Post Numéro: 112 de tietie007 30 Mai 2009, 15:09
Revenons en au fait.
1°) Le congrès des Vainqueurs, début 1934, voit un unanimisme de façade, une formidable démonstration d'unité qui relève plus de la propagande que de la réalité.
80 % des délégués du Congrès sont des bolcheviques qui ont connu Octobre et la guerre civile, et qui ont vécu une période où la discussion était encore possible, dans le Parti, quoique la majorité n'est pas vraiment compris (à part Radek) ou n'ait pas voulu comprendre les conséquences de ce funeste Xeme Congrès et l'interdiction des fractions, en mars 1921.
Le culte de la personnalité envers Staline se met en place, puisque comme le précise Kirov, très applaudi lors de ce Congrès, les assertions de Staline seront comme des ordres, désormais. Si tout le monde cire les pompes du dictateur, Staline n'est pas dupe et il sait que les anciens compagnons de Lénine, les Boukharine, les Kamenev, Zinoviev et tous les historiques du Parti, peuvent incarner une alternative au stalinisme, même si, apparemment, ils les a tous maté.
Mais les délégués qui l'ont défié, ne perdront rien pour entendre, d'après Bullock, plus de la moitié des délégués présents lors de ce Congrès (environ 2000) seront par la suite exécutés ainsi que 80 % des membres du Comité Central élus lors de ce Congrès ...Une belle récompense pour ces soi-disant "vainqueurs" qui soutenaient, sans rechigner, le Petit Père des Peuples ...
2°) Un an après le Congrès des vainqueurs, ce sont les gigantesques purges qui vont commencer. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ces purges, certains, conjoncturels, liés à la personnalité de Staline et à la lutte pour le pouvoir, d'autres, structurels, liés à l'organisation même du Parti léniniste.
Staline, une paranoïa maladive :
Pour comprendre la paranoïa stalinienne, il ne faut pas oublier que le géorgien, a longtemps oeuvré dans l'ombre, dans des groupuscules bolcheviques, traqué par l'Okhrana tsaritse. Cette vie de militants révolutionnaires a, évidemment, développé chez lui une méfiance qui est devenue une seconde nature, et qui est d'ailleurs la marque de tous les hommes qui ont vécu dans la clandestinité. Le chemin vers les zéniths a été long et tortueux, car Staline, si il fut un militant efficace, un organisateur hors-pair, un révolutionnaire au sens netchaevien du terme, sans pitié , tendu vers un seul but, la réussite de l'utopie socialiste, n'a pas le charisme qui impose naturellement l'autorité du chef parmi les autres. Staline n'a pas le don d'orateur d'un Lénine ou d'un Trotsky, ni l'intelligence conceptuelle d'un Boukharine. Le géorgien est avant tout un militant bolchevique implacable, un révolutionnaire intégral, qui devra lutter dur pour acquérir cette légitimité qui le fera chef, le primus inter pares !
Or, en 1934, Staline, même si il n'a, en apparence, aucun concurrent, qui sont tous venus, lors de congrès, à Canossa, a été irrité par la popularité d'un Kirov et meurtri par ces votes à bulletin secret qui l'ont remis à cause. De plus, Staline, en 1934, n'a pas encore l'assurance que le parti ne bourgerait pas, en cas de purge de quelques personnalités éminentes du PCUS d'où l'exclusion-réhabilitation, par deux fois, de Zinoviev et Kamenev ...en 1927 et 1932, preuve que le géorgien ne se sent pas encore tout à fait intouchable dans ce même Parti, car par la suite, il ne fut pas dans ses habitudes de laisser une deuxième chance à ses opposants ...
L'assassinat de Kirov, l'élément déclencheur ou perturbateur comme diraient les narratologues !
Evguénia Guinzbourg, membre du PCUS, avec son mari, dans son livre Le Vertige : chronique des temps du culte de la personnalité, qui relate son arrestation, en 1937, et sa condamnation, souligne :
"Cette année là, 1937, commença vraiment le 1er décembre 1934".
Le secrétaire du PC de Léningrad est assassiné par un certain Nikolaïev, ce 1er décembre 1934, un ancien militant exclu du Parti, qui avait gardé une rancoeur tenace contre son ancien employeur. L'ancien communiste aurait voulu se venger et aurait tué Kirov. Mais de nombreux faits curieux entourent cette affaire, d'après Alan Bullock :
- le jour du meurtre de Kirov, l'Institut Smolny, siège du PC de Leningrad, n'était pas gardé par les habituels agents du NKVD et le garde du corps du secrétaire, un certain Borissov, avait été retenu et n'était pas avec son patron, le jour du meurtre.
- segundo, le même Borissov eut un malheureux accident alors qu'il se rendait témoigner devant les autorités compétentes pour l'enquête ... Vraiment pas de chance ...
- Tertio, le fameux Nikolaïev, avait été, par deux fois arrêté par le NKVD, et par deux fois relâché ...Une mansuétude étonnante dans des temps où le moindre soupçon était souvent synonyme de déportation.
- enfin, l'affaire fut réglée à toute vitesse et les accusés, dont Nikolaïev furent jugés à huis-clos, condamnés et exécutés tout de suite ... Une curieuse célérité pour un affaire de cette importance !
Bref, on peut dire qu'un faisceau de présomptions désigne un seul donneur d'ordre, Staline.
Mais comme le souligne Bullock, on ne saura peut-être jamais la vérité sur le meurtre de Kirov, mais le plus important ne fut pas tant de savoir qui fut le responsable de sa mort, mais l'usage qui en fut fait. (page 505)
Si en effet l'assassinat de Kirov donna le prétexte rêvé pour éliminer les "vieux bolcheviques", la purge était déjà inscrite dans l'organisation même du parti bolchevique. L'interdiction des oppositions, au sein même du Parti, le souci obsessionnel de l'Unité, ainsi que l'omnipotence des services de sécurité (l'outil créant le besoin ...) et les pratiques violentes nées de la Révolution et surtout de la guerre civile, forgèrent la matrice de la purge, véritable prophylaxie sociale, d'après l'expression d'Annie Kriegel (aïe, aïe, une historienne apostate ...référence illégitime pour certains, je pense ...).
On peut d'ailleurs remarquer, que dans tous les pays qui se sont inspirés de la conception léniniste du Parti, les purges ont existé. (La 1ere dans le Parti Communiste Chinois, au début des années 20, contre les AB).
En soi, Staline ou pas, la mécanique de la purge est pour moi consubstantielle au parti léniniste. La personnalité du Petit Père des Peuples n'a fait qu'exacerber un phénomène qui se serait, de toute façon, passé ... (aïe aïe, le vilain fonctionnaliste que je suis ! Les foudres delplaïennes ne vont pas tarder !)
La révolution mange ses propres enfants.
Staline, dès l'assassinat de Kirov, va prendre des mesures d'exception qui vont permettre de mettre la justice hors la loi. Le géorgien, sans l'approbation du Politburo, qui souligne une dérive autocratique évidente, fit publier un décret d'urgence, qui mit au placard les possibilités d'appel des accusés, et imposa une exécution immédiate de la sentence par le NKVD. La machine à purger était donc lancée par ces deux mesures d'exception.
Très rapidement, Nicolas Iejov découvrit un Centre terroriste Léningradois et Moscovite, qui avaient prévu de renverser l'Etat soviétique, rien que ça, et, évidemment, ces chacaux de Kamenev et Zinoviev étaient du coup ...ah les infâmes crapules, eux que Staline avait par deux fois pardonné et réintégré ! On ne l'y reprendrait plus, serment de géorgien ! Mais encore une fois les deux compères ne furent que condamnés à 10 ans de prison, et là je vous accorde, mon cher Carlo, que Staline se montre prudent. Le géorgien ne se sent pas encore assez sûr pour éliminer physiquement deux pontes du Parti. Il le sera assez l'année suivante, puisque rejugés, le duo sera alors exécuté !
Evidemment, les purges ne vont pas toucher uniquement les dignitaires, mais aussi leurs fratries et leurs clans élargis, ce qui fera beaucoup de monde ...De plus, la purge est conçue, dans l'esprit de Staline, comme un moyen de maintenir l'esprit révolutionnaire menacé d'être englouti par l'inertie bureaucratique, un biais pour générer de la tension et menacer les bureaucrates tout occupés à maintenir leurs avantages acquis. Les procès auront une fonction pédagogique auprès du peuple, les déportations et les exécutions feront partie de cette phrophylaxie sociale, chère à Kriegel, notamment dans les répubiques périphériques, aux marges de l'Empire, qui peuvent connaître des bouffées indépendantistes et nationales, je pense aux fameuses opérations spéciales frappant l'Ukraine et la Biléorussie en 1937.