C’est vrai que le débat devient assez dense, permettez moi deux remarques :
François Delpla a écrit:@Carlo : tuer d'illustres militaires pour faire obéir les autres sans murmure ? Voyez Hitler, il en tue UN, Kurt von Schleicher, qui en plus de son képi a une casquette d'homme politique. Donc un demi !! Allez, je vous accorde le général von Bredow, assistant de Schleicher, ça fera un et demi pour solde de tout compte. Et puis, quatre ans plus tard, il en abat deux autres, Blomberg et Fritsch, tout en les laissant vivre, par des scandales de moeurs forgés à point nommé.
Vous parlez d'un maladroit !
Ah oui, à côté de ce brouillon, vous pouvez dire que Staline est un orfèvre ! Il dégomme au bazooka la moitié des officiers et n'a plus qu'à faire monter les survivants en grade, et à bourrer les promotions des écoles, ce qui le laisse en slip pour trois ou quatre années décisives, au grand minimum.
Staline ne tue pas que d'illustres militaires, il liquide une pelleté de sans-grades, on massacre de tout, du
politruk de base au maréchal. La signification des purges restent à mon sens une discussion extrêmement complexe et délicate, je ne rejette pas entièrement l'analyse traditionnelle de la "terreur rouge", du traitement de choc. Je suis plus indécis sur les raisons des massacres et surtout sur le
modus operandi général (entièrement dirigées par le centre ou utilisées au niveau local). Les purges militaires sont cependant peut-être à analyser de façon un peu différentes de autres, elles ont de toute évidence un caractère plus secret et moins "éducatif" que leurs homologues civiles.
Pour l’essentiel rappelons quand même qu’Hitler et Staline ont des conceptions radicalement différentes de l'armée, ce qui est naturel pour l'un, est parfaitement inquiétant pour l'autre. Nous parlions de l'Etat il y a peu, avec l'armée nous retrouvons les mêmes problèmes idéologiques. Staline a besoin de l'armée, mais l'instrument ne lui inspire guère confiance, il connaît le précédent napoléonien et il est bien conscient que l'institution militaire créée des professionnalismes dangereux pour son projet révolutionnaire.
Chez Hitler le problème ne se pose pas du tout dans les mêmes termes; l'armée adhère largement à son projet nationaliste et l'essentiel de son activité sera de l'entraîner dans son projet de domination raciste. Il donnera à l'armée des gages (liquidation de Röhm), ou en tout cas donnera l'impression d'un donnant-donnant, même si la transaction s'avère un marché de dupes. il est donc normal qu'il ne touche guère à l'institution. Comparer sur ce terrain, comme sur la plupart des autres, les deux dictateurs ne me paraît pas très pertinent.
Il y a pourtant un paradoxe, Staline saura, une fois passées les purges, accorder sa confiance à des généraux et finalement travaillera beaucoup mieux avec eux qu'Hitler, s'entourant d'esprits brillants, ce qui n'est pas vraiment le cas du Fürher.
Quand à savoir si l'URSS est "en slip" dans les années qui suivent les purges, il faudrait d'abord être sûr que la situation est tellement brillante avant, à mon avis non.
tietie007 a écrit:2°) Sur Toukhatchevsky, thème déjà traité sur ce forum, je penche plutôt pour la thèse Soudoplatov, qui souligne que la "purge" touchant l'armée rouge, est avant tout du à la personnalité du Maréchal, qui commençait, avec son prestige, à s'affranchir du pouvoir stalinien, n'hésitant pas à réclamer la tête d'un Vorochilov, Commissaire du Peuple à la Défense.
Soudoplatov dit un peu tout et son contraire, il ne m'a pas vraiment convaincu. D'ailleurs qu'est-ce que c'est que cette histoire de "s'affranchir du pouvoir stalinien", pour un communiste dans les années 30, cela signifie simplement s'affranchir du pouvoir du peuple, c'est donc que Toukhatchevsky n'est pas communiste et il n'a rien à faire à la tête de l'Armée rouge. Soudoplatov par contre prétend que les documents allemands de Benes n'ont eu aucune incidence sur le NKVD et qu'en fait il n'en a pas trouvé les traces dans les archives. Que croire? C'est tout le problème avec Soudoplatov, il doit être lu avec des pincettes. Ainsi Béria et Abakoumov lui ont confié que Toukhatchevsky préparait un coup d'Etat militaire, Soudoplatov les a cru, mais avec l'âge il est persuadé qu'ils étaient tellement cyniques qu'ils ont dû lui mentir, difficile de se faire une idée avec des témoins pareils!
Pour savoir qui manipule l'autre, je dirais qu'on trouve plus chez Hitler la volonté de manipuler Staline. Pour Staline c'est presque du luxe, il doit pour l'essentiel se contenter de louvoyer à vue. La situation des deux est très différente, là où Hitler trouve une industrie et une armée qui ne demande qu'un coup de relance, une situation financière lamentable, mais des bases saines, Staline doit faire avec un pays en plein développement.
Ceci dit là où je vois une sorte de manipulation russe, mais elle n'est pas entièrement le fait de Staline, elle est aussi due aux aprioris courants de l'époque, c'est dans la faiblesse de l'estimation des capacités soviétiques par Hitler. Hitler était peut-être joueur, mais il pensait sincèrement qu'il obtiendrait quelque chose avec Barbarossa. Il y avait vraiment mit le paquet. Et de nouveau, c'est dans la difficulté à discerner la nature et les buts du régime soviétique que ce trouve le nœud du problème.
Je dirais que si Staline n'a pas vraiment "manipulé", il n'en a pas pour autant mal joué, mais il jouait un autre jeu qu'Hitler, ce qui rend la partie difficile à analyser...