Post Numéro: 19 de Nicolas Bernard 14 Sep 2007, 22:22
Dieppe a pour but :
1) de montrer aux Soviétiques, en pleine déroute vers Stalingrad et le Caucase, que les Alliés occidentaux savent se battre malgré les humiliantes déroutes de Tobrouk et d'Asie du Sud-Est ;
2) d'utiliser les soldats canadiens, dont le gouvernement réclame impatiemment la mise en ligne pour la contribution à la victoire ;
3) de remonter le moral - en berne - du Commonwealth (l'été 1942 est l'un des plus déprimants du conflit).
Je ne crois pas que Churchill ait été suffisamment cynique au point de démontrer par un bain de sang qu'un débarquement en Europe occidentale tel que projeté par les Américains serait une catastrophe. Il n'avait absolument aucun besoin d'un échec supplémentaire - une motion de censure avait été déposée contre lui au début du mois d'août. Et Dieppe fut une authentique calamité, qui plongea les Soviétiques dans l'amertume ("Quoi ! C'est ça leur second front !"), ce d'autant que le raid n'aboutit même pas à atténuer la pression allemande sur l'U.R.S.S. Les divisions allemandes que Hitler avait retirées à Paulus et List à l'Est l'avaient été antérieurement à l'opération Jubilee, et la majorité d'entre elles furent envoyées sur d'autres secteurs du front russe, à Leningrad et à Rjev. Pire encore, le moral canadien en avait pris un coup. Voilà des conséquences prévisibles d'un échec, et Churchill n'était pas à ce point téméraire.
Les Canadiens ont payé la contradiction de la stratégie alliée. D'un côté, les services de renseignements britanniques s'efforçaient de faire croire aux Allemands à l'imminence d'un débarquement sur les côtes d'Europe occidentale depuis des mois, opération qui persuada Hitler de dégarnir en juillet ses armées de l'Ostheer pour renforcer le Mur de l'Atlantique. De l'autre, le Haut-Commandement britannique était pressé de tous côtés pour "faire quelque chose", et par Moscou, et par Ottawa - tenter un grand raid par exemple. Que pouvait-il faire d'autre ?
Comme d'habitude, les rapports de force politiques et diplomatiques aboutirent à une opération militaire dépourvue de sens - voir Les sentiers de la gloire pour un bon exemple cinématographique de ce paradoxe, mais à l'époque des tranchées de 14-18.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).