Post Numéro: 297 de Aldebert 24 Avr 2010, 20:30
....mon histoire a démarré par un exode du Nord vers le sud devant à l'invasion allemande. Je me suis dit qu'il fallait la terminer avec le retour au pays.
En sept/oct 1945, c'est décidé! la famille s'en retourne "din l'chnord". Mon père souhaiterait bien rester et faire de la Bretagne son pays d'adoption, mais ma mère, c'est mon père qui le dit "dès qu'elle ne voit plus le clocher de son village, elle est perdue" .
C'est encore le père Letort qui nous accompagne à Rennes pour prendre le train. Une halte avant, dans un café du mai, à Rennes, pour téléphoner à Vezin que tout allait bien. Je fais un gros bisou téléphonique à la bonne de chez Letord, encore une grande personne que j'aime bien. Les adieux pour moi se déroulent sans état d'âme, je ne suis pas du tout conscient que je tourne la page de ma grande, petite histoire. Je ferme la boite dans laquelle demeureront à jamais les instants les plus merveilleux et heureux de mon existence.
Le voyage en chemin de fer me semble long. Le train s'arrête souvent avec des crissements de roues sur les rails, je regarde le paysage, je suis content. Des dames de croix rouge française passent de wagon en wagon, elles nous offrent un goûter et des friandises. A Paris nous prenons le métro , c'est pour moi une expérience plutôt désagréable et surtout pleine de mystère. Jusqu'à présent, quand je monte dans un train , il démarre et je peux contempler le paysage. Dans cet autre train qu'est le métro, dès qu'il démarre, c'est la nuit. On ne voit plus le paysage, c'est le noir extérieur complet. Je pense que le train n'avance pas, j'entends pourtant le bruit des roues sur les rails et le bruit du moteur!!??. Quand la lumière revient, je constate que nous ne sommes toujours pas partis, la gare est la même. Je ne me suis pas expliqué ce phénomène, cela m'a tracassé longtemps. Plusieurs fois, quand nous changeons de station, j'ai failli plusieurs fois perdre mes parents dans cette foule dense, je me mets alors à hurler et miraculeusement la main de ma mère se pose tout à coup sur mon épaule. Ouf...
Nous arrivons à destination, à Croix-Wasquehal, rue Holden, chez mon oncle, le frère de ma mère qui a la grande gentillesse d'accepter de nous accueillir. Ma soeur ainée se souvient de son cousin Claude, elle le reconnait qui nous attend, assis sur la marche de l'entrée de la maison. Instants de retrouvailles, instants de joie. Mon oncle et ma tante nous ont réservé un deux pièces palier mansardé en attendant de trouver mieux. Il m'a fallu peu de temps pour trouver de nouveaux copains. Au parc Barbieux de l'autre coté du grand boulevard, au bout de la rue Holden, je me crois encore dans le ruisseau du champ de chez Touffé. J'entre dans l'eau jusqu'aux genoux dans un petit étang à poissons rouges,qui faisait cascade. Je ne sais pas qu'il existe des gardes, chargés de faire respecter les interdits d'aller là ou là. C'est un immense parc , entre Croix et Roubaix. Mai 1968 n'a rien inventé, déjà pour moi il est interdit d'interdire. Heureusement mes copains et surtout mes copines qui mettent encore plus de zèle pour m'excuser auprès du garde, " ah!ces filles, quelles bonnes comédiennes" plaident ma cause " Monsieur il ne savait pas, il arrive de Bretagne, il a eu bien des malheurs, il était réfugié. " "Bon çà ira pour cette fois" dit le garde. Et moi de dire " Dame oui" A cette époque je ne savais pas répondre oui sans y ajouter préalablement "dame" comme j'ai toujours parlé en Bretagne. Ce qui a fait sourire le garde et confirmer les dire de mes copines. On a bien souvent ri de moi, dans la famille et à l'école avec ce "dame oui".
Si j'ai bonne mémoire la Rue Holden commence à partir du grand boulevard jusqu'à la grand place. Avant d'arriver à cette place il y a l'Usine Holden, usine de textile qui avait la plus haute cheminée de France disait fièrement ma tante Pauline. C'est maintenant je crois "Les Trois Suisses" .Cette usine est coupée presque en sa moitié par la rue du même nom qui la traverse. La partie de gauche est détruite en partie et celle de droite à l'air de fonctionner. L'ensemble est occupé par les militaires britanniques . Premier contact avec eux, première impression. L'uniforme est moins beau que celui des Américains. Le casque est bizarre, on dirait un plat de cuisine. Celui des Américains est nettement plus joli, d'ailleurs ils en ont deux et les Anglais n'en ont qu'un. Je tourne autour pour " fraterniser " mais ces militaires là sont trop affairés à différentes occupations. Ils traversent la rue pour se rendre d'un coté ou de l'autre de l'usine. Nous sommes en octobre 1945, l'époque des friandises à distribuer aux enfants est révolue. Un jour, je suis sur le trottoir de gauche de l'usine, un soldat sort d'un bâtiment et s'apprête à traverser la rue, il tient à la main une tartine de confiture qu'il va porter à sa bouche, nos regards se croisent, il soutient mon regard un instant et me tend sa tartine que j'accepte et que je mange. L'image intacte de ce soldat reste nette, fixée dans ma mémoire
Nous avons quitté la Bretagne, son beurre, son bon lait et tout et tout pour trouver ici pas grand chose en matière de nourriture. En guise de beurre ma mère enduit sur le pain "de mon quatre heures" du sirop de betterave sucrière. A un certain moment il y a eu distribution de lard américain. Je ne suis pas difficile mais ce lard me provoque une envie de vomir. Il est tout à fait rance et mal odorant.
Nous sommes en Février 1946, ma mère est hospitalisée. Elle décède à la clinique de Roubaix suite à une intervention chirurgicale. La décision est prise par mon père, nous reviendrons dès le mois de mai en Bretagne.
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Aldebert le 25 Avr 2010, 19:20, édité 2 fois.