Post Numéro: 83 de kuriste 18 Juin 2007, 00:01
Je vais te répondre Shiro, mais si tu le permets je le ferai sommairement attendu que nous débordons assez nettement du thème initial.
Sur le sentiment de rejet des survivants, il y a l'existence d'un courant littéraire spécifique, traduit chez nous par "littérature de la bombe atomique", appelée "Genbaku bungaku" en japonais. Ce courant n'émerge qu'à partir de 1950, à partir du moment où les autorités d'oocupation se montreront plus laxistes quant à leur controle des médias et des thèmes tels qu'on pouvait les rencontrer en littérature et au cinéma (Le genre historique renaît de ses cendres par exemple après cette date autour de la figure de Kurozawa). Dans cette littérature, la figure de Hara Tamiki est absolument essentielle, peut-être parce qu'il fut l'un des premiers à témoigner, et également parce que son oeuvre, Fleurs d'été, 1947, est l'un des plus beaux témoignages que l'on puisse lire sur cette douloureuse expérience. Dans ce livre, il nous raconte l'enfer vécu par les survivants, et déjà les permiers signes de rejets dont il feront l'objet de la part de leurs contemporains. Il ne nous mène malheureusement guère plus loin car Mr Hara se suicidera en 1951. D'autres témoignages sont heureusement disponibles, très nombreux somme toute, puisqu'aujourd'hui la mémoire des Hibakusha est réhabilitée, leur souffrance reconnue et leurs interventions, notamment dans le milieu scolaire, très nombreuses et recherché (il suffit de faire une recherche sur google). Tous font état de ce sentiment de rejet, un rejet d'ailleurs souvent présent chez les Hibakusha eux-mêmes, chez qui le sentiment de culpabilité lié au statut de survivant est très fort.
Je ne vais peut-être pas entrer dans les détails de la pensée shintoiste, que l'on peut littéralement définir comme une religion à la fois de la pureté et de la purification. Forme et fond sont liés, pureté extérieure et pureté intérieure dans le recherche d'une harmonie atteinte grâce au misogi, le rituel de purification... tout acte est perçu en ce sens, aucun geste ne se veut gratuit et toujours orienté vers l'équilibre... considérez les combats de sumo, les jardins zen, la cérémonie du thé, l'idée que les âmes des morts, les kami puissent s'offenser à l'idée d'un souillure quelconque (blessures, menstruation...)... bref la place des Hibakushi ne pouvait être que douloureuse dans cet ensemble. Et elle ne s'est pas faite par ailleurs.
Comme toute société repliée sur elle-même, et dieu sait que le japon fut à l'écart très longtemps des autres civilisations, les échanges avec les autres sociétés, ont certes existé, mais étaient réduits. La conception de l'esprit et de l'âme japonais découle ainsi de cet isolement à travers une sacralisation très forte à la fois de l'esprit, mais aussi de l'espace... jusqu'à aller à des extrêmes regrettables: un fort sentiment nationaliste, un racisme indéniable, justifié notamment par des critières physiques... je conseille à ce titre le très bon livre de Jean François Sabouret, L'autre Japon, les Burakumin, au sujet d'une discrimination du même ordre que celle dont fait l'objet les intouchables en Inde, qui concerne une minorité japonaise, descendant de ceux là même qui étaient chargés au temps féodal de s'occuper des morts. 3 millions aiujourd'hui et souvent non intégrés au nom de cette mémoire qui faisait d'eux des êtres impurs...