Peut-on qualifier Marc Bloch de grande figure de la Seconde Guerre Mondiale? À première vue non, puisqu'à côté des Rommels, Patton, de Gaulle et autres généraux connus dans le monde, peu de gens, même "passionnés" connaissent Bloch en comparaison.
Toute la question est de savoir comment détermine-t-on qu'une personne est "une grande figure". Certes, dans le milieu de l'historiographie - pas seulement française je tiens à le signaler - il est l'un des plus grands. Mais la guerre mondiale est d'abord une guerre, avec tout l'aspect militaire qu'elle comporte. Bloch est un historien, et qui s'intéresserait à lui s'il ne connaît pas son rôle réel entre 1939 et 1944.
Marc Bloch nous a laissé un témoignage unique sur la campagne de 40 : celui d'un historien - donc spécialiste - qui connaît la chose militaire, puisqu'il était soldat durant la guerre qui devait être la "Der des ders", et surtout, c'est celui d'un officier au GQG, qui analyse, avec toute l'objectivité qui est la sienne malgré lui si j'ose dire, les raisons de la défaite française de 1940 (BLOCH M., L'étrange défaite).
Sa biographie, même si bien fournie pour les années d'Entre-deux-guerre, perd soudain, dés 1940, de matière. On en apprendra plus en consultant la revue qu'il a fondé avec son ami, Lucien Febvre (lui aussi, historien de renom de l'école des Annales), les Annales d'histoire économique et sociale (ayant changé de nom plusieurs fois ensuite°. On y voit, non seulement ses travaux avant la guerre, mais aussi des analyse de spécialistes soit qui l'ont cotoyé, soit qui l'ont étudié plus tard.
L'un des document les plus intéressant reste son testament spirituel, paru dans la numéro 1 - volume 8 de l'année 1945.
Mais l'une des choses qui - malgré qu'il ait pu pensé le contraire, ou voulu le contraire - influença sur son importance et sa place dans ce siècle c'est son origine juive. Il dira lui même :
"Je suis juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins pas la naissance. Je n'en tire ni orgueil ni honte, étant, je l'espère, assez bon historien pour n'ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu'elle prétend s'appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tous le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d'un antisémite. Mais peut-être les personnes qui s'opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de "métèque". Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand-père fut soldat en 93 ; que mon père, en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que j'ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l'exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m'expulser aujourd'hui et peut-être (qui sait?) y réussiront, demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J'y suis né, j'ai bu aux sources de sa culture, j'ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux." (BLOCH M., L'étrange défaite, (...), pp.16-17)
Veuillez excuser la longueur du passage, mais il me paraissait important de bien comprendre son sentiment pour comprendre ses cinq dernières années de vie.
Bloch est juif, par la naissance comme il dit. Bloch est également soldat en 14-18 et en 40, amoureux de sa France, historien, et il deviendra naturellement résistant. Bloch sera, derechef, une victime du fameux Klaus Barbie. Il sera fusillé le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans (Ain) par les Allemands. Il m'a semblé intéressant de revenir sur cet historien de génie, résistant, soldat, et témoin de la défaite de 40.
Dernier cliché connu de Bloch, en 1943
La discussion est lancée !