Post Numéro: 26 de François Delpla 17 Mar 2012, 18:55
Il me semble qu'il faut avant tout considérer le point où Hitler est arrivé dans la réalisation de ses objectifs.
Mein Kampf, en son tome 2 (1927) les présente ainsi : écraser militairement la France avec la bénédiction de l'Angleterre pour conquérir à loisir un "espace vital" aux dépens des Slaves.
Tout a marché comme sur des roulettes jusqu'à la mi-mai 1940. A ce moment-là, en faisant les comptes après la percée de Sedan, l'Angleterre aurait dû remballer son matos et pousser la France à se résigner à la paix, les conditions allemandes (transmises par Göring à Dahlerus le 6 mai) étant d'une peu résistible "générosité".
Le remplacement imprévu de Chamberlain par Churchill quelques heures après l'offensive, espérée finale, du 10 mai, est donc une catastrophe absolue... que Hitler va s'efforcer pendant cinq ans de relativiser.
Cependant il ne serait pas nazi s'il pouvait changer fondamentalement son fusil d'épaule. Il va, pendant ces cinq années, taper toujours sur le même clou : faire en sorte que Churchill perde le soutien des élites britanniques et, du même coup, le pouvoir. Il ne faudrait tout de même pas oublier que l'Allemagne est seule, pratiquement face au reste du monde, qu'elle l'a déjà payé très cher en 1918 et que la seconde chance qu'avec le nazisme elle s'offre repose tout entière sur un conte racial pris très au sérieux : les Anglais sont des frères, les Slaves des sous-hommes, et toute entente avec le seconds ne saurait être que provisoire et tactique (qu'il s'agisse d'un pacte avec Pilsudski en 1934 ou avec Staline en 1939); de même, toute agressivité contre la Grande-Bretagne ne saurait être que dosée et momentanée. On a d'ailleurs rassuré et acheté les Anglais tout au long des années trente en ne construisant pas une grande marine, et cela ne se rattrape pas.
En d'autres termes, le nazisme est une fusée programmée, que le grain de sable churchillien dévie de sa trajectoire et que son concepteur va désespérément essayer de remettre sur le cap prévu.
Hitler n'a pas fait beaucoup d'erreurs, à part prendre le risque que la chute de la France soit une catastrophe tellement soudaine et absolue qu'elle donne sa chance à un Churchill, et la prétendue "bataille d'Angleterre" n'en est certes pas une (erreur). Je n'en dirai pas autant de Mers el-Kébir : il ne tenait qu'à lui de provoquer le sabordage de la flotte en exigeant sa livraison, une issue attendue de beaucoup par référence au précédent de 1919. Par l'article 8 de l'armistice qui exigeait sa livraison, pour l'essentiel, à Brest, port occupé, puis par la promesse sans cesse remise au lendemain de revoir la question, il a joué au plus fin avec Churchill et il a perdu. Dès le 4 juillet au soir, pour la première fois sans doute il est blême de peur et entrevoit sa défaite : non seulement Churchill a eu assez d'audace pour ordonner un carton contre des alliés sans défense et assez d'autorité pour se faire obéir, mais il a obtenu le lendemain son premier triomphe aux Communes. Catastrophe, la "Juiverie" a enfin un patron aussi méchant que moi, et apparemment aussi apte à faire marcher ses compatriotes !
Alors oui certes, Dynamo, il reste à se consoler avec l'anglophobie qui monte à Vichy et à amuser ce régime-croupion par des promesses d'alliance anti-anglaise, jamais suivies d'effet et pour cause, puisque c'est toujours Londres qu'il s'agit de courtiser, même et surtout quand on la bombarde. Mais derrière des gesticulations dont Montoire n'est que le moment le plus médiatisé, l'essentiel est, dès la mi-juillet, la préparation d'une attaque contre l'URSS, qui aura entre autres vertus celle de rassurer définitivement l'Angleterre sur l'orientation de l'agressivité allemande. A condition, encore et toujours, de faire tomber Churchill.
Cet effort-là culminera lors du vol de Hess... qui est, Prosper, si j'ai bien compris, inclus dans le sujet ?