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Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 25 Nov 2011, 15:32
de Halbwachs
Bonjour à tous,

Peut-on qualifier Marc Bloch de grande figure de la Seconde Guerre Mondiale? À première vue non, puisqu'à côté des Rommels, Patton, de Gaulle et autres généraux connus dans le monde, peu de gens, même "passionnés" connaissent Bloch en comparaison.

Toute la question est de savoir comment détermine-t-on qu'une personne est "une grande figure". Certes, dans le milieu de l'historiographie - pas seulement française je tiens à le signaler - il est l'un des plus grands. Mais la guerre mondiale est d'abord une guerre, avec tout l'aspect militaire qu'elle comporte. Bloch est un historien, et qui s'intéresserait à lui s'il ne connaît pas son rôle réel entre 1939 et 1944.

Marc Bloch nous a laissé un témoignage unique sur la campagne de 40 : celui d'un historien - donc spécialiste - qui connaît la chose militaire, puisqu'il était soldat durant la guerre qui devait être la "Der des ders", et surtout, c'est celui d'un officier au GQG, qui analyse, avec toute l'objectivité qui est la sienne malgré lui si j'ose dire, les raisons de la défaite française de 1940 (BLOCH M., L'étrange défaite).

Sa biographie, même si bien fournie pour les années d'Entre-deux-guerre, perd soudain, dés 1940, de matière. On en apprendra plus en consultant la revue qu'il a fondé avec son ami, Lucien Febvre (lui aussi, historien de renom de l'école des Annales), les Annales d'histoire économique et sociale (ayant changé de nom plusieurs fois ensuite°. On y voit, non seulement ses travaux avant la guerre, mais aussi des analyse de spécialistes soit qui l'ont cotoyé, soit qui l'ont étudié plus tard.

L'un des document les plus intéressant reste son testament spirituel, paru dans la numéro 1 - volume 8 de l'année 1945.

Mais l'une des choses qui - malgré qu'il ait pu pensé le contraire, ou voulu le contraire - influença sur son importance et sa place dans ce siècle c'est son origine juive. Il dira lui même :

"Je suis juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins pas la naissance. Je n'en tire ni orgueil ni honte, étant, je l'espère, assez bon historien pour n'ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu'elle prétend s'appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tous le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d'un antisémite. Mais peut-être les personnes qui s'opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de "métèque". Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand-père fut soldat en 93 ; que mon père, en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que j'ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l'exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m'expulser aujourd'hui et peut-être (qui sait?) y réussiront, demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J'y suis né, j'ai bu aux sources de sa culture, j'ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux." (BLOCH M., L'étrange défaite, (...), pp.16-17)

Veuillez excuser la longueur du passage, mais il me paraissait important de bien comprendre son sentiment pour comprendre ses cinq dernières années de vie.

Bloch est juif, par la naissance comme il dit. Bloch est également soldat en 14-18 et en 40, amoureux de sa France, historien, et il deviendra naturellement résistant. Bloch sera, derechef, une victime du fameux Klaus Barbie. Il sera fusillé le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans (Ain) par les Allemands. Il m'a semblé intéressant de revenir sur cet historien de génie, résistant, soldat, et témoin de la défaite de 40.

Image
Dernier cliché connu de Bloch, en 1943

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Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 25 Nov 2011, 20:12
de Alfred
Honneur à ce grand historien patriote......Je sais que ce qu'il dit est très vrai,j'ai également des exemples similaires dans la famille de mon épouse,dont le grand père ,à l'issue de la grande guerre; fit partie des troupes d'occupation en Allemagne et en profita pour faire gravir l'escalier menant à la statue de Germania à son cheval et éprouver la satisfaction toute personnelle d'aller cravacher le monument....Lui dont la famille avait du quitter son Alsace natale en 1870 pour pouvoir rester française...

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 25 Nov 2011, 22:07
de Halbwachs
Connaissez-vous Marc Bloch ?

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 25 Nov 2011, 23:33
de Vincent Dupont
Bonsoir Halbwachs,

Pour saisir la pensée de Bloch pendant l'occupation, après 1940 et l'écriture de l'Etrange défaite, je vous suggère Apologie pour l'Histoire ou Métier d'historien ;)

Cordialement

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 26 Nov 2011, 00:04
de Halbwachs
Lu et relu, c'est surement son œuvre la plus connue.

D'abord lecture imposée à l'université, mais aussi et surtout classique indispensable à tout passionné d'histoire de quelqu'époque que ce soit.

Je vois par ailleurs que vous connaissez Bloch, aux vues de votre signature.

Bloch est, à mon sens, fascinant par ses nombreux écrits des Annales. Quel historien aujourd'hui peut s'enorgueillir d'avoir autant de publications à son actif.

Ses correspondances - en particulier celles avec son fils - sont plus saisissantes encore (BLOCH M., Lettres de la drôle de guerre, Les Cahiers de l'IHTP, cahier n° 19, décembre 1991).

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 26 Nov 2011, 00:32
de Vincent Dupont
Halbwachs a écrit:D'abord lecture imposée à l'université, mais aussi et surtout classique indispensable à tout passionné d'histoire de quelqu'époque que ce soit.

Je souscris ! Je me souviens encore de ma fiche de lecture en 1ère année ! :roll:

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 26 Nov 2011, 10:15
de JARDIN DAVID
Je suis tout à fait en phase avec la citation de BLOCH telle que proposée par Halbwachs !
C'est exactement ma conception du patriotisme et du (bon) nationalisme. Des attitudes régionales que je retrouve aussi dans ma famille. Je viens de supprimer la fin de mon post, car il n'était plus dans la tranche 39-45 ....

Par contre, à titre d'échange, je souligne au passage que Paul DUNGLER, alsacien lui aussi était franchement opposé au départ de la région que ce soit en 1870 (en théorie car il n'était pas né !) ou en 1940. Pour lui, il faut résister sur place, ne pas laisser le champ libre, autant que possible, à la germanisation.

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 27 Nov 2011, 21:23
de Alfred
Pour ma part ,étudiant ,j'ai dévoré ses écrits tout comme ceux de Lucien Fébvre.....

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 27 Nov 2011, 21:50
de Halbwachs
Febvre est aussi excellent. je conseille vivement (même si c'est hors sujet) de lire des articles des Annales. Exceptionnel !

Pour rester dans le thème, il existe très peu de traces de lui dans la résistance, mais on sait qu'il était leader d'un groupe, dans sa région natale, près de Lyon.

Re: Bloch, une grande figure?

Nouveau messagePosté: 28 Nov 2011, 00:19
de jdl
Marc Bloch est un ‘grand Monsieur’, combattant durant les deux guerres, résistant, torturé, fusillé. Il est peu médiatisé.
C'est d’abord un grand universitaire aux travaux reconnus (Annales d'histoire économie et sociale, la société féodale). Spécialiste de l’histoire médiévale, il anime un courant intellectuel sur le fonctionnement des sociétés. Il s’appuie sur la rigueur des analyses et l’importance des témoignages pour la recherche des vérités.
Son livre 'l'étrange défaite' écrit dès l'été 1940, analyse et témoigne autant de la société française de l'époque, les lourdeurs des institutions et des EM, mais également les réactions des hommes face à des situations inhabituelles voire exceptionnelles. Il aborde également de façon très précise la perception des Juifs en France à cette époque, ainsi que diverses réactions le concernant. Il montre souvent son patriotisme et son dédain de la mort dans son combat dans la Résistance. Une de ses lettres est prémonitoire.
Pour ma part, j'ai rapidement relu ce livre car c'est un témoignage sincère et de terrain. On perçoit l’histoire de mai-juin à travers les aspects quotidiens et l’état d’esprit des combattants.
Enfin, l'université des sciences sociales de Strasbourg porte le nom de 'Marc Bloch' où il avait enseigné entre les deux guerres, peut-être plus pour le créateur des annales.
Je remercie Halbwachs de le faire connaître. Cordialement.