Guderian13 a écrit:Ébeh ! Mais ils étaient pour les autres parlementaires restés, considérés comme des "réfractaires"...
Des réfractaires à la capitulation - laquelle allait d'ailleurs prévoir une clause selon laquelle les ressortissants allemands qui s'étaient réfugiés en France à cause de leur opposition au nazisme (article 19).
Celà dit ces "personnalités" étaient franchement rejetées par les Français, parceque toutes avaient participé à des ministères des années 30 et donc étaient considérés comme responsables de le raclée qu'ils encaissaient.
Pour rappel, l'opinion publique avait d'autres préoccupations, en cet été d'immense chaos résultant d'un non moins immense désastre.
Mais puisque vous nous avez cité Jacques Benoist-Méchin, permettez-moi de vous rendre la pareille (Jacques Benoist-Méchin, Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident, tome 2, Albin Michel, 1956, p. 387) :
Dans la soirée [du 20 juin, N.D.L.R.], le groupe de parlementaires embarqués se grossit d'un certain nombre d'anciens ministres du Cabinet Reynaud : Daladier, Mandel, Campinchi, Delbos, ainsi que MM. Jean Zay, Viénot, Tony Réveillon et Mendès-France.
Les gens qui les voient s'en aller les conspuent au passage, et le dialogue suivant est entendu sur le quai :
- "Les Allemands sont là ?"
- "Non, pas encore."
- "Alors, tous ces gens qui s'en vont sont des lâches ?"
- "Du tout. Ce sont les "durs", ceux qui veulent poursuivre la guerre à outrance."
- "Et les autres ?"
- "Ce sont des lâches !"
- "Alors ils s'en vont aussi ?"
- "Non, ceux là, ils restent !"
Situation paradoxale à laquelle personne ne comprend plus rien.
Aussi le départ du Massilia est-il retardé par une série d'incidents : pour commencer, les marins se refusent à appareiller. Puis ils manifestent violement leur hostilité contre certains parlementaires auxquels ils reprochent d'abandonner la France. Jean Zay, encore en uniforme, est pris à parti et giflé. Son képi vole sur le pont. Campinchi, qui était Ministre de la Marine moins d'une semaine auparavant, harangue l'équipage et réussit à le calmer.
Le malentendu a pu être dissipé, et le voyage se déroulera sans histoire.
D'ailleurs, au moment de l'embarquement sur le Massilia, certains d'entre eux avaient été molestés par l'équipage qui avait même menacé de se mettre en grève... Il faut bien comprendre l'état des esprits dans ces jours là. Chaque jour aménait ses nouvelles de catastrophes... il y avait des centaines de milliers de réfugiés qui commençaient à déferler dans le sud de la France.
On ne peut pas comprendre les événements si on ne fait pas l'effort de se poser la question: "Qu'est-ce que j'aurais fait, moi, le 22 (ou le 23, ou le 24...) juin 1940 ?"
Précisément. Mais contrairement à ce que vous insinuez, l'attitude de certains membres de l'équipage résulte moins d'une hostilité à la République (du moins à certains républicains) que d'un malentendu. Ils n'avaient pas été informés de la véritable nature de ce départ, que dans leur optique défaitiste ils assimilaient à une fuite. Le malentendu était d'autant plus navrant que les fameux parlementaires du Massilia étaient précisément ceux - du moins pour la plupart d'entre eux - qui s'étaient efforcés, depuis les années trente, de remettre le pays sur les rails, face à la menace nazie.
Par ailleurs, le moral des marins français était, pour l'heure, bien bas, et l'indiscipline se répandait comme une traînée de poudre, dès la seconde quinzaine de juin, d'où un grand nombre de mutineries (Hervé Coutau-Bégarie & Claude Huan, Darlan, Fayard, 1989, p. 299). L'indiscipline - somme toute éphémère - de l'équipage du Massilia n'était pas une exception à la règle.