Voici le compte d'un journaliste de Libération, spécialiste des questions militaires:
Cela fait trente-cinq ans que je lis de l'histoire militaire, mais je sors littéralement stupéfait de "Berlin" de Jean Lopez. Publié chez Economica, par un auteur quasiment inconnu, l'ouvrage n'a pas eu les honneurs de la critique grand public ou spécialisée. C'est pourtant, je pèse mes mots, un chef d'oeuvre, "une oeuvre accomplie en son genre". Sa lecture, jamais difficile, change notre vision d'un épisode que l'on croyait bien connaître : les derniers mois de la guerre sur le front de l'Est.
Jean Lopez raconte et explique la campagne Vistule-Oder et la prise de Berlin. Tout commence le 12 janvier 1945. Le front est stabilisé depuis plusieurs mois, après l'opération Bagration. Il s'agit, cette fois-ci, de l'assaut final. La capitale du Reich doit être prise en 45 jours. Il faudra deux mois de plus. L'offensive débute sur la Vistule entre Varsovie et Cracovie. Les "Fronts" de Joukov et de Koniev progressent de 300 à 600 kilomètres en dix-sept jours et s'arrêtent sur l'Oder. Il faudra ensuite de longues semaines pour conquérir la Prusse orientale et la Poméranie - au nord ; et la Silésie - dont Staline entend garder intact le potentiel industriel pour l'offrir à la future Pologne communiste. Puis la bataille reprend le 16 avril, avec la traversée de l'Oder en direction de Berlin qui n'est qu'à une soixantaine de kilomètres. Staline joue alors de la concurrence entre Koniev et Joukov, à qui arrivera le premier ! (Pour lire la suite, cliquez ci-dessous)
Outre le récit très détaillé des opérations, le livre vaut autant par ses analyses. Si, d'ordinaire, l'histoire est écrite par les vainqueurs, ce n'est pas le cas de celle de la défaite du Reich. Car l'historiographie occidentale s'est essentiellement appuyée sur les récits et les explications des vaincus, les Allemands. D'où le mépris permanent pour les grandes réussites militaires soviétiques, trop souvent associées à un simple rouleau compresseur.
Or, Jean Lopez le démontre parfaitement, les Soviétiques furent les inventeurs de l'art opératif, qui s'est imposé à l'ouest à partir des années 80... un demi-siècle après sa naissance. Contrairement aux Allemands, dont les tactiques d'encerclement sont relativement sommaires, les Soviétiques sont les premiers à concevoir l'ennemi comme un système qu'il faut désorganiser en le frappant dans la profondeur. Après la percée du front, des armées blindées foncent tout droit sur plusieurs centaines de kilomètres, contraignant l'ennemi au repli et à l'assiègement. L'auteur est d'une grande sévérité, inhabituelle, avec les généraux de la Wehrmacht, dont il dénonce la faillite morale mais aussi technique.
L'auteur ne cache rien des horreurs auxquelles se livrent les Soviétiques en Allemagne, qui tuent, violent, pillent et boivent. Des crimes de guerre, symétriques de ceux commis par les Allemands en Pologne et en Russie. Mais il en décrit la double conséquence stratégique : le délitement de l'armée rouge, face aux crimes soviétiques. Et le raidissement des Allemands, qui comprennent ce qui attend leur pays avec l'arrivée des Russes.
Jean Lopez s'attache aussi bien à expliquer les grandes décisions de Staline, des Allemands ou des Alliés, qu'à décrire par le menu le fonctionnement d'un groupe d'assaut lors de la prise de Berlin. Les opérations aériennes ne sont pas oubliées, et les amateurs de matériels seront satisfaits. On reste sans voix à la lecture des chiffres, tant des moyens engagés que des pertes colossales des deux côtés.
Un maître livre, à n'en pas douter, qui fait suite à un "Koursk" et un "Stalingrad", déjà remarquable.
Jean Lopez, "Berlin, les offensives géantes de l'armée rouge", Economica, 644 pages, nombreuses cartes, 29 euros
http://secretdefense.blogs.liberation.f ... taire.html
Certains d'entre vous ont-ils lu ce livre ?