Bonsoir.
François Delpla a écrit:La condamnation par Himmler en mai 1940 de cette "méthode bolchevique de l'élimination physique d'un peuple comme contraire à la germanité et impossible" est d'une part en relation probable avec la famine ukrainienne telle que la réfractait le prisme allemand et nazi, d'autre part fichtrement intéressante
Je me propose de placer ici, pour information, le lien vers la transcription de la totalité du document de Himmler publiée par un site allemand - et donc malheureusement, en allemand
.
http://www.ns-archiv.de/krieg/untermenschen/himmler-fremdvolk.phpLa lecture de ce document m'amène plusieurs réflexions personnelles (pour ceux qui connaissent déjà bien ce document, désolé d'enfoncer des portes ouvertes
, pour ma part je le découvre
et le trouve effectivement passionnant à décortiquer).
(1) Au niveau de la critique des sources, il faut mentionner qu'il s'agit-là d'un rapport interne de Himmler à Hitler. Il n'est donc pas ici question de propagande, démagogie, ou autre. Tout au plus Himmler pourrait-il chercher à plaire à Hitler en le flattant dans le sens du poil. On notera que, selon un autre site internet, Hitler aurait noté le rapport "
Sehr richtig" (très juste).
(2) Ce document n'est pas à propos de l'avenir du peuple juif, mais des peuples non allemands habitant l'Est, et notamment, il est vrai, des Ukrainiens (mais aussi des Polonais et d'autres).
Himmler aborde tout de même le problème des Juifs, qu'il espère pouvoir résoudre rapidement en les conduisant en Afrique ou dans les colonies.
(3) Le moyen choisi par Himmler pour le "traitement" (
Behandlung) des non allemands est... l'école
La solution que le chef des SS propose est de n'offrir à ces peuples qu'une instruction de 4 ans (p.ex. de ne leur apprendre à compter que jusqu'à 500).
A mon sens, cela revient à asservir ces peuples en les privant d'éducation et de culture. C'est sans doute entre autres dans ce sens qu'il faut comprendre l'acharnement des troupes de police, notamment des Einsatztruppen, contre l'intelligentsia des pays occupés à l'Est.
(4) Et c'est là qu'intervient, un peu tombée de nulle part (et formant un paragraphe à elle seule), la phrase dont MM. Bernard et Delpla nous ont donné un extrait et que je vais tenter de traduire en entier :
So grausam und tragisch jeder einzelne Fall sein mag, so ist diese
Methode, wenn man die bolschewistische Methode der physischen
Ausrottung eines Volkes aus innerer Überzeugung als ungermanisch und
unmöglich ablehnt, doch die mildeste und beste.
Ma traduction libre : "Aussi cruel et tragique que chaque cas particulier puisse être, autant cette méthode est la plus douce et la meilleure
si on refuse la méthode bolchevique de l'élimination physique d'un peuple, par conviction intime, comme non germanique et impossible."
(5) Tout d'abord, la lecture de la phrase dans sa totalité montre bien qu'il ne s'agit pas là de préférer l'une ou l'autre méthode d'extermination, mais que c'est bien l'extermination elle-même qui est jugée comme une méthode bolchevique, à laquelle Himmler préfère une méthode plus douce de l'asservissement par le manque d'éducation scolaire. Reste à savoir pourquoi.
(6) La "condamnation" que voit là M. Delpla me paraît largement relativisée avec le "si" et le "par conviction intime". Le "impossible" également laisse des portes ouvertes : si on démontre la faisabilité de la méthode bolchevique, continuera-t-on à la refuser ? Pourquoi Himmler considère-t-il sa méthode comme "la meilleure" ? Est-ce vraiment le meurtre de masse qu'il condamne ?
(7)
François Delpla a écrit:-par la façon d'intégrer les actes attribués au bolchevisme dans la propagande nazie (et pour commencer, dans le formatage des SS) : "nous sommes évidemment moins méchants qu'eux, mais non moins évidemment nous devons à notre race supérieure d'être aussi méchants en cas de besoin".
Les cas particuliers "cruels" et "tragiques" que mentionne Himmler sont des enfants "de [leur] sang" qui pourraient venir à souffrir de sa méthode (c'est de cela qu'il parle juste avant et juste après). En effet, les enfants allemands habitant les pays de l'Est devraient être en principe envoyés dans les écoles en Allemagne. Il veut donc parler des enfants asservis par effet collatéral, qui ont échappé au filet à bons Allemands, si je puis dire, matérialisé sous la forme d'attestations d'aryanité que les parents devraient fournir aux autorités. Donc, si sa méthode est meilleure que la bolchevique, c'est en l'occurrence qu'elle épargne la vie des Allemands de l'Est (rien à voir avec la RDA
). Ne serait-ce pas précisément en cela qu'elle est "non germanique et impossible" ?
Poussons le raisonnement encore plus loin. Himmler écartant les méthodes connues alors de meurtre de masse (dont la famine) car elles ne permettent pas de faire la distinction entre Allemands et non allemands, ne serait-il pas légitime de penser que, sachant bien faire la différence entre Allemands et Juifs, il serait tout à fait prêt à accepter une mesure radicale contre ces derniers, s'il n'était pas en mesure de le diriger sur Madagascar ?
Le meurtre de masse ne devient-il pas compatible avec la germanité du moment que, parfaitement organisé, il n'atteint que les victimes choisies (ou en tout cas pas des Allemands) ? Le meurtre de masse ne devient-il pas justifiable à ses yeux du moment qu'il est organisé avec précision par des Eichmann ?
(8 )
François Delpla a écrit:-par la date : ne serait-ce pas une indication des intentions allemandes après la victoire facile sur la France et l'Angleterre, par une "paix sur le sable de Dunkerque", que Hitler croit imminente à ce moment ?
Il n'y a aucune mention de la situation à l'ouest dans ce document daté du 15 mai 1940. De surcroît, ce rapport, dans sa forme (structuré) et son contenu, semble le fruit d'une plus ou moins longue réflexion (si, si, réflexion
; l'humain est très fort pour réfléchir pragmatiquement à la destruction de son voisin
). Je pense que ce rapport est bien plus motivé par l'ouverture vers l'Est, avec la chute de la Pologne, qu'aux succès à l'ouest.
Bien à vous,
Christian