec les Anglo-Saxons, contre les bolcheviques soviétiques et les bolcheviques vernaculaires, puisque les Allemands s’avéraient incapables de gagner la guerre.
La question avait d'ailleurs commencé à se poser fin 1940, quand une partie des milieux synarchiques ou synarcho-cagoulards observèrent quelques précautions d’avenir envers Londres et Washington, ce qui motiva l’éviction de Laval le 13 décembre 1940, événement que j’analyserai dans mon prochain livre. Pétain s’était montré fort soucieux du poids mondial des États-Unis dès l’avant-guerre, comme Laval et le gendre de celui-ci, René de Chambrun (américain par sa mère, et créateur, en compagnie des précédents, de « l’Office français de renseignement aux Etats-Unis », fondé en 1936, en plein complot contre République, par des milieux aussi pro-américains que pro-allemands, dossier présent dans deux cotes du dossier de Haute-Cour de Laval, 3 W 214 et 215). En France, ce sont donc, à peu d’exceptions près (les milieux financiers juifs, dont les sympathies n’étaient alors pas partagées – pro-américains, ils n’étaient pas, dans leur ensemble, pro-allemands), les mêmes qui dans les années 1930 (et au-delà) adorèrent les États-Unis et le Reich, dans lesquels ils virent successivement ou conjointement le « rempart » destiné à maintenir leurs prébendes et privilèges menacés par la crise (et par la conjoncture politique née de la guerre mondiale consécutive à ladite crise).
De Gaulle, quasi exception de sa catégorie à l’été 1940, fut haï tant par son milieu d'origine que par les milieux financiers qui firent tout, appuyés par et sur les Etats-Unis, pour esquiver une solution politique passant par lui. Ce dossier a été étudié par :
Jean-Baptiste Duroselle, L'Abîme 1939-1945, Paris, Imprimerie nationale, 1982
Et par moi-même, dans Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, 1999, 661 p., chapitre 9, et « Quand les Américains voulaient gouverner la France », Le Monde diplomatique, mai 2003, p. 19 (http://www.monde-diplomatique.fr/2003/0 ... _RIZ/10168)
Après quoi, les mêmes milieux finirent par se rallier à de Gaulle (après l’avoir clamé bolchevique pendant quatre ans) parce que toute autre solution politique était impossible, compte tenu des rapports de forces intérieurs, mais les relations furent avec lui infiniment plus compliquées qu’avec les auxiliaires politiques habituels, et ce durablement, retour au pouvoir de 1958 inclus. Et de Gaulle laissa innocenter presque tous les intéressés, en toute connaissance de cause. L’attestent, d’une part, les exemples cités dans les épilogues du Choix de la défaite et de De Munich à Vichy, et, d’autre part, ma communication « L’Église de France et la reconstitution de la droite après la Libération, 1944-1946 », in Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier, dir., La recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 111-124 (que je vais afficher prochainement sur mon site http://www.historiographie.info/), et surtout comme le montrera plus avant mon prochain ouvrage.
Pierre.S a écrit:Le Colonel De Gaulle, cagoulard(supposé), aurait-il entendu l'Appel du Général De Gaulle
huck a écrit:En tout cas je remercie ALR et Daniel pour ces précisions qui répondent à ma question.
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