1°) Les doutes de William Bullitt, 1933-1936.
Bullitt, après une lune de miel qui dura quelques mois avec le régime soviétique, fut assez effrayé par l'ambiance qui régnait durant les purges, et envoya des rapports assez pessimistes à Cordel Hull sur le futur des relations américano-soviétiques. Seul un membre de l'ambassade désapprouvait l'attitude de son supérieur, le colonel Philip Faymonville, principal attaché militaire, prétendait ainsi que les victimes des purges staliniennes étaient incontestablement coupables et qu’il n’y avait eu que des « cas isolés » de violences contre les paysans lors de la brutale campagne de collectivisation des terres. Selon Bohlen « l’incontestable parti pris prorusse » de Faymonville en faisait le « maillon faible » du personnel de l’ambassade. (p.155) On retrouvera ce Faymonville régulièrement ...
2°) Un ambassadeur philosoviétique, Joseph Davies 1936-1938.
Bullitt, qui commençait à être mal accepté par le Kremlin fut remplacé par le très pro-soviétique Joseph Davies.
Ami personnel et partenaire de golf du Président et, grâce à la fortune de sa deuxième femme, Marjorie Merriweather Post, héritière de la compagnie General Foods, ayant apporté une importante contribution financière à sa campagne, Davies n’avait aucune expérience des problèmes russes. C’est ce qui enchanta tout particulièrement le ministre soviétique des Affaires Etrangères, Litvinov, lorsqu’il reçut le rapport de son ambassadeur à Washington :
« Davies, précisait ce rapport, ne comprend rien à nos affaires, mais il est plein du plus sincère désir de travailler en complète coopération avec nous et d’appliquer strictement les instructions de Roosevelt. »
Le nouvel ambassadeur eut les yeux de Chimène pour Uncle Joe :
« Staline, écrivait-il dans son Journal à la date du 11 mars 1937, est un homme très fort et très capable, à l’esprit pratique, plein de sens commun et de sagesse. Molotov est un homme exceptionnel, pourvu de grandes capacités intellectuelles. » (p.157)
La cécité de l'ambassadeur est à son apogée lors des procès de Moscou. Rendant compte à Cordell Hull du procès Boukharine et ses coaccusés, il écrivait qu’à son avis, la culpabilité des prévenus avait été « établie et prouvée, au-delà d’un doute raisonnable pour justifier le verdict et l’application du châtiment prévu par le code criminel soviétique ».
Charles Bohlen, qui était revenu dans la capitale soviétique, fut effaré par les rapports concoctés par Davies et s’efforça de saisir ses mobiles. « Il désirait ardemment assurer le succès d’une ligne prosoviétique et s’appliquait probablement à refléter les vues de certains des conseillers de [i]Roosevelt pour renforcer sa position politique à Washington.[/i] »
Davies avait dans ses petits papiers un reporter du New-York Times, lauréat du prix Pulitzer, Walter Duranty, qui avait nié l’existence de la famine ukrainienne lors de la Collectivisation et faisait régulièrement l’apologie de Staline.
« Je me sentirai toujours, écrivait Davies dans son Journal, une obligation toute particulière envers Walter Duranty, qui disait la vérité telle qu’il la voyait, et à les yeux du génie. »
http://en.wikipedia.org/wiki/Walter_Duranty
3°) La lucidité de Laurence Steinhardt (1938-1941).
Steinhardt, avocat new-yorkais appartenant à la haute bourgeoisie juive, ancien ambassadeur en Suède, n’en restait pas moins le neveu de Samuel Untermeyer, grand contributeur financier de la campagne du Président, et ouvertement philosoviétique. Roosevelt pensait certainement qu’il s’inscrirait dans la ligne de Davies, plus que dans celle de Bullitt, mais Steinhardt se révéla très vite « prêt à faire face aux tactiques d’obstruction soviétiques quand c’était nécessaire. »
Dès que le nouvel ambassadeur commença à adopter cette attitude, les responsables soviétiques se mirent à l’attaquer en termes virulents. Konstantin Oumansky, l’ambassadeur soviétique à Washington, affirma que Steinhardt était « un riche bourgeois juif répandant l’odeur nauséabonde du sionisme. » (P.160)
Si après le pacte germano-soviétique, Roosevelt se montra tenté par plus de fermeté envers l’URSS, en suivant la politique de réciprocité, au niveau du traitement des diplomates, prônée par son ambassadeur, le président se rallia assez rapidement à une attitude pleine de mansuétude envers l’URSS.
4°) Le philosoviétisme d'Harry Hopkins.
Cette politique s’incarnait dans Harry Hopkins, l’un des plus proches conseillers de Roosevelt, dont les tendances prosoviétiques avaient déjà attiré l’attention de Moscou.
Hopkins était très proche des positions de l’ancien ambassadeur Joseph Davies, qui servait toujours à Roosevelt de conseiller pour les affaires russes et dînait régulièrement avec l’ambassadeur soviétique, Oumansky, à Washington. (P.165)
D’ailleurs, on vit réapparaître l’ancien attaché militaire de Davies, à Moscou, le Colonel Faymonville, qui se retrouva affecté, dès le 13 juillet 1941, à la Division Aid Reports, à Washington, chargé de superviser l’application des accords de prêt-bail vers l’URSS. (p.166)
Fin juillet 1941, Hopkins partit en URSS rencontrer Staline. Le géorgien lui fit grande impression et il fut convaincu de la résistance des soviétiques face aux allemands.
D’ailleurs, le 2 août, le président américain adressa une note très sèche à Wayne Coy, chargé de superviser le programme d’aide à l’URSS en l’absence d’Hopkins, soulignant que, 6 semaines près le déclenchement de Barbarossa, les USA, n’avaient encore « pratiquement rien fait » pour livrer le matériel et les denrées demandées par les soviétiques.
« Franchement, écrivait-il, si j’étais un russe, j’aurais l’impression d’avoir été abusé par les USA. » (p.170)
Roosevelt désigna Averell Harriman pour un nouveau voyage à Moscou, avec qui il adjoint la présence du très soviétophile colonel Faymonville.
La correspondance entre Staline et Roosevelt est d'ailleurs aujourd'hui assez bien connu avec ce livre :
http://larouchepub.com/other/book_reviews/2007/3427fdr_stalin_corres.html
et il illustre le fait que Roosevelt avait beaucoup de sympathie pour Staline et voyait dans le Petit Père des Peuples, un allié incontournable, même pour l'après-guerre.