Post Numéro: 7 de clayroger 22 Aoû 2009, 11:29
Wolfram Wette, Les crimes de la Wehrmacht, Perrin, 2009, 386p, 21,90 €.
55 p. de notes, bibliographie choisie, index géographique, index des noms de personnes citées.
Titre original : Die Wehrmacht Feindbilder Vernichtungskrieg Legenden, Fischer Verlag, Francfort, 2002.
Sept ans.
C'est le nombre d'années qu'il aura fallu attendre depuis la parution de l'ouvrage le plus important sur le rôle de la Wehrmacht dans les crimes nazis, afin de pourvoir le lire en français. C'est long ! On peut véritablement s'interroger sur la question du dynamisme des éditeurs hexagonaux, plus prompts à publier des soupes Gallo-istes, qu'à éditer des ouvrages fondamentaux, qui modifient notre compréhension de l'histoire du XXe siècle.
Important, ce livre l'est incontestablement.
D'abord, parce qu'il est l'œuvre d'un historien allemand, Wolfram Wette, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Fribourg.
Outre-Rhin, la révolution des esprits s'est faite lentement, mais sûrement. Génération après génération, les historiens ont entrepris une introspection, souvent douloureuse, qui s'est traduite par une très célèbre exposition sur les crimes de la Wehrmacht en 1998.
Cette manifestation a provoqué une révolution des mentalités, lesquelles avaient été trompées par des décennies de mensonges orchestrés par les survivants de l'armée allemande.
Une nouvelle école historique, scientifique, s'attache, depuis une dizaine d'années, à revisiter l'histoire allemande de la Seconde guerre mondiale, en s'appuyant sur des archives insuffisamment exploitées.
Ce livre en est l'un des fruits.
L'ouvrage est évidemment important car en peu de pages (pour le sujet, moins de 300 p. corpus) il fait le tour d'une question qui semblait avoir été tranchée pour toujours : les crimes de l'armée allemande étaient, le fait de la SS. La Wehrmacht quant à elle était propre.
Ceux qui ont connu l'Allemagne d'après guerre, et ont approché les vétérans, connaissent par cœur cette chanson, interprétée sur tous les tons la main sur le cœur.
Wolfram Wette fiche tout cela par terre dans son livre.
Cela dit, il convient de préciser tout de suite que le livre traite uniquement de la Wehrmacht dans le conflit à l'est.
Il n'est nulle question des conflits secondaires, ce qui un jour ou l'autre, devra être précisé.
Trois parties principales au fond dans son ouvrage.
La première concerne les racines du mal.
Wette démontre que l'attitude inhumaine de cette Wehrmacht remonte à loin, à la fois dans la vision des militaires en regard des sociétés russes et slaves, ainsi que face à l'antisémitisme.
C'est à dire bien avant le nazisme, qui n'a fait que reprendre des airs connus.
Le rejet du sous-homme de l'est et du Juif fauteur de malheurs universels sont réunis en un juif bolchévique qu'il faut éliminer physiquement.
De nombreux écrits de théoriciens ont été produits à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, essentiellement après la victoire de la Révolution communiste de 1917.
Aussi, lorsque Hitler parvient au pouvoir, l'aile droite de l'armée (évidemment la plus pléthorique) est déjà antidémocrate et antiparlementaire, antisémite et méprisante vis à vis des peuples de l'est. Ceci ayant été exacerbé par le Traité de Versailles.
Ce qui nous amène à la seconde partie, avec l'utilisation et la complicité de la Wehrmacht dans les massacres à l'est.
Il faut noter ici, que le régime nazi a employé tous les moyens pour s'attacher les services de l'armée, y compris la corruption, "l'un des secrets les mieux gardés de toute la guerre". On apprend donc tous les dignitaires militaires allemands ont reçu soit des gratifications numéraires, soit des propriétés, soit des œuvres d'art de très grand prix.
Wette n'a aucun mal à démontrer la participation active (Reichenau à Babi Yar) ou passive (massacre d'enfants de Bjelaja Zerkov) de l'armée allemande. Alors que seules quelques très rares consciences se sont soulevées contre ces actes contraires aux lois de la guerre, auxquelles pourtant, la Generalität se disait très attachée.
La complicité de la Wehrmacht aux massacre des Juifs de l'est ne fait dès lors plus l'ombre d'un doute. Et Wette montre aussi de manière flagrante que Hitler et le régime, bien que totalement responsable, n'est pas toujours donneur d'ordres, puisque que des massacres ont été perpétrés sans qu'aucun ordre central n'ait été donné.
Il y a donc une dimension criminelle supplémentaire dans certains cas, puisque l'armée allemande a agit de son propre fait, sans qu'aucun politique n'ait donné aucune instruction !
Mais, et c'est la troisième partie du livre, (chapitres "La légende d'une Wehrmacht propre" et "La rupture d'un tabou") les survivants de l'armée allemande au second conflit mondial ont prétendu exactement le contraire.
Tout d'abord, que tous ces massacres étaient avant tout le fait des politiques, qui avaient constitué leur propre force armée : les SS.
Donc le meurtre de masse est le fait des SS.
D'autre par, la Wehrmacht a été propre comme un sou neuf, elle n'a jamais participé à cette guerre sale, et même, elle a résisté.
Evidemment, tout ceci relève d'une légende solidement construite, à la fois parce que les survivants se sont ingéniés à effacer les traces des forfaits, mais aussi parce qu'il y a eu un véritable esprit de corps, une omerta, qui a imposé un silence de plomb.
Et ceci, avec l'aide des Alliés !
Car dès le procès de Nüremberg, la légende d'une Wehrmacht propre a été construite grâce au procureur américain William Donovan, qui demande à un groupe de généraux de rédiger un rapport d'innocence. Donovan considère comme anormal que l'état-major de l'armée soit mis en accusation comme association criminelle !
Au final, un livre tout à fait important qui permet de comprendre l'implication de la Wehrmacht dans la guerre d'extermination nazie.
Mais ce n'est qu'une première pièce d'un édifice qui reste à construire car la recherche allemande et internationale se poursuit sur un sujet qui ne va pas manquer de révéler encore son lot de surprises.
Hautement recommandé.
Dernière édition par clayroger le 08 Oct 2009, 16:06, édité 1 fois.