François Delpla a écrit:Il me semble aussi que l'existence de plans ne prouve rien, et que rien ne témoigne au printemps 40 d'une insistance particulière de Brauchitsch ou de Halder, les chefs de l'OKH, pour que Hitler attaque l'URSS.
Tout au contraire, ces messieurs sont engagés avec passion dans la guerre à l'Ouest. Ce faisant, comme ils ne sont pas des bleus, et que de surcroît ils sont anticommunistes, ils ont toutes raisons de soupçonner Staline d'avoir une forte envie de les attaquer dans le dos, ou du moins de vouloir s'emparer, pendant qu'ils ont le dos tourné, de positions en Europe centrale. Ainsi on voit par son journal que Halder surveille la Bessarabie.
Selon toute apparence, l'OKH n'a pas été informé des clauses secrètes du pacte germano-soviétique, qui permettaient à Staline de disposer à sa guise et à son heure de la Finlande, des Etats baltes, de l'est polonais et de la Bessarabie. Il s'en était pris, avec des moyens et des fortunes divers, à tous ces territoires sauf le dernier; or ils avaient en commun d'être les parties de l'empire russe qui avaient, à la faveur des guerres de 1918-21, échappé à l'URSS. L'OKH se demande donc en toute logique si le tour de la Bessarabie va venir, si pour des raisons pétrolières Hitler peut se permettre de laisser faire, et si on va lui demander d'agir au cas où les choses se passeraient mal. Hitler a déjà demandé une fois des plans pour une guerre qu'il n'a pas faite : contre la Tchécoslovaquie, en 1938. Les circonstances, évidemment bien différentes, peuvent être rapprochées sur un point : une simple menace d'attaque devrait suffire.
Donc, n'ayant pas le livre de Lemay sous la main, je demande à Thierry : cette interprétation est-elle compatible avec les documents exhumés, ou ceux-ci montrent-ils décidément un OKH plus nazi que les nazis, plus traître à la signature du Reich que Hitler et plus pressé de se retourner vers l'est dès mai ou juin 40 ?
Je ne suivrai peut-être pas Daniel dans toutes ses formulations sur les appétits coloniaux et africains de ces galonnés. Me semblent incontestables, en revanche, leurs appétits atlantiques. Pour eux une guerre, ça se fait contre l'Angleterre, la Russie n'étant qu'une arrière-cour souhaitable pour puiser des forces matérielles -et le pacte germano-soviétique remplissant parfaitement cet office.
Si nous n'étions pas entre gens de bonne foi et de bonne compagnie, j'hésiterais à dire ceci, mais puisque c'est le cas j'y vais franco : c'est bien parce que ses classes dirigeantes sont infoutues de faire des choix clairs que Hitler est obligé d'être raciste. Vous voyez, à présent c'est moi qui deviens fonctionnaliste ! Ce n'est pas le pied, l'espace vital à l'est -et on verra même dans certains propos de table Hitler railler Himmler, qui récite trop bien les leçons sur la voie tracée par les Teutoniques. C'est tout ce que les Anglais et d'autres, plus tôt venus à la puissance, nous ont laissé, et il faut bien faire avec. Quitte à redistribuer un peu mieux les cartes dans un avenir aussi lointain que ténébreux.
J'en arrive donc à un point abordé par Nicolas : oui l'antisémitisme est premier... du moins en ce qui concerne la question raciale. Le tour des Slaves vient plus tard, ils sont étiquetés sous-hommes pour les besoins de la cause vers 1923; auparavant Hitler ne savait pas s'il souhaitait s'allier avec les Russes contre les Anglais ou l'inverse. Là il a choisi, définitivement, et fait tout en fonction de ce choix même quand il détruit Londres avec la bénédiction de Moscou.
Pour résumer, Hitler est mû par : 1° l'amour de l'Allemagne, qu'il faut d'urgence empêcher d'accepter définitivement un rang subalterne après novembre 18; 2° la haine des Juifs, providentiels saboteurs expliquant à eux seuls la défaite; 2° bis (après la découverte, fin 1919, des Protocoles des sages de Sion) : la haine des Juifs, comploteurs mondiaux et multiformes contre l'humanité en général et l'Allemagne en particulier, du Kremlin à Wall Street; 3° la découverte que les Anglais sont des cousins aryens (et, dans leurs colonies, des professeurs de domination raciale) et les Slaves des tenanciers illégitimes des richesses ukrainiennes.
Lemay met surtout en valeur l'attitude de certains généraux allemands, qui, à la fin de la guerre, ont tout mis sur le dos d'Hitler pour se dédouaner, notamment Manstein ! L'historien anglais Basil Liddel Hart a participé, aussi, à cette entreprise de sauvegarde la Wehrmacht, véritable intoxication ! D'ailleurs, les anglais ont, après la guerre, voulu à tout prix préserver l'honneur de l'armée allemande et fait pression sur les américains pour adoucir les peines. Le procès Kesselring est, à ce niveau, une illustration claire et nette de mon propos. Condamné à mort dans un premier temps, sa peine fut commuée sur l'insistance des anglais. D'où d'ailleurs, le sentiment d'un Hitler omnipotent et omniscient !
Or les études récentes, notamment le livre de Bartov, sur l'armée d'Hitler, illustre bien que la Wehrmacht, loin d'être une simple marionnette, avait une autonomie relativement grande, par rapport à celle de l'Armée Rouge par rapport à Staline. Le plan Otto en est l'illustration parfaite. Si on reprend la chronologie des événements entre fin juin et fin juillet, il est clair que le Führer a énormément hésité sur l'attitude à tenir. Persuadé que les anglais vont venir négocier, il manie la carotte et le bâton (l'exotique plan Lion de Mer) pour faire pression sur le gouvernement anglais et l'amener à la paix. D'où, d'ailleurs, son désintérêt pour l'Empire anglais, et notamment l'Afrique. Si il avait voulu prendre l'Egypte, il aurait envoyé une moitié de PzD et l'affaire aurait été réglée. Je pense d'ailleurs que ce fut une erreur gigantesque de la part d'Hitler...si il avait voulu, l'été 40, il aurait pu prendre le Machrek sans coup férir, les forces anglaises étant insignifiantes en Egypte.
Hitler regarde déjà à l'Est, mais l'OKH l'a déjà devancé avec le Plan Otto, étudié à son insu !! Je pense que même sans ce plan, il aurait décidé d'attaquer à l'Est, mais l'implication et l'assurance précoce de l'OKH, l'a conforté dans son choix.
En résumé, l'idée de l'offensive à l'Est vient de Hitler et de l'OKH, et non pas que du seul Führer comme les généraux ont essayé de nous le faire croire, par la suite !