goliath a écrit:il est juste de rappeler que la Ligne Maginot n'a jamais été créée dans l'objectif d'être un mur "infranchissable" ... la Ligne devait offrir un délai de quelques semaines à la France pour que la mobilisation puisse se faire (entre 2 et 3 semaines nécessaires), tout en évitant des pertes inutiles pour une nation à la démographie en santé précaire, surtout lorsqu'on la compare à la démographie allemande.
Parfaitement exact, ce qui m'amène à mes considérations actuelles sur la Ligne Maginot : l'idée est bonne au départ : contrer le poids de la démographie allemande face à celle de la France, lourdement ponctionnée par la Première Guerre mondiale, par un durcissement du terrain face à la frontière. L'idée c'est que les troupes manquantes en métropoles seront remplacées par le sang "gratuit" des troupes coloniales. En attendant leur arrivée, il faut retenir une offensive brusquée allemande.
Le problème est la réalisation. Dès la fin du 19e siècle par l'autrichien von Sauer et par le
Pionnier français préconisaient un ensemble de fortifications de temps de paix relativement légères, qui ne constituent que l'ossature de positions de temps de guerre réalisées à la mobilisation par les soldats eux-même. Les Allemands appellent à partir de 1905-1910 ce concept
Armierung, ou
mise en état de défense. Il présente l'avantage de la simplicité, de l'économie financière et surtout de l'adaptabilité aux formes de la guerres, un plan étant beaucoup moins difficile à modifier qu'une construction réelle. La Première Guerre mondiale a d'ailleurs montré qu'un front organisé en profondeur, tirant parti du terrain, et constitué de fortifications de campagne légères (barbelés, tranchées, abris, nids de mitrailleuses et positions d'artillerie à longue portée en arrière) était capable d'arrêter pour longtemps une offensive, et ce à peu de frais.
Les Allemands vont eux aussi se lancer dans la réalisation de fortifications de temps de paix lourdes, sur le
Ostwall, à l'Est de Berlin. Hitler arrêtera les travaux dès 1936, suite à sa visite sur le chantier. Trois problèmes se posent : 1) pour un combattant, il faut vingt techniciens ; 2) les combattants sont spécialisés et incapables de sortir sur un champ de bataille classique ; 3) les armements sont spécifiques, donc perdus après que le front ait bougé dans un sens ou l'autre. La construction du
Westwall correspond parfaitement à ces visées : des constructions relativement légères, dotées de matériels de campagne, dont la rusticité permet l'utilisation par n'importe quel soldat. Un calcul que les Allemands avaient fait dès 1895, lorsqu'ils ont fait le choix de l'embrasure minimale au détriment de l'éclipse pour leurs tourelles d'artillerie, après les avoir testées à Mutzig.
Côté français, la victoire en trompe-l'oeil de 1918 donne une légitimité aux concepts nationaux de fortifications de temps de paix. Le système Maginot reprend l'idée, obsolète à cette époque, de ligne fortifiée de temps de paix, équipée des meilleurs équipements et de troupes d'élite. Pour parer à un éventuel désarmement comme cela a été le cas sur la seconde ligne Séré de Rivières et la première ligne en 1914-15, les armements sont spécifiques et inutilisables en dehors de leur contexte fortifié. En conséquence, on engloutit sous le béton les meilleures troupes, en leur donnant les meilleurs équipements, pour... trois semaines ! Au-delà, l'armée de campagne étant mobilisée et capable de lancer une offensive en partant de la ligne fortifiée, les fortifications deviennent inutiles, la guerre étant menée en Allemagne. De plus, ses canons sont incapables de soutenir le début de cette offensive, leur porté de huit kilomètres au maximum ne leur permettant pas de tirer au-delà de la frontière. Dès la réalisation, la meilleure défense... est la défense, on flanque tout ce qui peut être flanqué, mais pour ce qui est d'interdire les accès à longue portée il y a une faille monumentale dans le système... Lorsqu'en 1940 les Allemands s'amuseront à tirer au 420 sur les ouvrages du nord de l'Alsace, ils pourront le faire sans coup férir, alors que l'obusier ne tire qu'à 9300 mètres ! A titre de comparaison, en 1914 les canons de 10 cm des
Festen allemandes tirent à 1800 mètres, bien au-delà de la portée des obusiers lourds utilisés alors lors des sièges...
Conclusion : la Ligne Maginot est une construction logique, voire nécessaire pour la France au début des années 30. Mais sa réalisation porte dès le départ la défaite en elle-même. Conçue purement pour la défensive, elle va littéralement bétonner les esprits, y compris celui de l'Etat-Major. Au lieu de dresser de vigoureux plans offensifs, qui auraient parfaitement été possibles, même avec un certain manque de blindés et d'aviation, ils s'enferment dans des plans purement défensifs. Le plan Dyle lui-même, qui sera celui suivi en 1940, est basé sur l'attente d'une violation de la neutralité belge par l'Allemagne !
N'aurait-il pas été plus aventageux, étant donné les évolutions des fortifications depuis la fin du siècle précédent, et les enseignements pourtant très clairs de la Première Guerre, de construire face à la frontière un ensemble de casemates placées en profondeur en temps de paix, puis renforcées dès la mobilisation par des tranchées et positions ? Voir carrément faire du vrai
Armierung, c'est-à-dire tout construire seulement à la déclaration de guerre ? Ce type de position, même face à une offensive brusquée, tient le temps nécessaire à la mobilisation, ne coûte pas cher et ne devient pas l'élément central d'une défense : il en est seulement l'un des éléments. C'est d'ailleurs de cette façon que se mènent les guerres modernes : mouvements et fortifications de campagne de circonstance quand le besoin s'en fait sentir. Pourrir le terrain plutôt que construire d'énormes fortifications en temps de paix.
Pour le reste, on peut retourner le problème dans le sens qu'on veut, une fois passé le 10 mai 40 la Ligne Maginot ne sert absolument plus à rien. Elle a protégé la mobilisation et canalisé l'offensive allemande. Les équipages ont eu beau se battre jusqu'au-delà de l'armistice, leur combat était sans intérêt et perdu d'avance. Leur décision d'y rester plutôt que de les abandonner est d'ailleurs emblématique : ils refusent de laisser leurs ouvrages à l'ennemi alors qu'ils auraient été plus utiles ailleurs... l'honneur a fait beaucoup de morts mais il n'a jamais sauvé personne, et encore moins permis à un pays de redresser une situation militaire bien compromise... Combien de ces hommes auraient pu se retrouver en Afrique du Nord ou à Londres si ils avaient quitté leurs ouvrages tant qu'il était encore temps au lieu de s'y laisser enfermer ? La question ne trouvera jamais de réponse, mais mérite d'être posée, ne serait-ce que pour sortir du réflexe conditionné du "la Ligne Maginot a servi la preuve ils sont restés au-delà de l'armistice"... pour partir dans une inutile captivité en Allemagne jusqu'en 45...