1°) Ici, un lien vers un article de
Rosa Luxembourg, qui stigmatise le centralisme excessif du parti léniniste et de la discipline qu'il entend faire régner sur ses ouailles :
http://www.marxists.org/francais/luxembur/c_et_d/c_et_d_1.htm Juste un extrait :
Ce point de vue, qui y est exprimé avec une vigueur et un esprit de conséquence sans pareil est celui d'un impitoyable centralisme posant comme principe, d'une part, la sélection et la constitution en corps séparé des révolutionnaires actifs et en vue, en face de la masse non organisée, quoique révolutionnaire, qui les entoure, et, d'autre part, une discipline sévère, au nom laquelle les centres dirigeants du parti interviennent directement et résolument dans toutes les affaires des organisations locales du parti. Qu'il suffise d'indiquer que, selon la thèse de Lénine, le comité central a par exemple le droit d'organiser tous les comités locaux du parti, et, par conséquent, de nommer les membres effectifs de toutes les organisations locales, de Genève à Liège et de Tomsk à Irkoutsk, d'imposer à chacune d'elles des statuts tout faits, de décider sans appel de leur dissolution et de leur reconstitution, de sorte que, enfin de compte, le comité central pourrait déterminer à sa guise la composition de la suprême instance du parti, du congrès. Ainsi, le comité central est l'unique noyau actif du parti, et tous les autres groupements ne sont que ses organes exécutifs. Donc le centralisme et la discipline régnant dans le Parti étaient déjà connu, à l'époque. De même, la sélection et la constitution en corps séparé (
= l'élite du Parti, ceux qui connaissent les lois de l'histoire) annoncent, déjà, la fameuse nomenklatura du Parti.
Si
Rosa L. a fait preuve d’une remarquable analyse du parti léniniste, elle se trompe sur un fait. Ce n’est pas le Comité Central qui sera l’unique noyau du Parti, mais le Politburo, organe chapeautant le tout, crée dès 1917, et regroupant 5 membres dont
Lénine,
Trotsky et
Staline, qui avait, de fait, la totalité du pouvoir, puisque, progressivement, les soviets locaux vont être bolchevisés et le Comité Central, se transformera en simple chambre d’enregistrement des décisions prises par le
Politburo. L’hyper-centralisation du pouvoir soviétique existe donc dès l’origine, et
Staline ne fera qu’utiliser cet outil.
2°)
La conception léniniste est tout à fait claire dans Que faire, 1903:
Cet extrait est tiré de la partie IV-c de
Que faire, 1903 sous le titre :
L'organisation des ouvriers et l'organisation des révolutionnaires.
1. qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants stable et qui assure la continuité du travail.
2. que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte, formant la base du mouvement et y participant et plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, plus cette organisation doit être solide (sinon, il sera plus facile aux démagogues d'entraîner les couches arriérées de la masse);
3. qu’ une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire;
4. que, dans un pays autocratique, plus nous restreindrons l’effectif de cette organisation au point de n’y accepter que des révolutionnaires professionnels ayant fait l’apprentissage de la lutte contre la police politique, plus il sera difficile de “se saisir” d’une telle organisation;
5. d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer de façon active.
Lénine reprendra ce thème de la centralisation dans plusieurs articles comme dans
Les Bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? (1er octobre, 1917):
L'Etat, bonnes gens, est une conception de classe. L'Etat est un instrument ou une machine d'oppression d'une classe par une autre. Tant qu'il est la machine qui sert à la bourgeoisie à opprimer le prolétariat, le mot d'ordre du prolétariat ne peut être que la destruction de cet Etat. Et quand l'Etat sera prolétarien, quand il sera un instrument d'oppression de la bourgeoisie par le prolétariat, alors nous serons partisans d'un pouvoir fort et de la centralisation[/u}.
Chez Lénine, point de dépérissement de l'Etat, même lorsqu'il est aux mains du prolétariat, ce qui le distingue de la pensée de Marx.
On pourrait multiplier les discours sur la nécessité d'un Etat fort, comme celui du Commissaire du Peuple au ravitaillement, le 4 juin 1918, A.Tsiouroupa :
« La force de la coercition étatique est la mesure de base de notre activité. Tout doit être subordonné à la réimposition de l’autorité de l’Etat, au principe de l’Etat. »
3°)[u] Lénine et le pouvoir.
L'Etat et la Révolution est un livre que
Lénine écrivit alors qu'il était réfugié en Finlande, en été 17. En fait
Illitch reprend l'acception de l'Etat chez
Marx, comme tout Etat est un Etat de classe, et qu'à la dictature de la bourgeoisie, doit succéder la dictature du prolétariat, qui s'appuiera sur la violence organisée et la terreur de masse. Mais pour
Lénine[b], la dictature du prolétariat, à la différence de [b]Marx, se résume à la dictature du Parti sur le prolétariat, comme le soulignera d'ailleurs
Rosa Luxembourg dans
La Révolution russe, en septembre 1918 :
que le pouvoir bolchevik est «
une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat, mais celle d'une poignée de politiciens, c'est-à-dire une dictature au sens bourgeois ».
De nombreux marxiste vont d'ailleurs stigmatiser la conception du Parti et de la dictature du prolétariat chez
Lénine. Et pour certains, comme
Boris Souvarine, la conception léniniste de la dictature du prolétariat n'avait rien à voir avec l'acception marxienne:
Marx et Engels l’entendaient dans un sens absolument contraire à celui qu’il acquiert dans le léninisme, puis dans le stalinisme. (..) , si l’on s’y réfère, contredit entièrement l’interprétation arbitraire incluse dans le léninisme et transmise dans le stalinisme." (B.Souvarine, Le stalinisme, 1964).
Par contre,
Lénine s’inspire de
Marx pour sa détestation du parlementarisme et des chambres, d’où, le sort qu’il va réserver à la Constituante, début 1918, alors que cette Assemblée fut élue par le peuple et donna une majorité de 60 % aux S.R.
Dès fin juillet 1917,
Lénine annonce déjà la couleur dans un texte intitulé :
Sur
Les illusions constitutionnelles, où il y déclare que la "
volonté de la majorité ne compte pas", "
ce qui importe, c'est une minorité mieux organisée, plus consciente, mieux armée, qui sait imposer sa volonté à la majorité, et vaincre".
Ce texte affirme bien le primat du Parti sur tous le reste, pourquoi ?
Car le Parti, est nécessairement dépositaire de la Vérité, et ses militants, seuls capables de déchiffrer les lois de l’Histoire ! En fait, la conception léniniste du Parti, organe exclusif, omnipotent et omniscient, qui a seul, la légitimité d'incarner les expressions politiques d'un pays, annonce, clairement, la future dictature du Parti sur le prolétariat (puisque la majorité du » peuple prolétaire » n'a qu'une conscience trade-unioniste)
D’ailleurs, dès la fin octobre 1917, il fera interdire la presse libre, dont il avait vanté les vertus, avant de prendre le pouvoir, et raillera le bolchevik Larine, qui s’était ému de cette interdiction !
4°)
Le Xeme congrès du PCUS, mars 1921.
Congrès fondamental, comme je te le dis tout le temps, où
Lénine, pas encore malade, fait interdire les fractions au sein du Parti, ce qui s'avérera une arme terrible pour un certain
Staline, qui utilisera la motion léniniste pour éliminer toute opposition. Au même moment, des soviets d'ouvriers à Kronstadt stigmatisent le manque de démocratie chez les bolcheviks, et vont se faire trucider par le pouvoir soviétique.
Si le Parti n'admet plus aucune opposition en son sein, il en admettra d'autant moins d'extérieure !
5°)
Le stalinisme enfant du léninisme.
Staline n'a fait que se servir des outils forgés par
Lénine.
- l'inflation des organes sécuritaires a commencé des octobre 17. De fin 1918 à fin 1921, les effectifs de la Tcheka passèrent de 37 000 à 260 000. Si en tant de guerre civile, cette inflation paraît normale, pour sauver la Révolution, par la suite, il n'y aura point de décrue dans les effectifs policiers. Tu sais très bien que toute organisation a tendance à se pérenniser et à défendre ses intérêts par instinct de préservation, ce qui fut le cas de la Tcheka, bureaucratie policière dont
Staline ne fera que se servir.
- l'opposition extérieure étant interdite, puisque
Lénine avait fait dissoudre l'Assemblée Constituante et avait interdit les autres partis, le Xeme congrès, avait consacré l'interdiction des fractions au sein même du Parti. Dès lors, toute suspicion de "
fractionnisme" peut mal se terminer pour la dite "fraction", prodrome aux futures purges qui frapperont les opposants réels ou supposés au Petit Père des Peuples.
Staline n'a donc rien inventé, il s'est juste servi d'une motion votée sous
Lénine, criminalisant les oppositions intérieures. D'ailleurs, dans
Que faire, en 1903,
Illitch ouvre son livre par cette citation :
«
...La lutte intérieure donne au parti la force et la vitalité : la preuve la plus grande de la faiblesse du parti, c'est son amorphisme et l'absence de frontières nettement délimitées; le parti se renforce en s'épurant..."
http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1902/02/19020200a.htm Staline n'oubliera pas la dernière phrase choisie par
Illitch pour préfacer son livre le plus marquant.