Dog Red a écrit:Merci pour vos précisions éclairées.
J'avais le souvenir (imprécis visiblement) que la Luftwaffe avait peiné à aligner le Fock Wolf en nombre (et 1943 en tête plutôt que 1941).
Par le petit bout de la lorgnette, CAQUOT attire le regard sur une problématique bien plus large et pas que franco-française : la mise en place d'une production aéronautique de guerre performante.
Pas sûr qu'on s'éloigne sérieusement du sujet.
Celui-ci est profond.
Voui, il est profond, mais pour diverses raisons historiques. La décennie 1930-1940 avait, à ses débuts, été marquée par le passage essentiel du biplan au monoplan cantilever, comme l'évoquait, très justement, Alfred, au poste N°25. Cette évolution technique avait débouché, entre autres, sur la problématique "Moteur", les constructeurs français ayant, alors, éprouvé de sérieuses difficultés pour la mise au point de motorisations "uniques" dans la catégorie 500-1000 CV. Par exemple, la firme Gnome & Rhone, durant la Der des Ders, avait été la "Reine" incontestée du moteur "tournant" (avec l'hélice!), pour des puissances qui frirtouillaient avec les 200/250 CV, et, qui, de par son fonctionnement, assurait, sans problème, le refroidissement du bloc-moteur. Quand il avait fallu, pour des raisons aérodynamiques, capoter les moteurs, oublier leur rotation et assurer leur refroidissement, aussi bien par air que par liquide, çà avait été une toute autre paire de manches, à la fois, techniquement, et économiquement, car l'Armée française, alors que les budgets qui lui étaient accordés, durant la première moitié des années 30, étaient du genre "bouts de ficelles" avait sérieusement tiré la tronche en constatant le chiffrage des nouvelles motorisations, sur les factures des constructeurs!
A çà, il faut rajouter l'évolution de l'hélice, qui jusque là, était confectionnée en bois et, généralement, à pas fixe - au passage, la toute première série de Spitfires britanniques, livrée en 1937, était encore équipée d'une hélice bipales en bois! -, car on était passé à la génération des hélices en alu, bipales et à pas variable manuel - on en a un bon exemple, avec la "Tante Ju 52", qui jusqu'à la fin de son très long service opérationnel, avait conservé ce type de fonctionnement - avant d'attaquer l'ère, dans le seconde moitié des années 30, des hélices tripales, dotées d'un dispositif de variation de pas quasiment "automatique" (sans intervention directe du pilote), soit hydraulique, soit électrique.
Je vous laisse juste imaginer la tronche du Chef de la facturation, au sein de l'Armée, chargé du budget "factures " des fournisseurs agréés de branche "Armée de l'Air". Le "Gars", qui avait commencé, peinard, sa carrière, en tant que subalterne, du temps de l'entoilage, du bois, du moteur "rotatif" et du biplan, puis s'était retrouvé, dès lors, au sommet de sa "hiérarchie", confronté, brutalement à des sommes "mirobolantes" ou, à tout le moins, mal évaluées, pour d'évidentes raisons de méconnaissance générale de la toute fraiche complexité technique inhérentes.
Un, les constructeurs, pour des raisons évidentes de progrès techniques incessants avaient, souvent, tendance à sous-estimer le coût final de leur production, deux, en ce qui concerne l'Armée Française, toutes branches confondues, en temps de paix, la règle est de serrer au maximum le "kiki" à ses fournisseurs agréés. Dès lors, par exemple, dans le cadre d'un marché d'état de fournitures, le fournisseur, qu'il soit privé ou nationalisé (après 1936) - encore que les fabricants de moteurs, eux, avaient échappé aux nationalisations du Front Populaire -, est contraint, par avance, d'établir son "budget" final - coût de production et marge nécessaire pour son équilibre financier -, sur la base d'un marché global, fixé à la signature du contrat, en espérant que deux choses, un, que la quantité commandée soit finalement honorée, deux, que son service d'études de coût de fabrication ait pu ne pas planter, sur la base, au mieux, d'une demi-douzaine de prototypes assemblés et essayés.
On peut rajouter, à l'envie, la mise en service du train d’atterrissage rétractable, de la verrière, des tous premiers circuits d'oxygènes, heureusement, très peu nombreux, la multiplication des indicateurs sur le tableau de bord des chasseurs, etc. Le brave garçon, chargé de gérer la facturation "constructeurs", qui avait pris son poste en 1929-1930, avait du se retrouver, en 1936, confronté à un "budget " factures, multiplié par 3 ou 4 - je suis gentil! - mais si lesdits "dépassements" avaient été, plus ou moins bien, anticipés.
Nous avions connu un phénomène assez similaire, dans la Marine Nationale, entre 1880 et 1914, avec, notamment, la grimpée en flèche des crédits affectés à la construction de cuirassés et croiseurs-cuirassés, pour cause d'avancées technologiques, sauf qu'il faut, généralement, 5 à 6 ans pour construire un cuirassé, phénomène qui permet, au Ministère, de pouvoir solliciter des rallonges annuelles budgétaire auprès de l'Assemblée, alors que, avec l'aviation, çà se complique, vu la vitesse de production des constructeurs, sensés honorer leurs marchés, en gros, en l'espace de 4-5 ans.
Si on y regarde de plus près, sur le plan européen, en oubliant l'URSS, seules, la Luftwaffe et la Royal Air Force avaient été capables de s'affranchir, correctement, de la révolution technique "1930". Côté allemand, en regard des très généreux et larges budgets attribués par le III.Reich au "gros" Hermann, qui, accessoirement, avait eu le bol de ne pas s'enquiquiner, comme en France, avec un parc de vieilleries volantes, vu que la construction de Luftwaffe était partie de zéro; côté britannique, par la faiblesse intrinsèque et historique de son armée de Terre, ses deux seuls soucis initiaux étant la Royal Navy et la RAF.
Si on se réfère à l'Armée française, les "priorités" étaient multiples, à l'heure des "budgets rikikis", car il lui fallait assurer le renouvellement et l'entretien des parcs de matériels existants, pour les trois Armes, l'Armée de Terre, sa composante aérienne, et l'Armée de Mer. La "méthode" avait plus ou moins bien fonctionné en 1914, car les combats avaient, alors, essentiellement, fait appel à l'Infanterie et à l'Artillerie - même, si côté français, cette dernière était, alors sous-dimensionnée -, tandis que, sur mer, la Royal Navy avait, elle, assuré l'essentiel des tâches. A l'époque, ni aviation, ni chars qui pouvaient jouer un rôle essentiel.
Durant l'Entre-Deux-Guerres, la France s'était, très largement, illusionnée sur le rôle essentiel de sa seule Armée de Terre, considérée, alors, comme la "meilleur du monde", sauf que, au printemps 1940, les avions, blindés allemands et leurs tactiques d'emploi, l'avaient ratiboisée en six semaines!
Les Brits avaient, alors, sauvé leur peau, grâce à leur insularité et la RAF. A l'inverse, l'US Army, toutes branches confondues, en 1938-1940, ne valait pas tripette, sauf que les Américains disposaient, depuis le milieu de la décennie 1910, d'un monumental parc industriel, d'une démographie très importante - pour y recruter, si nécessaire, la main d'oeuvre nécessaire, dans le cadre d'une éventuelle économie de guerre - et, surtout d'un isolement naturel géographique, qui la mettait à l'abri de toute réplique sérieuse, sur son territoire national, de la part d'un éventuel adversaire! Sa menace stratégique possible la plus sérieuse, de nos jours, se résume, encore, aux performances des seuls missiles balistiques intercontinentaux!
A noter que c'est du kif-kif bourricot pour notre territoire de Saint-Pierre et Miquelon, le Canada et, même, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, ce qui permet, au passage, "d'étalonner" les limites d'extension d'un éventuel conflit continental européen, si la France et l'Allemagne, les premières nations concernées, ne se décident pas, rapidement, à faire le forcing pour mettre en place une négociation diplomatique sérieuse et calmer le jeu!