A mon sens, le fait que les
S.S. franchissent une étape dans l'horreur, à Tulle d'abord (99 pendus), à Oradour ensuite (tout un village exterminé), est lié à une stratégie nazie tenant compte de l'échec des mesures de répression antérieures.
Le printemps 1944 est tout de même sacrément violent dans le Limousin. Dès le mois de mars, la répression s'est durcie. Le 24 de ce mois, une véritable "colonne infernale", la fameuse
Division Brehmer, commence à faire régner la terreur en Dordogne. L'opération, qui vise surtout les maquis, s'achève le mois suivant. Elle a été rythmée par le meurtre de civils, l'exécution d'otages, la déportation ou l'assassinat de Juifs, le pillage des biens.
Nouveauté en France, un village, celui de Rouffignac, est totalement incendié. De toute évidence, l'opération Brehmer s'inscrit dans le droit fil des instructions reçues de l'
O.B. West et l'
O.K.W. : pas de prisonnier, pas de sanction en cas d'exaction, soit maintien de l'ordre à tout prix - voir Ahlrich Meyer,
op. cit., p. 167-176.
Et pourtant, cette politique n'aboutit pas au résultat escompté. Le "coup de cymbales" de Brehmer n'a pas porté ses fruits.
Le nombre d'actions de la Résistance dans la région double entre mars et mai 1944.
C'est la preuve que les campagnes de terreur contre le maquis ne suffisent pas. Il faut aller plus loin.
C'est pourquoi, un mois après la venue de Himmler dans la région, Lammerding propose un programme répressif important, mais ce projet - exposé plus haut - date d'avant le Débarquement : au 6 juin 1944, il est dépassé. Cette fois, la situation de crise est là,
et Hitler souhaite frapper un coup autrement plus fort. On ne se contentera pas de pendre 10 partisans pour 1 Allemand tué, ni 3 pour un Allemand blessé. On ira au-delà, car c'est le seul moyen de maintenir l'ordre en France.
Il n'existe pas de trace écrite, à quelque niveau que ce soit, d'une directive désignant Oradour. Les historiens de cette tragédie semblent oublier, sur ce point, qu'il y a là une preuve de dissimulation : les ordres ont pu être communiqués oralement, ou les transcriptions disparaître. Mieux encore, aucune sanction ne sera effectivement prise contre les responsables. Lammerding lui-même sera promu auprès de Himmler. Les seules excuses officielles du
Reich auprès de Vichy viendront de généraux allemands isolés - rien de Berlin. Il me semble en outre que lorsque Rommel mentionnera les massacres au
Führer, ce dernier rétorquera que cela ne le regarde pas.
De tels éléments tendent à indiquer que la décision de détruire un village français a été prise en très haut lieu. L'aspect méthodique et organisé de la chose, outre que ce massacre survient en définitive très tôt après le Débarquement, prouvent qu'il ne s'agissait pas, chez les Allemands, de s'attaquer à un prétendu maquis (Oradour ne l'était certainement pas - voir J.-J. Fouché,
op. cit., p. 87-128), ni de rechercher un officier
S.S. disparu (le major Helmut Kämpfe), ni même de - tout simplement - le venger.
Certes, le chef de l'unité chargée de réduire Oradour et sa population en cendres, le
S.S. Sturmbannführer Dickmann (chef du 1er bataillon du régiment
S.S. Der Führer), a du se réjouir de pouvoir passer ses nerfs sur ces sous-hommes français qui avaient osé s'en prendre à son ami Kämpfe. Mais il n'a pu prendre, tout seul, une décision d'une telle importance. Les instructions reçues de sa hiérarchie au printemps avaient posé le cadre de la barbarie, mais même Lammerding s'était cru obligé d'en référer à ses supérieurs, s'agissant de son programme de lutte anti-partisans défini le 5 juin 1944. Et Hitler en personne est intervenu dans ce processus décisionnel.
En d'autres termes, je ne crois pas que les exactions des F.T.P. à l'égard de leurs prisonniers aient véritablement joué. Soit dit en passant, c'était une pratique qui ne résultait pas d'une stratégie délibérée à Londres ou à Moscou (à l'inverse de la terreur
S.S., commanditée par Berlin), mais liée aux circonstances mêmes de la guerre des partisans. Des maquisards n'ont pas, par principe, les moyens de s'occuper des ennemis capturés. Pas question non plus de les libérer pour leur permettre de reprendre les armes. Leur exécution s'avère dès lors nécessaire.
Les insurgés de Varsovie ont également supprimé les Allemands captifs, et personne excepté les staliniens ne leur dénie pourtant la qualité de martyrs.
Non, le massacre d'Oradour était vraisemblablement inévitable. Il ne s'agissait pas d'une bavure isolée, un coup de sang d'officiers allemands résultant du contexte affreux d'une guerre de partisans, mais au contraire un acte prémédité par les plus hautes autorités du Reich par souci de mettre un terme, une bonne fois pour toutes et après échec des procédés antérieurs, à toute velleité française de résistance.
Alors, me direz-vous, pourquoi Oradour même et pas un autre village ? Je ne crois pas que le choix, par Dickmann - et sans doute avalisé par Lammerding - soit lié au fait que le bourg ait été suspecté d'avoir été une base du maquis. Je ne crois même pas que Dickmann ait pensé que Kämpfe ait pu y être exécuté. Cette version est en effet défendue par un
S.S., même pas présent sur les lieux, à savoir Otto Weidinger, l'historiographe de la
Das Reich. Un autre officier
S.S., le
S.S. Obersturmführer Karl Gerlach, a affirmé après la guerre avoir été kidnappé par les maquisards et traîné jusqu'à Oradour, où il n'aurait échappé à la mort que par miracle, mais son témoignage, tardif et peu fiable, a été réfuté (à supposer que Gerlach ait dit vrai, il a pu confondre Oradour avec un autre village), outre qu'aucun document, ni même aucun témoignage, ne confirme que ses déclarations aient été prises en compte par son supérieur Dickmann.
Bref, il fallait faire un exemple, et la cible a été choisie plus ou moins au pif.